« En
ce sens, la critique demande un engagement ; elle est risque, prise de
risque…Etre à la hauteur de l’œuvre critiquée. Qui elle-même doit être à la
hauteur de l’analyse proposée »
J.-L. Comolli
Le
cinéma nous ouvre des horizons qui sont fondamentalement et essentiellement des
horizons de pensée. Un bon film, un film qui plaît, un film qui fait que notre
vie ne sera plus la même après l’avoir vu…est déjà la promesse d’un bon texte. Ecrire sur le cinéma, c’est s’inscrire dans
une logique de transfert et d’échange. Car écrire sur un film, c’est développer
à partir de ces hypothèses une pensée qui dialogue avec une autre pensée ;
développer des images autour d’autres images. Une rhétorique face à une autre.
Le
discours critique a trop souffert d’absence de légitimité. Celle-ci n’est
jamais acquise une fois pour toute ; la critique doit la forger à chaque
exercice. Pour dire finalement que la légitimité de l’acte critique est une
émanation de sa propre logique d’écriture. Comme texte disposant d’une
autonomie ; dans son dialogue franc avec le texte source (le film). Bref,
c’est une légitimité qui n’est pas le résultat d’un consensus ou d’une reconnaissance institutionnelle. Elle est
immanente au discours qui la porte.
Dans
le cas de figure marocain, la critique cinématographique demeure un projet.
Elle a ses repères, sa figure initiatrice, mais elle a souffert des aléas qui
ont été ceux du cinéma marocain lui-même, si ce n’est ceux du champ culturel. Longtemps,
elle a souffert pour se constituer en
sujet. Se construire un objet pour devenir sujet. Tel a été le programme. Une
dialectique qui a fini par laisser des traces. Certains y ont perdu espoir et
ont évacué le terrain ; d’autres y font des intrusions par intermittence
comme des sorties récréatives. Désertion, poursuite d’autres chants de sirène.
Très peu ont résisté. Occasion ici de rendre hommage à Nour Eddine Saïl, le
maître fondateur ; celui qui a cru ;
continue de croire et a permis à plusieurs générations d’y croire : par le
fait même qu’il soit là ; qu’il continue à exercer, ici, ailleurs, sur tel
front ou tel autre; son abnégation, son amour pour le cinéma font œuvre
didactique car elles font œuvre de transmission ; transmettre ce
message : oui, dans ce pays il y a
une place pour la cinéphilie ; une place pour la culture
cinématographique. Cela, on ne l’oubliera jamais. Certes, le commerce autour
des images peut paraître aujourd’hui évident alors que les DVD piratés et les
VCD de mauvaises qualités encombrent les trottoirs, et polluent les écrans.
C’est vite oublier qu’on revient de loin ; oublier ces terribles années de
sécheresse, la traversée du désert où trouver un film de qualité relevait de
l’exploit. Où parler de cinéma relevait d’une forme d’hérésie. Mais la résistance finit toujours par
rencontrer l’espoir.
La
contrainte ne fut pas seulement externe. Au sein même du champ du discours sur
le cinéma, il a fallu, comme il faut toujours, sauvegarder le cinéma dans ce
qui constitue son essence : le cinéma. Le cinéma, pour paraphraser J.-L.
Godard, c’est comme le foot, tout le monde peut en parler. Un combat qui rejoint toute une tradition de
l’histoire du cinéma : la lutte contre les annexions extérieures, contre
le théâtre, le roman. Au Maroc aussi, toute une production académique
d’inspiration littéraire a inondé la pratique critique cinématographique.
C’était le cinéma label de modernité. Un intérêt strictement discursif, loin de
la pratique de base de tout critique qui se respecte, à savoir voir les films,
échanger et discuter autour des films.
Le tri s’est fait de lui-même. Et la critique retrouve ses lettres de noblesse
dans le sillage de la dynamique générale qui traverse le champ du cinéma. Maintenant
c’est à elle de faire ses preuves. De se constituer en discours.
Quand
j’écris sur un film, en filigrane il y a une ligne de conduite. En premier lieu
ce que Jean Douchet a appelé l’art d’aimer. Il n’y a pas d’acte critique sans
désir ; le désir de l’autre, du film. A l’origine de l’écriture, il y a le
désir de posséder l’objet du désir, de le transformer en objet théorique. Aimer
puis finir par théoriser son amour.
Certes,
le choix de la visée critique portée par la fonction référentielle,
informative, contraint à un usage modéré du métalangage théorique. Il n’empêche
que celui-ci me paraît essentiel non par volonté d’opacité mais par ambition de
couper court à un certain amateurisme qui banalise le discours critique. La
théorie pour couper court au discours démagogique qui dit une chose et son
contraire. La théorie pour se prémunir des stratégies de marketing qui
formatent les écrits et manipulent les esprits. Quand je dis théorie, je me
réfère prioritairement aux acquis de la sémiocritique. Sur la base de postulats
sémiotiques pour qui l’activité signifiante des textes filmiques désigne le
lieu réel où se jouent –sur la base de production de sens- les enjeux à la fois
sociaux, esthétiques et idéologiques d’une œuvre. La sémiocritique détermine un
rapport particulier au film/texte, à l’opposé du mode de consommation
« habituel » puisque elle implique la suspension du mouvement, l’arrêt
sur image. Arrêter, revenir en arrière, repartir, passer d’un segment à
l’autre : le film ne défile plus au rythme prévu par l’industrie cinématographique.
Le critique –analyste se le réapproprie pour le constituer en nouvel objet.
Mais
il y a aussi une critique de l’urgence, celle de la réception quotidienne. Le
film devient événement qui me force à répondre, à me positionner, à privilégier
tel aspect ou tel autre du film pour en parler. Le tout sans prétention
d’exhaustivité mais dans la permanence du désir. Oui, permanent, comme le
souvenir de ces séances de projection permanentes des salles de de cinéma de notre enfance.
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