C’est Thelma
et Louise, version tangéroise ! Malika et Amal, deux jeunes femmes qui
décident de rompre le cercle infernal et de donner à leur destin un autre
tournant ! Et si le film de Ridley Scott était la confirmation de deux
stars, Susan Sarandon et Geena Davis, au faîte de leur gloire ; le film de
Sean Gullette confirme deux valeurs montantes de notre paysage
cinématographique, Chaimae Benacha et Sofia Issami.
La première
était la révélation de Malak de Abdeslam Kelai, décrochant pour ce premier
essai le prix d’interprétation à Tanger ; la seconde n’est autre que
Badia, la bombe en mouvement de Sur la planche de Leila Kilani et qui a
tellement bouleversé le jeu classique de nos comédiennes que les Cahiers du
cinéma lui ont consacré un texte se demandant ce qu’elle était devenue.
Le film de
Sen Gullette, « Traitors », n’est pas « traître » à cette
double filiation. Il est émaillé de clins d’œil à Malak et à Sur la planche.
Lors de leur retour, en duo de la périlleuse mission, voyage qui a conforté
leur complicité féminine, Amal (Sofia Issami) raconte à Malika (Chaimae
Benacha) son histoire d’amour et lui confie surtout qu’elle est enceinte. Ce
qui donne lieu à un tournant dramatique du récit quant Malika, en caméra
rapprochée lui demande ardemment de garder son bébé et pour ce faire de quitter
« cette poubelle », de fuir : pour le cinéphile averti, il a
l’impression que c’est Malak du film éponyme qui revient pour rapporter son
expérience à Amal. Malika/Malak : une anagramme portée en outre par la
même comédienne !
Autre clin
d’œil cette fois à Sur la planche avec le personnage central de Badiaâ
interprétée par Sofia Issami et qui est Amal dans Traitors. Chargée, avec
Malika, de ramener de la drogue cachée soigneusement dans différentes parties
de la voiture, lors de cette opération de camouflage, Amal en profite de temps
en temps pour sniffer à l’abri des trafiquants…Mais c’est ne pas connaître la
puissance d’Alhaj (Driss Roukhe), le big boss, qui s’en aperçoit en cours de
route, fait sortir Amal de la voiture, lui assène des coups devant Malika terrifiée
et surtout l’arrose d’eau pour débarrasser son corps de toute odeur
compromettante…une opération de lavage comme le rituel quotidien de Badiaâ dans
Sur la planche : un bain chaque soir
pour débarrasser son corps des odeurs. Ici les crevettes ; là, la
poudre blanche…avec le même résultat, le corps féminin, suspect, incriminé. Le
corps qui contribue à l‘écriture de la dramaturgie du nouveau cinéma
marocain et que confirment Malika et Amal de Traitors.
Le parcours de
Malika est orienté par des rencontres essentielles. Lors d’une belle scène
d’exposition, on la découvre comme leader d’un groupe de musique punk-rock
qu’elle radicalise dans le sens social en puisant dans la thématique du
quotidien. Il y a de quoi ! Elle-même appartient à une famille en détresse
sociale, un clin d’œil aux classes moyennes inférieures écrasées par les
différentes échéances et les charges nées des mutations violentes qui secouent
le corps social. Le film brosse à ce niveau un tableau poignant de la jeunesse
urbaine perdue dans ce marasme généralisé. La première rencontre fondatrice
dans le programme narratif de la jeune héroïne a lieu avec la productrice ; elle aime la
musique du jeune groupe « mais elle n’est pas un guichet
automatique » ; pour accompagner le groupe, enregistrer un album il
faut une avance pour les frais de studio à Casablanca. Où trouver la somme
nécessaire ? Premier obstacle qui va fonctionner comme élément déclencheur
et révéler la personnalité de Malika ; quand ses amies proposent de faire
des économies sur leurs maigres salaires, elle penche plutôt pour autre chose.
Car il y a urgence. Elle s’aventure dans une arnaque qui n’aboutit pas mais qui
sera l’occasion de la deuxième rencontre fondatrice, celle avec Samir. C’est
lui qui va lui proposer un contrat risqué mais juteux. Ayant découvert ses
talents de mécanicienne, il lui propose de conduire une voiture pour ramener
« de la marchandise précieuse ». Un voyage qui lui permet de boucler
la liste de ses rencontres avec sa complice Amal. Un aller-retour au pays de la
contrebande et du trafic de drogue qui se déroule comme un examen de passage
pour ses deux jeunes femmes acculées à l’extrême pour enfin être
elles-mêmes : Amal quitte le giron de ses pseudo-protecteurs pour aller
rencontrer son destin et Malika sauver sa famille et réaliser son rêve de
produire un album.
Ce programme
« féminin » sauve le film et l’empêche de se réduire à un catalogue
de clichés sur le Tanger by night.
Mohammed Bakrim
Traitors de
Sean Gullette, Maroc – Usa, 86 mn, 2013 ; avec Chaimae Benacha, Sofia
Issami, Driss Roukhe, Salah Ben Salah, Mourade Zguendi, Nadia Niazi…
Distribué
par Najib Benkirane
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