vendredi 6 mars 2015

Bilan du festival national du film (1ère partie)

Pour un FNF bisannuel


Comment aborder le bilan de la dernière édition du festival national du film ? Je suis convaincu que chaque position émise émane et porte les stigmates du lieu où elle est énoncée. « Qui parle ? D’où ça parle ? Qu’est-ce que ça parle » me semble être les questions guides de toute approche. D’autant plus qu’en ce qui me concerne, à titre personnel, j’aborde le festival cette année d’un autre point de vue. Je suis passé, en effet, du statut de l’acteur – directeur artistique ou pour parler le jargon administratif du CCM, coordonnateur du FNF pendant plusieurs années- au statut de l’observateur. Un observateur non pas tout à fait neutre mais plutôt porté par un regard si ce n’est critique du moins cinéphile. L’entreprise dans tous les cas de figure fut insolite, passionnante et édifiante. Pour m’aider à décrypter les multiples signes émanant du festival dans ses différentes expressions, les films bien sûr et en priorité mais aussi tout ce qui relève du relationnel et du comportemental, je me suis servi d’une riche boîte à outils théoriques multi-référentielle et où nous retrouvons des maîtres dans leur champ d’intervention. C’est ainsi que durant tout le festival, j’avais des compagnons de choix.  Je précise tout de suite que ce ne fut pas délibéré de ma part ; c’est juste le hasard de mes lectures du moment et de l’offre de la librairie qui était proche de mon hôtel. Mes compagnons tangérois furent donc : Le commandeur des croyants de John Waterbury, Raisons pratiques de Pierre Bourdieu, Les chroniques de Abdellah Laroui…au terme d’une semaine de festival, je me suis aperçu qu’il manquait une autre référence, pour encore mieux saisir ce que j’observais, Freud ! 



Car indéniablement l’édition 2015 du festival national du film s’est déroulée sous le signe du maître viennois, animée par le désir/ la hantise de la figure du père : comment tuer le père ? Comment effacer ces traces ? Comment sortir de son manteau ?  Cela a surdéterminé le comportement des uns au-delà des aspects organisationnels pour  toucher à l’ensemble des composantes du festival y compris pour dicter certaines attitudes à l’égard de tel film ou tel autre…
Bref j abordais le festival et je le vivais comme une véritable situation ethnographique comme la définit le spécialiste marocain Hassan Rachik.  Le soir dans ma chambre je notais les références et les paramètres d’analyse. La journée me fournissait l’occasion d’accumuler des notes sur les dispositions, les comportements, les discours et les réactions des uns et des autres. Ce fut un moment intense riche en enseignement sur la nature humaine, sur « l’âme » marocaine tant le microcosme des festivaliers réagissait comme dans un laboratoire. J’avais devant moi en grandeur nature des illustrations éclairant les thèses des maîtres de référence. Il est ahurissant de constater l’actualité, la pérennité des observations faites il y a des décennies sur, par exemple, les comportements des élites telles qu’elles furent analysées par John Waterbury. Des élites au comportement qui rappelle le style observé chez les tribus fonctionnant selon le principe de « segmentarité ». Un descriptif qui sied comme un gant à la tribu du cinéma, reproduisant les traits communs relevés par Waterbury : une identité versatile qui change en fonction des situations ; les alliances et les amitiés éphémères. Un sujet peut être ami aujourd’hui et devenir ennemi demain. Toute audace ou prise de position originale peut aboutir à l’isolement et à la rupture des alliances…Tout est aléatoire et rien n’est définitif. Tout reste tributaire de la situation…et comme celle-ci change, les gens changent avec. On dirait que Waterbury était au café du coin qui jouxte la salle Roxy !

Une ambiance sciemment entretenue par ceux qui se nourrissent de tension alors même que le festival a depuis longtemps son programme génétique qui finit toujours par transcender les contingences. Une situation particulière qui peut donner l’occasion à une nouvelle réflexion : il est peut-être temps de revoir la formule qui commence à donner des signes d’essoufflement notamment en termes de progression dans le niveau général des films présentés. L’impression générale qui se dégage est que le festival impose à la profession un rythme auquel elle ne peut répondre convenablement.
Dans le sillage de cette réflexion nécessaire sinon vitale, trois propositions me semblent s’imposer au lendemain de la 16ème édition du festival national du film :
La première : il est urgent de doter le festival d’un organigramme autonome et permanent. D’abord pour qu’il soit conforme aux dispositions du cahier des charges édicté par la commission nationale de subvention des festivals. Ensuite pour que le festival ne soit plus le terrain de règlement de compte entre les différentes factions de la profession. Un cinéaste qui se respecte ou un producteur professionnel n’a rien à faire dans un comité d’organisation ; leur place naturelle est de faire des films…
 En Outre le FNF est désormais un festival comme les autres qui vient plaider sa cause devant la commission et pour se faire, il doit être en adéquation avec ce que celle-ci exige des autres festivals.  Un organigramme transparent avec des responsabilités clairement définies ; avec notamment un président qui n’est autre que le Directeur du CCM ; un directeur artistique engagé pour une durée déterminée ; un directeur de production, le responsable de la logistique au sein du CCM et un chargé de communication. Cela va permettre au festival d’avoir sa personnalité, une identité propre au lieu que celle-ci soit diluée derrière le recours à moult commissions ou à des pratiques ridicules comme le tirage au sort !
La deuxième : notre seconde proposition concerne la périodicité du festival. Au terme d’une expérience de dix ans, il me semble plus pertinent, voire plus sage d’opter pour un festival tous les deux ans (bisannuel). Plusieurs arguments plaident en faveur d’une telle périodicité. Maintenant que la présélection est devenue un principe acquis, il est absurde de l’appliquer sur un nombre total de 20 films ou 22 ou même 25. Sur deux ans, une présélection serait plus logique et répondrait à des critères plus précis. Elle porterait sur un nombre plus consistant de films. La présélection appliquée cette année n’a apporté aucune valeur ajoutée : le festival est toujours aussi long (dix jours, c’est beaucoup ; la compétition officielle est une véritable auberge espagnole où il n’y a aucune logique. Des films sont là uniquement pour meubler le décor sans aucune ambition de figurer au palmarès (Tala Hadid versus Abdellah Ferkouss ???? !!!!.). Une vraie présélection réduirait la durée du festival (six jours au maximum) et une réduction des coûts. En outre, avec une édition en moins tous les deux ans c’est une enveloppe de cinq millions de dirhams de gagnés (de quoi financer un long métrage et 10 courts métrages) !
La troisième proposition consiste à installer le festival définitivement à Casablanca ; c’est la meilleure façon de lui assurer un nouveau départ et de calmer les ardeurs de ceux qui s’acharnent (dans leur hantise de tuer le père) à le voir délocalisé de Tanger ; une forte pression est menée en effet pour revenir à un festival itinérant. Une manière de lui faire perdre toute crédibilité artistique au bénéfice d’un choix démagogique qui a montré ses limites en 2003.


1 commentaire:

awissal a dit…

Très fine analyse. Bravo.

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