L'hommage de l'ESAV Marrakech au pionnier du cinéma marocain
Un enthousiasme chaleureux et
sympathique a accueilli la soirée spéciale consacrée au pionnier du cinéma
marocain, Mohamed Ousfour, par l’école supérieure des arts visuels de
Marrakech, le jeudi 5 juin. Son directeur, M. Vincent Melilli a rappelé lors d’une
allocution d’ouverture le contexte dans lequel intervient cet hommage, celui
justement d’une semaine de découverte du cinéma marocain, maghrébin et
africain ; « chaque fois que l’opportunité nous le permet, nous
présentons à nos étudiants au terme de cette semaine d’initiation à l’histoire
du cinéma, une œuvre emblématique de cette quête d’expression qui a animé les
pionniers, et Mohamed Ousfour en est la figure la plus représentative ».
La soirée dédiée principalement
aux étudiants de l’Esav et aussi ouverte au public des cinéphiles et des
chercheurs universitaires de la ville ocre, a été organisée autour de la
projection du film, Le fils maudit de Mohamed Ousfour et agrémentée par la
projection surprise du nouveau court métrage de Nour Eddine Lakhmari, Black
screen présenté en présence de sa scénariste et son inspiratrice, Nadia
Larguet…Du coup, la soirée a pris l’allure d’un vibrant et émouvant hommage au
cinéma marocain et à ses hommes, les pionniers ou ceux qui se battent encore
pour lui assurer une continuité et la pérennité de ses acquis.
Le Fils maudit est un film de
1958 ; il a été fêté justement en 2008 comme le premier film marocain
donnant lieu à une date repère de ce jeune cinéma. C’est un film qui a frappé
le jeune public présent ainsi que les critiques et universitaires intervenus
lors du débat, par sa fraîcheur, par la pertinence de son propos et par la
prouesse de ses choix techniques réalisés dans des conditions en deçà des
normes requises pour un film de cinéma. Au moment où le cinéma international a
bouclé sa boucle en termes de maîtrise du langage cinématographique et offrant
au public des sommités artistiques : c’est l’année par exemple, où Chahine
signe son chef d’œuvre absolu, Gare
centrale ; Orson Welles avec La soif du mal, le film qu’on enseigne dans
les écoles du cinéma ; c’est l’année où l’Inde nous donne Le salon de
musique, le chef d’œuvre universel de Satyajit Ray et où en Farnce Jaques Tati
amuse rien que par les moyens du cinéma dans Mon Oncle et je ne parle de Hitchcock
et ses Sueurs froides…C’est dans ce contexte là que « Après un demi-siècle, le marocain
réinvente le cinéma muet, et il essaie de le faire parler ! De quoi faire
hurler le ciné-clubard. Pourquoi nous parler de cette espèce d’énergumène
attardé qui ne connaît ni Eisenstein, ni Orson Welles, ni Bergman, ni
Godard ? C’est vrai, Tchiquio n’est pas cinéaste. Ce n’est qu’un rêveur
qui a filmé ses rêves, un révolté analphabète qui a fixé sur la pellicule
l’image dérisoire de sa liberté » comme le note si bien Ahmed Bouanani, l’auteur
prodige du cinéma marocain. Celui qui a aimé et apprécié à sa juste valeur
l’apport inédit de Mohamed Ousfour au point de lui consacrer un court métrage
de 7 minutes, projeté à l’Esav avant le film de Ousfour. Intitulé de Petite
histoire en marge du cinématographe, réalisé en 1974, le filmest à l’origine,
le magazine inséré dans les célèbres actualités marocaines qui étaient projetées dans les salles de cinéma en
guise de journal télévisé avant l’heure. Avec des images d’archives et d’autres
reconstituées et jouées par les enfants de Ousfour, Bouanani a rendu le
parcours original de cet autodidacte venu du Maroc profond vers Casablanca où
il tombe fasciné du cinéma…et ne se contente pas, lui le vendeur de journaux, d’en
consommer, mais décide d’en faire. Dès 1941, il « tourne » dans la
forêt de la banlieue casablancaise, une série sur son héros fétiche,
Tarzan…sketches qu’il présente dans des salles publiques agrémentées de combat
de boxe. En 1947, il commence à collaborer à des productions internationales
tournées au Maroc ; il attire tout de suite l’attention par son
ingéniosité et son sens pratique qui lui permet de bricoler des « effets
spéciaux » rien qu’avec les moyens de bord. En 1957 il commence le
tournage de son film phare, Le fils maudit. Bouanani rapporte qu’Ousfour a
réussi en même temps à faire un prologue en couleurs où on le voyait parlant en arabe classique
(doublée par la voix de Mohamed Habachi) pour demander l’indulgence du public !
Jeudi dernier à Marrakech, plus que de l’indulgence, les jeunes étudiants du
cinéma, lui ont fait, à titre posthume, un triomphe. Ils ont vu dans son
« bricolage » les signes précurseurs d’un cinéma local, les
composantes d’un essai qui reste à transformer. La balle est dans leur camp.
Mohammed Bakrim
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