vendredi 26 septembre 2014

Brahim ou le collier de beignets

Brahim de Jean Fléchet


Brahim ou le collier de beignets est un  film de 1956, sorti en 1957, produit par le CCM et réalisé par Jean Fléchet. C’est le premier film à avoir représenté le Maroc dans une manifestation cinématographique internationale et non des moindres,  puisque Brahim a été choisi en 1957 par le ministère de l’information de l’époque de répondre à l’invitation du festival de Berlin. « Brahim » y a été projeté et a reçu un accueil public et critique élogieux. On rapporte que lors de la réception officielle qui a suivi la projection du film, l’ambassadeur de la France s’est retiré pour signifier son désaccord avec le film qui a omis de citer « la mission civilisatrice de la France au Maroc ».
Le film est en effet un hommage à un pays qui retrouve sa souveraineté, le titre en arabe est explicite dans ce sens, « Début et espoir » ! Ce n’est pas un film de propagande même s’il est émaillé de réflexions enthousiastes  sur le nouveau départ du pays. C’est un mélodrame tout imprégné de l’esthétique néoréaliste. La scène du prégénérique met en situation le récit qui vient et nous situe à la fin du ramadan de l’année de l’Hégire 1376 (qui doit correspondre au mois de mai 1956). Les préparatifs vont bon train pour la rupture du jeune avec l’image du canon que l’on charge montée en parallèle avec les images de l’attente du moment qui annonce la fin du jeûne et la fin du mois sacré. Le discours en voix off met en parallèle cet événement heureux l’aïd avec l’avènement d’une nouvelle ère, celle « de la liberté et de la résurgence » pour reprendre le jargon de l’époque repris par le commentaire dans une élocution très solennelle. Une emphase qui contraste avec les images sobres en noir et blanc signé du chef opérateur Ghislain Cloquet. Tout un discours moralisateur sur les vertus du ramadan accompagne l’entrée en lice des personnages tantôt réalistes, des images de gargsote populaires tantôt incarnés par des comédiens. On découvre ainsi, entre autres Hassan Skalli en jeune homme accompagné d’un enfant. Il lorgne du côté du marchand de beignets dans une image qui n’est pas sans rappeler les textes « ethnographiques » d’Ahmed Sefroui  dans sa description de l’ambiance de la Médina. La caméra suit le jeune homme lui conférant ainsi le statut de protagoniste ; c’est lui, Brahim qui donne son titre au film et les beignets passent pour un « plant », c’est-à-dire un signe récurrent qui jouera un rôle dans la suite du récit.  Le coup de canon lance le titre du film et le générique où nous retrouvons Hassan Skalli et une pléiade de noms dont notamment la jeune comédienne Fatima Abdelamlek, Hammadi Amor, Bacir El Alj, Larbi Doghmi, Tayeb Essdiki, Brahim Ouazzani…Le scénario est de Jean Pereau, écrivain français proche des nationalistes marocains et ami de Jena Fléchet ; les dialogues signés Brahim Sayeh et Ahmed Elal. La musique est composée par Abderrahim Sekkat. Tayeb Essediki est cité également comme conseiller artistique. Pour l’essentiel c’est une équipe rodée ayant déjà travaillé avec le réalisateur dans une série de films-sketches puisés du folklore marocain. La photo, rappelons-le,  a été confiée à Ghislain Cloquet qui venait de travailler avec Jacques Becker et sera un futur lauréat de l’Oscar avec le film Tess de Raman Polanski.
Le récit met en place un jeune homme, portefaix, un coolie mais qui ne trouve pas de travail à l’image de ses nombreux collègues. Une image dans le style du montage dialectique le montre face à des camions de messagerie. Ce contraste entre le nouveau qui s’installe et l’ancien qui agoniste constitue la trame du film. Une structure dichotomique qui oppose la médina à la ville nouvelle, la machine au travail manuel, le bien et le mal. Brahim est sans cesse confronté à des sollicitations contradictoires (la tentation de verser dans la somnolence et le jeu de cartes) ; la rencontre avec la jeune fille donne à son personnage une dimension éthique ; la rencontre se fait près de la source d’eau. L’eau que nous retrouvons à plusieurs reprises : la mer et le ciel ouvrent le film. Et c’est surtout l’eau du bain qui va renforcer l’image de la renaissance et du nouveau départ. Les porteurs vont décider en effet de sortir de leur léthargie et de rejoindre les camps de travail lancés par le gouvernement. Avant, ils passent au bain mort se faire une toilette, offrant l’une des premières images d’un bain maure dans le cinéma marocain. On les voit ensuite traverser la ville nouvelle quittant définitivement la marge de la ville où ils passaient leur journée dos au mur.



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