Mutations
…Et pendant ce temps là, le cinéma continue. Le cinéma
marocain continue de creuser son sillon, en effet, malgré un contexte
institutionnel pour le moins flou…à ne pas comprendre dans le sens du flou
artistique, mais plutôt politique. Oui carrément. C’est désormais un secret de
polichinelle de dire que depuis au moins deux ans, le cinéma subit, par défaut,
une sorte de blocage tendant à perturber son élan. Les initiatives tapageuses
qui ont été lancées sous prétexte de régulation du secteur ont été une manière
de rétrograder de vitesse, comme on dit pour un véhicule. Le silence officiel
sur la question des salles de cinéma qui se réduisent à vue d’œil est une
position politique implicite : pour ne pas attaquer le cinéma
frontalement, après l’échec et le ridicule
des tirs d’artillerie idéologique à partir de concepts stupides tel
l’art propre, on cherche pernicieusement à étouffer le cinéma par en bas, en
fermant les yeux sur la fermeture des salles ; rêvant de se réveiller un
jour avec un pays, pâle copie de « da3ichland », sans cinéma et sans
imaginaire ; sans rêve et sans évasion…sauf que le cinéma est une espèce
mythologique ; elle simule la disparition pour mieux apparaître. Tel le
phénix de la légende…
Le cinéma, encore une fois, continue. En opérant une mutation
en profondeur. Un nouveau cinéma marocain est en train d’éclore, d’advenir. Un
cinéma nouveau porté par une nouvelle génération. C’est la mutation stratégique
qui va transformer radicalement le paysage. C’est une hypothèse facilement
vérifiable par un chercheur objectif. Or le discours d’escorte du cinéma se
contente de ressortir à chaque occasion sa litanie sur le quantitatif et le
qualitatif…alors qu’un changement qualitatif est en passe de devenir la donne
majeure et la caractéristique fondamentale de la profession cinématographique
au Maroc. Plusieurs indices vont dans ce sens, en premier lieu l’éclipse de
toute une génération, celle des années 60 et 70 au bénéfice de nouvelles
générations arrivées dans le sillage des années 90. On peut partir d’un
paramètre institutionnel qui malgré les limites que l’on peut y déceler reste
un indicateur essentiel dans ce sens. Il s’agit d’une lecture transversale des
palmarès accumulés du festival national du film. Si l’on prend le critère du
Grand prix du FNF sur les dix dernières années, on relève des constatations qui
confirment l’hypothèse de la prise du pouvoir symbolique dans la profession du
cinéma par une nouvelle génération. Quels sont les noms que nous retrouvons en
tête du podium depuis 2005 ? (Date à partir de laquelle le festival va
s’institutionnaliser en s’installant définitivement à Tanger). Yasmine Kessari,
Ahmed Maanouni, Nabil Ayouch, Mohamed Mouftakir, Hakim Belabbès, Laila Kilani,
Nordine Lakhmari, Kamal Kamal. Si on élargit le podium à la deuxième place, on
verra l’apparition des noms de Faouzi Bensaïdi, Hicham Lasri, Mohamed Achaoer….en
d’autres termes, la dernière apparition d’un représentant des premières
générations remonte à 2007 avec Ahmed Maanouni avec son titre prémonitoire,
Cœurs brûlés !
Le palmarès n’indique pas forcément les tendances
réelles ; il obéit parfois à des contraintes contextuelles…mais il reste
un indice conforté par le suivi de la réalité du terrain. Dans l’autre
« palmarès » celui du guichet, deux noms émergent : Brahim
Chkiri et Mohamed Ahed Bensouda…
Autant d’éléments
structurels qui autorisent à penser qu’une génération est en train de décrocher
en termes d’expression d’imaginaire et de renouvellement esthétique. Déjà le
court métrage est en train de réussir sa mutation avec les grandes lignes qui
s’installent. Et pour le long métrage, le prochain rendez-vous du festival
national va encore accentuer l’expression de cette mutation. Il s’agit d’être
attentif aux signes annonciateurs des temps nouveaux.
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