lundi 9 juin 2014

Ousfour chez les étudiants du cinéma

L'hommage de l'ESAV Marrakech au pionnier du cinéma marocain


Un enthousiasme chaleureux et sympathique a accueilli la soirée spéciale consacrée au pionnier du cinéma marocain, Mohamed Ousfour, par l’école supérieure des arts visuels de Marrakech, le jeudi 5 juin. Son directeur, M. Vincent Melilli a rappelé lors d’une allocution d’ouverture le contexte dans lequel intervient cet hommage, celui justement d’une semaine de découverte du cinéma marocain, maghrébin et africain ; «  chaque fois que l’opportunité nous le permet, nous présentons à nos étudiants au terme de cette semaine d’initiation à l’histoire du cinéma, une œuvre emblématique de cette quête d’expression qui a animé les pionniers, et Mohamed Ousfour en est la figure la plus représentative ».
La soirée dédiée principalement aux étudiants de l’Esav et aussi ouverte au public des cinéphiles et des chercheurs universitaires de la ville ocre, a été organisée autour de la projection du film, Le fils maudit de Mohamed Ousfour et agrémentée par la projection surprise du nouveau court métrage de Nour Eddine Lakhmari, Black screen présenté en présence de sa scénariste et son inspiratrice, Nadia Larguet…Du coup, la soirée a pris l’allure d’un vibrant et émouvant hommage au cinéma marocain et à ses hommes, les pionniers ou ceux qui se battent encore pour lui assurer une continuité et la pérennité de ses acquis.


Le Fils maudit est un film de 1958 ; il a été fêté justement en 2008 comme le premier film marocain donnant lieu à une date repère de ce jeune cinéma. C’est un film qui a frappé le jeune public présent ainsi que les critiques et universitaires intervenus lors du débat, par sa fraîcheur, par la pertinence de son propos et par la prouesse de ses choix techniques réalisés dans des conditions en deçà des normes requises pour un film de cinéma. Au moment où le cinéma international a bouclé sa boucle en termes de maîtrise du langage cinématographique et offrant au public des sommités artistiques : c’est l’année par exemple, où Chahine signe son chef d’œuvre  absolu, Gare centrale ; Orson Welles avec La soif du mal, le film qu’on enseigne dans les écoles du cinéma ; c’est l’année où l’Inde nous donne Le salon de musique, le chef d’œuvre universel de Satyajit Ray et où en Farnce Jaques Tati amuse rien que par les moyens du cinéma dans Mon Oncle et je ne parle de Hitchcock et ses Sueurs froides…C’est dans ce contexte là que « Après un demi-siècle, le marocain réinvente le cinéma muet, et il essaie de le faire parler ! De quoi faire hurler le ciné-clubard. Pourquoi nous parler de cette espèce d’énergumène attardé qui ne connaît ni Eisenstein, ni Orson Welles, ni Bergman, ni Godard ? C’est vrai, Tchiquio n’est pas cinéaste. Ce n’est qu’un rêveur qui a filmé ses rêves, un révolté analphabète qui a fixé sur la pellicule l’image dérisoire de sa liberté » comme le note si bien Ahmed Bouanani, l’auteur prodige du cinéma marocain. Celui qui a aimé et apprécié à sa juste valeur l’apport inédit de Mohamed Ousfour au point de lui consacrer un court métrage de 7 minutes, projeté à l’Esav avant le film de Ousfour. Intitulé de Petite histoire en marge du cinématographe, réalisé en 1974, le filmest à l’origine, le magazine inséré dans les célèbres actualités marocaines qui  étaient projetées dans les salles de cinéma en guise de journal télévisé avant l’heure. Avec des images d’archives et d’autres reconstituées et jouées par les enfants de Ousfour, Bouanani a rendu le parcours original de cet autodidacte venu du Maroc profond vers Casablanca où il tombe fasciné du cinéma…et ne se contente pas, lui le vendeur de journaux, d’en consommer, mais décide d’en faire. Dès 1941, il « tourne » dans la forêt de la banlieue casablancaise, une série sur son héros fétiche, Tarzan…sketches qu’il présente dans des salles publiques agrémentées de combat de boxe. En 1947, il commence à collaborer à des productions internationales tournées au Maroc ; il attire tout de suite l’attention par son ingéniosité et son sens pratique qui lui permet de bricoler des « effets spéciaux » rien qu’avec les moyens de bord. En 1957 il commence le tournage de son film phare, Le fils maudit. Bouanani rapporte qu’Ousfour a réussi en même temps à faire un prologue en couleurs  où on le voyait parlant en arabe classique (doublée par la voix de Mohamed Habachi) pour demander l’indulgence du public ! Jeudi dernier à Marrakech, plus que de l’indulgence, les jeunes étudiants du cinéma, lui ont fait, à titre posthume, un triomphe. Ils ont vu dans son « bricolage » les signes précurseurs d’un cinéma local, les composantes d’un essai qui reste à transformer. La balle est dans leur camp.
Mohammed Bakrim


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