Pour un FNF bisannuel
Comment aborder le bilan de la
dernière édition du festival national du film ? Je suis convaincu que
chaque position émise émane et porte les stigmates du lieu où elle est énoncée.
« Qui parle ? D’où ça parle ? Qu’est-ce que ça parle » me
semble être les questions guides de toute approche. D’autant plus qu’en ce qui
me concerne, à titre personnel, j’aborde le festival cette année d’un autre
point de vue. Je suis passé, en effet, du statut de l’acteur – directeur
artistique ou pour parler le jargon administratif du CCM, coordonnateur du FNF
pendant plusieurs années- au statut de l’observateur. Un observateur non pas
tout à fait neutre mais plutôt porté par un regard si ce n’est critique du
moins cinéphile. L’entreprise dans tous les cas de figure fut insolite,
passionnante et édifiante. Pour m’aider à décrypter les multiples signes
émanant du festival dans ses différentes expressions, les films bien sûr et en
priorité mais aussi tout ce qui relève du relationnel et du comportemental, je
me suis servi d’une riche boîte à outils théoriques multi-référentielle et où
nous retrouvons des maîtres dans leur champ d’intervention. C’est ainsi que
durant tout le festival, j’avais des compagnons de choix. Je précise tout de suite que ce ne fut pas
délibéré de ma part ; c’est juste le hasard de mes lectures du moment et
de l’offre de la librairie qui était proche de mon hôtel. Mes compagnons
tangérois furent donc : Le commandeur des croyants de John Waterbury,
Raisons pratiques de Pierre Bourdieu, Les chroniques de Abdellah Laroui…au
terme d’une semaine de festival, je me suis aperçu qu’il manquait une autre
référence, pour encore mieux saisir ce que j’observais, Freud !
Car
indéniablement l’édition 2015 du festival national du film s’est déroulée sous
le signe du maître viennois, animée par le désir/ la hantise de la figure du
père : comment tuer le père ? Comment effacer ces traces ?
Comment sortir de son manteau ?
Cela a surdéterminé le comportement des uns au-delà des aspects
organisationnels pour toucher à
l’ensemble des composantes du festival y compris pour dicter certaines
attitudes à l’égard de tel film ou tel autre…
Bref j abordais le festival et je
le vivais comme une véritable situation ethnographique comme la définit le spécialiste
marocain Hassan Rachik. Le soir dans ma
chambre je notais les références et les paramètres d’analyse. La journée me
fournissait l’occasion d’accumuler des notes sur les dispositions, les
comportements, les discours et les réactions des uns et des autres. Ce fut un
moment intense riche en enseignement sur la nature humaine, sur
« l’âme » marocaine tant le microcosme des festivaliers réagissait
comme dans un laboratoire. J’avais devant moi en grandeur nature des
illustrations éclairant les thèses des maîtres de référence. Il est ahurissant
de constater l’actualité, la pérennité des observations faites il y a des
décennies sur, par exemple, les comportements des élites telles qu’elles furent
analysées par John Waterbury. Des élites au comportement qui rappelle le style
observé chez les tribus fonctionnant selon le principe de
« segmentarité ». Un descriptif qui sied comme un gant à la tribu du
cinéma, reproduisant les traits communs relevés par Waterbury : une
identité versatile qui change en fonction des situations ; les alliances
et les amitiés éphémères. Un sujet peut être ami aujourd’hui et devenir ennemi
demain. Toute audace ou prise de position originale peut aboutir à l’isolement
et à la rupture des alliances…Tout est aléatoire et rien n’est définitif. Tout
reste tributaire de la situation…et comme celle-ci change, les gens changent
avec. On dirait que Waterbury était au café du coin qui jouxte la salle
Roxy !
Une ambiance sciemment entretenue
par ceux qui se nourrissent de tension alors même que le festival a depuis
longtemps son programme génétique qui finit toujours par transcender les
contingences. Une situation particulière qui peut donner l’occasion à une nouvelle
réflexion : il est peut-être temps de revoir la formule qui commence à
donner des signes d’essoufflement notamment en termes de progression dans le
niveau général des films présentés. L’impression générale qui se dégage est que
le festival impose à la profession un rythme auquel elle ne peut répondre
convenablement.
Dans le sillage de cette
réflexion nécessaire sinon vitale, trois propositions me semblent s’imposer au
lendemain de la 16ème édition du festival national du film :
La première :
il est urgent de doter le festival d’un organigramme autonome et permanent.
D’abord pour qu’il soit conforme aux dispositions du cahier des charges édicté
par la commission nationale de subvention des festivals. Ensuite pour que le
festival ne soit plus le terrain de règlement de compte entre les différentes
factions de la profession. Un cinéaste qui se respecte ou un producteur
professionnel n’a rien à faire dans un comité d’organisation ; leur place
naturelle est de faire des films…
En Outre le FNF est désormais un festival
comme les autres qui vient plaider sa cause devant la commission et pour se
faire, il doit être en adéquation avec ce que celle-ci exige des autres
festivals. Un organigramme transparent
avec des responsabilités clairement définies ; avec notamment un président
qui n’est autre que le Directeur du CCM ; un directeur artistique engagé
pour une durée déterminée ; un directeur de production, le responsable de
la logistique au sein du CCM et un chargé de communication. Cela va permettre
au festival d’avoir sa personnalité, une identité propre au lieu que celle-ci
soit diluée derrière le recours à moult commissions ou à des pratiques
ridicules comme le tirage au sort !
La deuxième :
notre seconde proposition concerne la périodicité du festival. Au terme d’une
expérience de dix ans, il me semble plus pertinent, voire plus sage d’opter
pour un festival tous les deux ans (bisannuel). Plusieurs arguments plaident en
faveur d’une telle périodicité. Maintenant que la présélection est devenue un
principe acquis, il est absurde de l’appliquer sur un nombre total de 20 films
ou 22 ou même 25. Sur deux ans, une présélection serait plus logique et
répondrait à des critères plus précis. Elle porterait sur un nombre plus
consistant de films. La présélection appliquée cette année n’a apporté aucune
valeur ajoutée : le festival est toujours aussi long (dix jours, c’est
beaucoup ; la compétition officielle est une véritable auberge espagnole
où il n’y a aucune logique. Des films sont là uniquement pour meubler le décor
sans aucune ambition de figurer au palmarès (Tala Hadid versus Abdellah
Ferkouss ???? !!!!.). Une vraie présélection réduirait la durée du
festival (six jours au maximum) et une réduction des coûts. En outre, avec une
édition en moins tous les deux ans c’est une enveloppe de cinq millions de
dirhams de gagnés (de quoi financer un long métrage et 10 courts
métrages) !
La troisième
proposition consiste à installer le festival définitivement à Casablanca ;
c’est la meilleure façon de lui assurer un nouveau départ et de calmer les
ardeurs de ceux qui s’acharnent (dans leur hantise de tuer le père) à le voir
délocalisé de Tanger ; une forte pression est menée en effet pour revenir
à un festival itinérant. Une manière de lui faire perdre toute crédibilité
artistique au bénéfice d’un choix démagogique qui a montré ses limites en 2003.
1 commentaire:
Très fine analyse. Bravo.
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