Brahim de Jean Fléchet
Brahim ou le collier de beignets est un film de 1956, sorti en 1957, produit par le
CCM et réalisé par Jean Fléchet. C’est le premier film à avoir représenté le
Maroc dans une manifestation cinématographique internationale et non des
moindres, puisque Brahim a été choisi en
1957 par le ministère de l’information de l’époque de répondre à l’invitation
du festival de Berlin. « Brahim » y a été projeté et a reçu un
accueil public et critique élogieux. On rapporte que lors de la réception
officielle qui a suivi la projection du film, l’ambassadeur de la France s’est
retiré pour signifier son désaccord avec le film qui a omis de citer « la
mission civilisatrice de la France au Maroc ».
Le film est en effet un hommage à un pays qui retrouve sa
souveraineté, le titre en arabe est explicite dans ce sens, « Début et
espoir » ! Ce n’est pas un film de propagande même s’il est émaillé
de réflexions enthousiastes sur le
nouveau départ du pays. C’est un mélodrame tout imprégné de l’esthétique
néoréaliste. La scène du prégénérique met en situation le récit qui vient et
nous situe à la fin du ramadan de l’année de l’Hégire 1376 (qui doit
correspondre au mois de mai 1956). Les préparatifs vont bon train pour la
rupture du jeune avec l’image du canon que l’on charge montée en parallèle avec
les images de l’attente du moment qui annonce la fin du jeûne et la fin du mois
sacré. Le discours en voix off met en parallèle cet événement heureux l’aïd
avec l’avènement d’une nouvelle ère, celle « de la liberté et de la
résurgence » pour reprendre le jargon de l’époque repris par le commentaire
dans une élocution très solennelle. Une emphase qui contraste avec les images
sobres en noir et blanc signé du chef opérateur Ghislain Cloquet. Tout un
discours moralisateur sur les vertus du ramadan accompagne l’entrée en lice des
personnages tantôt réalistes, des images de gargsote populaires tantôt incarnés
par des comédiens. On découvre ainsi, entre autres Hassan Skalli en jeune homme
accompagné d’un enfant. Il lorgne du côté du marchand de beignets dans une
image qui n’est pas sans rappeler les textes « ethnographiques »
d’Ahmed Sefroui dans sa description de
l’ambiance de la Médina. La caméra suit le jeune homme lui conférant ainsi le
statut de protagoniste ; c’est lui, Brahim qui donne son titre au film et
les beignets passent pour un « plant », c’est-à-dire un signe
récurrent qui jouera un rôle dans la suite du récit. Le coup de canon lance le titre du film et le
générique où nous retrouvons Hassan Skalli et une pléiade de noms dont
notamment la jeune comédienne Fatima Abdelamlek, Hammadi Amor, Bacir El Alj,
Larbi Doghmi, Tayeb Essdiki, Brahim Ouazzani…Le scénario est de Jean Pereau,
écrivain français proche des nationalistes marocains et ami de Jena
Fléchet ; les dialogues signés Brahim Sayeh et Ahmed Elal. La musique est
composée par Abderrahim Sekkat. Tayeb Essediki est cité également comme
conseiller artistique. Pour l’essentiel c’est une équipe rodée ayant déjà travaillé
avec le réalisateur dans une série de films-sketches puisés du folklore
marocain. La photo, rappelons-le, a été
confiée à Ghislain Cloquet qui venait de travailler avec Jacques Becker et sera
un futur lauréat de l’Oscar avec le film Tess de Raman Polanski.
Le récit met en place un jeune homme, portefaix, un coolie
mais qui ne trouve pas de travail à l’image de ses nombreux collègues. Une
image dans le style du montage dialectique le montre face à des camions de
messagerie. Ce contraste entre le nouveau qui s’installe et l’ancien qui
agoniste constitue la trame du film. Une structure dichotomique qui oppose la
médina à la ville nouvelle, la machine au travail manuel, le bien et le mal.
Brahim est sans cesse confronté à des sollicitations contradictoires (la tentation
de verser dans la somnolence et le jeu de cartes) ; la rencontre avec la
jeune fille donne à son personnage une dimension éthique ; la rencontre se
fait près de la source d’eau. L’eau que nous retrouvons à plusieurs
reprises : la mer et le ciel ouvrent le film. Et c’est surtout l’eau du
bain qui va renforcer l’image de la renaissance et du nouveau départ. Les
porteurs vont décider en effet de sortir de leur léthargie et de rejoindre les
camps de travail lancés par le gouvernement. Avant, ils passent au bain mort se
faire une toilette, offrant l’une des premières images d’un bain maure dans le
cinéma marocain. On les voit ensuite traverser la ville nouvelle quittant
définitivement la marge de la ville où ils passaient leur journée dos au mur.
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