Cinéma africain à Khouribga
Le cinéma est encore possible !
Face à la rude concurrence
imposée par un mondial qui démarre en trombe, la cérémonie d’ouverture de la 17ème
édition du festival du cinéma africain n’a pas trop souffert et a tenu toutes
ses promesses et les différents intervenants ont en profité pour envoyer des
signaux à qui de droit ; y compris des intervenants officieux comme ces militants locaux des
droits humains qui ont profité de la visibilité du festival pour venir à la
périphérie du complexe culturel dire et
rappeler leurs revendications…mais le tout dans une sérénité et sans entamer
l’enthousiasme chaleureux de la population, à l’image du climat (cette fois
naturel) qui règne sur la ville. Les aspects protocolaires et officiels du
cérémonial d’ouverture ont été agrémentés cette année de la prestation
fortement appréciée par les festivaliers d’une troupe locale des fameux Abidate
Rma avec une touche chorégraphique initiée par notre artiste Lahcen
Zinoun ; une troupe de danse ivoirienne Move Africa est venue prolonger
cette ambiance du terroir et le colorier d’une touche originale. La Côte
d’ivoire a été fêtée justement comme le pays invité de cette édition avec un
hommage appuyé signé Nour Eddine Saïl, président de la fondation du festival du
cinéma africain de Khouribga qui a rappelé les connexions entre le cinéma et la
démocratie ; le dynamisme et le volontarisme des actuels dirigeants
ivoiriens pour relancer leur cinéma et les relations dans ce domaine avec le
Maroc montrent que « le cinéma est encore possible ». Les films sont
l’expression d’une démocratie en marche et les cinéastes ont besoin de liberté
pour s’exprimer et exprimer l’imaginaire de leur société et là souligne-t-il « c’est
un enjeu stratégique qui transcende les personnes et même telle institution ou
telle autre ; le cinéma comme enjeu d’un Etat qui construit son projet
national ». Un représentant de l’ambassade de la Côte d’ivoire à Rabat, le
chargé des affaires culturelles, a reçu un trophée symbolique pour sceller ces
retrouvailles amicales.
La seule fausse note qui a
entaché cette belle cérémonie d’ouverture étant le retrait d’une bonne partie
du public de la salle, entrainé peut-être par le geste des officiels qui ont
tourné le dos à la projection du film d’ouverture dédié justement à l’hommage
au pays invité. A l’issue de la projection, il n y avait dans la salle qu’une
poignée de cinéphiles et la délégation ivoirienne. Et pourtant ce n’’était pas
n’importe quel film, Djeli de Fadika Kramo-Lanciné relève du patrimoine
cinématographique non seulement ivoirien mais africain. Il a décroché en effet
en 1981, « L’étalon d’or », le grand prix du Festival panafricain
d’Ouagadougou. Et son réalisateur, Fadika Kramo-Lanciné, est une figure
historique du cinéma de notre continent et il dirige aujourd’hui le cinéma de
son pays. Djeli, un conte d’aujourd’hui (1980) est son premier long métrage. Il
peut se lire aujourd’hui comme un document à double titre. Sur la société
ivoirienne de l’époque et sur les conditions de production d’un film de cinéma.
La démarche relève globalement d’un cinéma didactique. Le scénario relate le
désir de deux jeunes ivoiriens, ayant terminé leurs études de s’unir pour la
vie. Sauf que les pesanteurs des pratiques ancestrales vont se dresser comme
obstacle « culturel » ; la fille appartient à une tribu de
dignitaires alors que le garçon descend d’une filiation de griots. Tout le clan
de la jeune fille qui loue pourtant sa réussite scolaire, va se dresser contre
ce projet…sauf que le film n’est pas schématique dans ses portriats ;
l’oncle de la jeune fille invité comme un ainé sage va se révéler très modéré
dans ses jugemenste et attentif à l’évolution de la société. Le récit que
développe Fadika Kramo-Lanciné s’inspire de la structure narrative d’un conte
africain avec une scène d’ouverture en pré-générique qui dessine en filigrane
les enjeux du drame qui vient. Une sorte de mise en abyme qui crée une distance
et invite le spectateur à « coopérer » dans le montage du récit avec
en particulier une fin en suspens…qui laisse la porte ouverte au débat. Le film
accumule des indices qui offrent les images contrastées de la forme de développement
en vigueur dans le pays. Une urbanité qui dit le boom économique des années
70 ; des tours qui envahissent le ciel, filmées en contre-champ des signes
ostentatoires de la misère qui pèse sur la périphérie. A la verticalité des
villes, où l’on se déplace dans un tourbillon de sons et de lumières, s’oppose
l’horizontalité du village où l’on marche à son rythme. Cependant, ce découpage
n’est pas manichéen ; au sein du village, le béton fait son apparition, et
le rêve du père de la jeune fille est d’offrir à ses enfants une maison à
l’image de celle des villes. Les valeurs ne sont plus figées et les jeunes
subissent les faits de cette métamorphose.
L’autre rendez-vous qui a marqué
les premiers jours du festival est le colloque organisé autour du thème,
« le cinéma et l’Etat en Afrique ». Modéré par le président du
festival de Khouribga, M. Saïl, le colloque a vu l’intervention du directeur du
cinéma de Sénégal, M. Hugues Diaz et de M. Emile Bassek du Cameroun. Très vite,
un consensus s’est dégagé sur le rôle stratégique de l’Etat dans la production,
la promotion et la production du cinéma en Afrique. Mais à partir de là, des
questions stratégiques se posent : jusqu’à quel niveau cette aide de
l’Etat peut-être efficace sans se transformer en mainmise et en
instrumentalisation idéologique. Comment alors dessiner le périmètre d’une
politique publique en la matière ? L’une des pistes avancées est celle de
l’importance de l’existence d’une profession organisée et d’un secteur
indépendant. Le représentant du Caméroun a mis en parrallèle deux modèles en vigueur
actuellement en Afrique : le modèle marocain porté par une politique
publique d’aide au cinéma et un volontarisme affiché avec en face le modèle
nigérian et l’explosion de la production privée autour des films numériques
(des coûts de production très bas et un marché national et régional de
plusieurs millions de spectateurs). Le Cameroun hésite ; pour trancher, il
compte inviter prochainement, les représentants des deux modèles, le Maroc et
le Nigéria, à en débattre dans un face à face qui sera organisé prochainement
en marge du festival Ecrans noirs à Yaoundé. Un match qui promet !
Mohammed Bakrim
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