Afrique
sur seine !
Avec
un peu de retard, on revient sur le palmarès de la dernière édition du festival
panafricain d’Ouagadougou qui a vu le Maroc décrocher une place d’honneur avec
une bonne récolte dont le grand prix pour le long métrage. Performance accueillie
avec grande satisfaction par les milieux du cinéma (voir le communiqué du CCM à
ce propos) et bien au-delà. C’est toujours réconfortant de voir son pays
triompher…et le cinéma n’arrête pas de donner au Maroc des moments de bonheur.
Cependant
avec le recul, et après l’euphorie de la victoire, on peut tenter une lecture
interrogative de cette séquence suffisamment inédite pour susciter de la
curiosité. Qu’est-ce que le palmarès d’Ouagadougou nous apprend sur le cinéma
marocain ? Qu’est-ce que ce palmarès nous apprend sur le cinéma africain
et surtout sur le devenir du festival phare de ce cinéma, le Fespaco ?
Car, si le palmarès mérite de la part des Marocains tout l’intérêt qu’il se
doit, c’est la quatrième fois dans l’histoire de ce festival que le royaume
décroche la consécration suprême et c’est l’une des rares fois qu’un pays en
repart avec quatre récompenses dont celles du meilleur long métrage et du
meilleur court métrage, les observateurs ont noté également que les choix
opérés par le jury de l’édition 2015 inaugure une page nouvelle dans
l’évolution du festival. Page dont les prémices ont commencé avec la décision
d’ouvrir la compétition officielle pour la première fois aux films issus de la
diaspora africaine dans le monde. Ce qui est comme on va le voir un indicateur
de taille sur l’état du cinéma africain aujourd’hui
Mais
qu’est-ce que cela nous apprend sur le cinéma marocain ? D’abord, on peut
relever son dynamisme et l’activisme de ces figures les plus marquantes. Si le
Maroc est parvenu à décrocher autant de récompenses, c’est la résultante d’un
ensemble de facteurs – qui ne sont pas exclusivement inhérents à la qualité des
films inscrits en compétition. Il y a eu en effet des précédents historiques où
le Maroc était représenté à Ouagadougou par des films importants et qui ont été
ignorés par les jurys de l’époque. Un
jury est une entité vivante qui interagit avec son environnement. Envoyer des
films, tels quels, dans l’arène de la compétition en comptant uniquement sur
leur apport intrinsèque relève de la naïveté. Il faut tout un travail sur cet
environnement. C’est ce que les Américains appellent du lobbying à qui ils ont
reconnu un statut juridique inscrit dans les mœurs comme un acquis
constitutionnel. A Ouagadougou cela aussi joue, même si ce n’est écrit nulle
part. Saluons alors tout un travail, discret et finalement efficace, qui a été
mené par les Marocains du cinéma et…d’autres secteurs. Et nos concitoyens ont
été très présents à Ouaga. A commencer par le plus africain de nos cinéphiles,
Nour-Eddine-Saïl qui est dans un festival de cinéma africain comme un poisson
dans l’eau. Les professionnels africains lui doivent beaucoup et lui sont dans
ce sens reconnaissants, plus peut-être que ses compatriotes. Ce qui ne
l’empêche nullement d’être un défenseur acharné, au-delà de ses propres goûts,
du cinéma marocain. Il y a eu aussi la présence fort remarquée du nouveau
directeur du CCM, M. Sarim Fassi Fihri qui, malgré les contraintes de l’agenda,
le festival national se chevauchant pratiquement avec le Fespaco, a tenu à être
présent. La politique de la chaise vide
n’est jamais une bonne diplomatie. Cela en outre lui permet d’étoffer son
carnet d’adresses et surtout de rassurer les professionnels africains sur la
continuité de la politique africaine du CCM . Et cela ne s’oublie pas quand il
s’agit d’établir un palmarès qui est ne l’oublions pas l’occasion d’envoyer des
messages à qui de droit ! Il y a en outre l’action certaine des Marocains
du jury, Lahcen Zinoun pour le long métrage et Daoud Aoulad Syad pour le court
métrage. Connus pour leur générosité et
leur ouverture d’esprits (le hasard fait que ce sont des cinéastes et
artistes : l’un est chorégraphe, l’autre est photographe) ils ne viennent
pas avec un regard corporatiste !. À signaler la présence active de
l’Esav, école de cinéma marrakchie qui a compris très tôt l’importance de
l’ouverture sur l’Afrique sub-saharienne et l’un de ses lauréats a été
justement récompensée. A ne pas oublier la présence symbolique mais très utile
du festival de Khouribga qui jouit d’un grand prestige et qui joue comme un
contre-champ prometteur.
Mais
un autre acteur extra –cinématographique a été d’un apport décisif. Il s’agit
de la compagnie nationale du transport aérien qui a intelligemment contribué à
ce succès en intervenant comme transporteur officiel de tous les invités
internationaux du festival. Une contribution essentielle au moment où le pays
frère connaissait une période délicate de son histoire et au moment où les
anciennes puissances coloniales commencent à être près de leurs sous. Le geste
de la RAM a donné d’emblée ses fruits. Une démarche à maintenir et à
développer.
Ce
soutien à la dimension internationale du festival coïncide d’ailleurs avec
l’ouverture du FESPACO sur les films de la diaspora. Ouverture qui a été
consacrée par l’attribution de l’Etalon d’or à un film, Fièvres de Hicham
Ayouch, où il n’y a aucune image africaine, dans le sens topographique du mot.
L’histoire du film ayant pour cadre une ville française et le cinéaste lui-même
étant binational, franco-marocain comme l’on dit désormais pour les
footballeurs. C’est une première inédite pour un festival né pour célébrer
l’Afrique et ses images. Cela en dit tant sur l’évolution des mentalités et
surtout du cinéma.
Cela
nous renvoie symboliquement aux premiers temps du cinéma africain. Les
historiens de ce cinéma aiment à citer comme premier film africain, (l’Afrique
francophone et subsaharienne) le court métrage, Afrique sur Seine de Paulin
Soumlanou Vieyra, tourné à Paris en 1955. Soixante ans plus tard, c’est un
autre africain, Hicham Ayouch qui filme des personnages de filiation africaine
mais dans un autre contexte social et culturel et dans un espace qui n’est plus
celui des origines. L’Afrique désormais un concept cinématographique et non
plus géographique !
Cette
ouverture du Fespaco sur le cinéma de la diaspora offre plusieurs possibilités
de lecture. Elle indique de toutes les manières que nous sommes en phase d’une
grande mutation qui s’opère. Un nouveau cinéma africain a vu le jour à Ouaga.
Et ce n’est pas un hasard si le Maroc en est le porte drapeau
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