Sotto voce est le troisième
long métrage de Kamal Kamal ; il a signé Taif Nizar en 2002 et La
symphonie marocaine en 2006. Artiste polyvalent ; il est venu de la
musique qu’il continue à chérir et à mettre en scène dans son cinéma. Sotto
voce a obtenu le Grand prix du festival national du film. Il est en compétition
officielle à Khouribga dans le cadre de la 17ème édition du festival
du cinéma africain. Il nous parle ici de son film
Parle-nous du processus
d’écriture de Sotto voce ; quel a été l’élément déclencheur : un
souvenir familial ; une note musicale ou le désir de filmer Jihane
Kamal ?...
Ma mère aimait raconter sa
vie, et l’histoire de son passage d’Algérie vers le Maroc en 1958, à travers la
ligne Morice ; elle revenait souvent avec des détails qui me laissaient
clouer à mon siège à visualiser cette aventure à couper le souffle. Mon rêve de
devenir cinéaste était toujours alimenté par ce matériau qui aiderait un jour à
faire un bon film. Bien sûr, pour
fabriquer un film, il faut d’abord le rêver. Mais en rêvant, l’air de la
chanson de « Bakhta », une vieille chanson de Blaoui Houari, chantée
plus tard par Khaled, accompagnait malgré moi les images qui défilaient dans ma
tête. Ainsi, j’eus l’idée d’arranger la chanson et la faire interpréter par le
philharmonique de Budapest et son fameux pupitre de chœurs. Cet air, ainsi arrangé,
m’inspira plusieurs scènes dans le scenario et m’imposa, surtout, la façon de
les réaliser.
La musique est une composante
essentielle des tes films ; ici elle est un élément de la dramaturgie au
point de donner son titre au film…la structure est proche d’un opéra en trois
actes.
Pour moi un film, comme une pièce
théâtrale, un opéra ou une symphonie, est composé de trois actes. Souvent dans
les films, la musique est un élément qui donne d’autres dimensions à l’œuvre,
adoucir le passage d’une scène à une autre ou extérioriser une émotion. Pour
moi, c’est un élément dramatique qui fait avancer l’action et qui donne, par sa
valeur intrinsèque, certaines informations
et matérialiser certaines sensations que le langage parlé ou le langage
du corps ne peut pas faire. J’ai utilisé une version instrumentale de la
chanson « je crois entendre encore » de Bizet, vers la fin du film.
Beaucoup, qui ne connaissent pas les paroles vont la prendre pour une musique
qui accompagne l’image. Pour les gens avertis, c’est une musique porteuses
d’informations et surtout d’espérance
pour cette fille qui s’est vu balafrer le visage. « Je crois
entendre encore caché sous les palmiers. Sa voix douce et sonore comme un chant
de ramiers »
La présence de l’opéra, de la
neige…sont des éléments insolites dans notre filmographie : on ne voit pas
beaucoup d’opéras dans nos films : la neige non plus ; comment tu as
géré ces deux dimensions essentielles, en termes de production et de montage.
Ce sont les deux éléments
qui ont « bouffé » la plus grosse partie du budget du film, vu le coût
élevé des décors, des costumes de la figuration dans l’opéra ainsi que la neige
artificielle que nous avons dû importer de France pour couvrir de larges espaces
au milieu de la forêt. Bien sûr que le budget alloué au film ne supportait pas
d’importer la neige artificielle, construire une scène d’opéra, enregistrer les
musiques avec le philharmonique de Budapest, engager un ténor et une soprano de
renommé etc… Le film n’existerait pas sans ses éléments et je n’étais pas prêt
à faire des concessions. Mais heureusement pour moi, j’ai eu la chance de
rencontrer un membre de la famille Rahal
qui par sa générosité légendaire a assuré la bonne fin du film. Je ne
saurai jamais la remercier.
Ton film est d’une manière ou
d’une autre un hommage aux comédiens ; on les voit dans des plans sublimes.
Ce sont des gens qui ont
toujours travaillé avec moi et que j’aime beaucoup. Cette relation d’amour
devient un moteur puissant qui nous propulse vers l’avant. Elle devient un stimulant
qui nous fait oublier nos douleurs et nos souffrances au point de nous
sacrifier pour ce rêve collectif qui est notre film. Nous nous aimons et nous
regardons dans la même direction.
Le contexte historique du film
est fondamental pour saisir certains enjeux « politiques » implicites
mais réels du drame ; cependant tu n’as pas donné suffisamment d’éléments
dans ce sens : quelques allusions dans les dialogues, l’extrait d’un
journal affiché sur un mur…tu ne voulais pas surcharger le texte où tu as cherché
à privilégier la dimension universelle de la tragédie qui se dessine.
Le cinéma est universel. Il est
là pour défendre l’homme là où il est. La ligne Morice et la révolution
algérienne ne sont qu’un prétexte qui sert la dramaturgie. La mort à bon marché
est du ressort des révolutions dans le
monde entier. Les gens simples sont son bois d’enfer. Je souligne tout ça dans l’une des scènes de
la fin du film mais j’ai préféré rester subtil en privilégiant des signes par
analogisme à la parole.
Ton troisième film renvoie au
premier Taif Nizar autour de la question de la vérité et de la relation de
faits historiques. Dans Sotto voce, il y a la présence du violoncelle brisé
puis reconstitué morceau par morceau comme une mémoire qui se souvient par bribes
avec certainement des trous de mémoire.
Nous sommes le fruit de notre
histoire. Nous sommes blessés partout sans qu’on le sache. Les politiques, après
une révolution, ne parlent et ne veulent surtout pas raconter les horreurs engendrées par ces révolutions qu’ils ont
déclenchés eux même. Ils ne parlent et ne louent que ses gloires. Nous ne
pouvons nous guérir de nos maux que si nous nous penchons sur notre vraie
histoire, la critiquer puis l’accepter pour partir sur de bonnes bases et
surtout pour ne plus tomber dans les pièges de la guerre et de ses horreurs. L’Homme peut régler ses
problèmes sans être violent pour autant.
Entretien
réalisé par Mohammed Bakrim
(Khouribga, juin 2014)
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