Le Maroc comme expérience
anthropologique
Il y a beaucoup de clichés qui
circulent comme vérité sur le caractère des uns et des autres : dans le jargon
quotidien et loin des sphères scientifiques, on entend souvent des généralités
sur les caractéristiques de l’une ou l’autre, des communautés composant une
nation. Sur les Soussi, sur les Marrakchis…on lance des boutades comme des
énoncés avérés. Ces productions ne sont pas cependant une exclusivité des
plaisanteries du café de commerce ; elles finissent par contaminer le
regard du chercheur qui vient appliquer sa grille de lecture à une société
donnée. Ce chercheur très particulier – car formé dans un contexte socio-culturel
précis et qui va porter et expérimenter sa science ailleurs sur une autre
société - s’appelle anthropologue. Il
arrivé aussi que cet anthropologue retourne ses outils sur son propre terrain,
celui de sa société. C’est sommairement résumées les problématiques que
traversent et portent le parcours d’un anthropologue marocain de renommée
internationale, Hassan Rachik dont nous présentons l’un des derniers livres, Le
proche et le lointain, un siècle d’anthropologie au Maroc (Editions
parenthèses, 2012, 270 pages).
D’emblée, l’ouvrage paraît
austère, avec sa couverture sobre, son format relativement volumineux. Mais ce
n’est qu’une impression. Un seuil de lecture qui renvoie à une rencontre
inédite, du genre de celle qu’il aborde comme sujet. La rencontre avec le livre
de Hassan Rachik est une mise en application d’une idée fondatrice qu’il
développe dans son travail, celle de
« situation ethnographique ». Le travail de l’anthropologue est
tributaire en effet de « la situation ethnographique », les
conditions pratiques dans lesquelles se fait la rencontre, l’observation de la
culture de l’autre…elle implique nous dit Hassan Rachik plusieurs
dimensions : la durée, la maîtrise de la langue de l’autre. Comme avec les
livres, c’est toujours un voyage. Et le livre, Le proche et le lointain, une
fois ce seuil franchi, nous captive dans un récit passionnant car porté par une
qualité intrinsèque : un style limpide et didactique. La langue est
académique sans être rébarbative. Hassan Rachik est l’un de nos plus brillants
chercheurs en sciences sociales, professeur à l’université Hassan2 de
Casablanca depuis 1982 ; ses travaux connus par leur rigueur
méthodologique et leur consistance intellectuelle lui ont assuré une renommée
internationale et au Maroc l’une des références les plus crédibles quand il
s’agit de décrypter le « social » quand il devient
« sociétal » ou politique (cas du pouvoir symbolique ou de la
religiosité). Homme de recherche et de production théorique, Hassan Rachik est
un cinéphile de la première heure, à l’époque de l’âge d’or des ciné-clubs (il
était une des figures du ciné-club Al Azaim à la mythique salle Kawakib du Boulevard Fida de
Casablanca).
Il aime se présenter lui-même
comme « un anthropologue citadin qui s’intéresse au monde rural ».
Son travail est marqué, avec les précautions d’usage à l’égard de tout
schématique, par deux phases. Une phase dite « du terrain » où il a
beaucoup travaillé dans le haut Atlas et dans les régions de Zemmour. Notamment
autour des problématiques concernant l’interprétation des rituels sacrificiels
et les changements sociaux en milieu rural et nomade.
Et une phase de relecture
critique de la production anthropologique issue du regard et de la science de
l’autre, à savoir les anthropologues occidentaux (Américain, Anglais,
Français…) qui se sont intéressé à ce « mystérieux Maroc ». Il a
cerné son sujet autour de trois périodes cruciales, précoloniale, coloniale et
postcoloniale… avec la promesse de prolonger cette interrogation aux
productions qui ont continué à étudier le Maroc jusqu’aux années 80 du siècle
dernier.
Dans une introduction dense mais
d’une clarté tonique, Hassan Rachik brosse le cadre de référence qui va lui
permettre de « lire » les
travaux de ses collègues anthropologues, avec notamment un schéma interprétatif
fondé autour de la situation ethnographique. Celle-ci se présente sous des
formes très variées et va lui permettre de cerner son corpus autour d’une
dizaine de noms, d’auteurs, dont certains sont des figures emblématiques de l’anthropologie
marocaine : Charles de Foucault… Jacques Berque, Waterbury…Une approche
intensive portée par la devise empruntée à Westermarck : « better
much little than little about much » !
La diversité des situations
ethnographiques est illustrée par le parcours des anthropologues choisis ;
ces explorateurs, voyageurs ou fonctionnaires coloniaux ont abordé le Maroc à
travers plusieurs prismes. Rachik les présente sans jugement de valeur sur une
qualité spéciale pour une situation ethnographique particulière. Cela va du
séjour longue durée avec le sujet observé (cas de Jacques Berque) à celui qui
analyse à partir de l’écoute lointaine et sur la base de l’écoute de témoins (
Mouliéras qui analysa le Rif à partir d’une série d’entretiens réalisés
à…Oran !). En Cela Rachik est fidèle à une ligne de conduite théorique qui
refuse les dogmatismes et les apriori. Une démarche qui nous semble d’une
actualité transversale, transposable à d’autres champs : « je me méfie toujours des oppositions binaires
et des positions extrêmes…Je suis pour une généralisation conditionnelle,
c’est-à-dire celle qui explicite les conditions sociologiques et culturelles de
sa pertinence » !
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