De la signification à la
signifiance
Au départ, il y a avait un court
texte publié dans un hebdomadaire français, En sortant du cinéma ; en fait
cela va se révéler être finalement un extrait du célèbre texte éponyme, publié
dans la revue Communications…Puis ce fut un autre texte qui m’avait frappé
cette fois par sa dédicace ; il s’agit du non moins célèbre « Le troisième
sens » publié d’abord dans Les cahiers du cinéma et que Roland Barthes a
dédié à Nour-Eddine Saïl. Un geste de marocanité de Barthes. L’auteur de
L’empire des signes dont nous célébrons cette année le centenaire, il est né en
1915 ; mort en 1980 (des suites d’un accident de circulation à Paris alors
qu’il se rendait au collège de France), aimait le Maroc et y a vécu et
travaillé. Il a enseigné notamment à l’université de Rabat en 1969/1970. Cette
marocanité se déploie cependant à travers tout un faisceau de signes qui
traversent le temps et l’espace pour s’inscrire dans un imaginaire nourri par
des attirances, des influences mutuelles. Un colloque a été organisé d’ailleurs
ne 2012, sous l’égide du ministère de la culture marocain pour tenter de lire
ce texte-intertexte qu’est l’actualité de Barthes au Maroc. En 2010,
l’université de Meknès avait également travaillé autour du thème Barthes au
Maroc. On sait aussi qu’il avait des relations d’amitiés et de connivences
« textuelles » avec des intellectuels marocains, Nour-Eddine Saïl
autour de la cinéphilie et d’Eisenstein notamment et avec Abdelkébir Khatibi autour
de la lecture des signes par le bais de la poésie et de la revue Souffles. Des
villes marocaines avaient sa préférence comme Mazagan/ El-Jadida, Tanger…De
cette expérience marocaine, sortira un livre, Incidents, fait de fragments et
d’aphorismes nés d’un regard appliqué à la réalité marocaine.
Mais, la marocanité de Barthes,
c’est principalement cet immense héritage théorique qui connaitra son apogée à
la fin des années 70, début des années 80 avec la réappropriation de la
démarche de Barthes dans le champ de la critique littéraire marocaine. Plus
barthésien que moi tu meurs…Quelle application au cinéma ? Je renvoie à
deux dimensions qui semblent appropriés pour une lecture barthienne du cinéma
marocain. Le troisième sens et la distinction opérée entre l’effet de réel et
l’effet de fiction.
Le
troisième sens
Dans son analyse publiée sous le
titre l’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes (le goût du filmique), Raymonde
Carasco note que R.B « n’a jamais déployé le thème cinéma. Il s’en est
tenu aux formes brèves… ». Un texte cependant tranche avec ce constat juste,
celui consacré à ce que R.B a sous-titré par « notes de recherches sur
quelques photogrammes » tirés du film Ivan le terrible du maître
historique du montage, le soviétique S.M Eisenstein et que Les cahiers du
cinéma ont publié sous le titre le troisième sens.
Sa lecture aujourd’hui est
toujours stimulante et offre au critique et aux cinéphiles une démonstration
tout autant instructive que séduisante. Le filmique porté par ce
« troisième sens » guetté par le sémiologue apparaît comme un horizon
d’éloquence et de richesse que le cinéma porte en filigrane et que la quantité
des films qui circulent n’expriment ou n’atteignent que rarement. Cela
transcende les niveaux de sens qu’offrent d’emblée le film. A savoir, un
premier niveau que Barthes intitule, le niveau informatif, celui de la
communication que livrent les éléments dramatiques : les décors, les
personnages…. Un autre niveau à évacuer, celui le niveau symbolique ; il
correspond grosso modo à celui de la signification ; le symbolisme peut
être référentiel, historique, diégétique ou propre à l’autre, eisensteinien
nous dit Barthes par rapport à l’exemple étudié (des photogrammes de Ivan le
terrible).
Ce n’est pas tout. Il y a un
troisième niveau, un troisième sens qui vient vers moi ; il possède une individualité
théorique ; il contraint à une lecture interrogative ; Barthes nous
met sur une piste encore plus excitante : l’interrogation porte
précisément sur le signifiant, non sur le signifié, sur la lecture, non sur
l’intellection : c’est une saisie poétique. Il propose alors de nommer ce
niveau, celui de la signifiance. Une entrée pour la constitution d’une
cinémathèque idéale autour du goût filmique qu’il faut traquer/chercher au sein
de la quantité de films qui circulent : un troisième sens contraint d’émerger
hors d’une civilisation de signifiés. Un programme d’actualité plus que jamais.
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