vendredi 20 juin 2014

entretien avec Kamal Kamal

« Pour faire un film, il faut d’abord le rêver »

Avec Kamal Kamal à Khouribga

Sotto voce est le troisième long métrage de Kamal Kamal ; il a signé Taif Nizar en 2002 et La symphonie marocaine en 2006. Artiste polyvalent ; il est venu de la musique qu’il continue à chérir et à mettre en scène dans son cinéma. Sotto voce a obtenu le Grand prix du festival national du film. Il est en compétition officielle à Khouribga dans le cadre de la 17ème édition du festival du cinéma africain. Il nous parle ici de son film



Parle-nous du processus d’écriture de Sotto voce ; quel a été l’élément déclencheur : un souvenir familial ; une note musicale ou le désir de filmer Jihane Kamal ?...
Ma mère aimait raconter sa vie, et l’histoire de son passage d’Algérie vers le Maroc en 1958, à travers la ligne Morice ; elle revenait souvent avec des détails qui me laissaient clouer à mon siège à visualiser cette aventure à couper le souffle. Mon rêve de devenir cinéaste était toujours alimenté par ce matériau qui aiderait un jour à faire  un bon film. Bien sûr, pour fabriquer un film, il faut d’abord le rêver. Mais en rêvant, l’air de la chanson de « Bakhta », une vieille chanson de Blaoui Houari, chantée plus tard par Khaled, accompagnait malgré moi les images qui défilaient dans ma tête. Ainsi, j’eus l’idée d’arranger la chanson et la faire interpréter par le philharmonique de Budapest et son fameux pupitre de chœurs. Cet air, ainsi arrangé, m’inspira plusieurs scènes dans le scenario et m’imposa, surtout, la façon de les réaliser.
La musique est une composante essentielle des tes films ; ici elle est un élément de la dramaturgie au point de donner son titre au film…la structure est proche d’un opéra en trois actes.
Pour moi un film, comme une pièce théâtrale, un opéra ou une symphonie, est composé de trois actes. Souvent dans les films, la musique est un élément qui donne d’autres dimensions à l’œuvre, adoucir le passage d’une scène à une autre ou extérioriser une émotion. Pour moi, c’est un élément dramatique qui fait avancer l’action et qui donne, par sa valeur intrinsèque, certaines informations  et matérialiser certaines sensations que le langage parlé ou le langage du corps ne peut pas faire. J’ai utilisé une version instrumentale de la chanson « je crois entendre encore » de Bizet, vers la fin du film. Beaucoup, qui ne connaissent pas les paroles vont la prendre pour une musique qui accompagne l’image. Pour les gens avertis, c’est une musique porteuses d’informations et surtout d’espérance  pour cette fille qui s’est vu balafrer le visage. «  Je crois entendre encore caché sous les palmiers. Sa voix douce et sonore comme un chant de ramiers »
La présence de l’opéra, de la neige…sont des éléments insolites dans notre filmographie : on ne voit pas beaucoup d’opéras dans nos films : la neige non plus ; comment tu as géré ces deux dimensions essentielles, en termes de production et de montage.
Ce sont les deux éléments qui ont « bouffé » la plus grosse partie du budget du film, vu le coût élevé des décors, des costumes de la figuration dans l’opéra ainsi que la neige artificielle que nous avons dû importer de France pour couvrir de larges espaces au milieu de la forêt. Bien sûr que le budget alloué au film ne supportait pas d’importer la neige artificielle, construire une scène d’opéra, enregistrer les musiques avec le philharmonique de Budapest, engager un ténor et une soprano de renommé etc… Le film n’existerait pas sans ses éléments et je n’étais pas prêt à faire des concessions. Mais heureusement pour moi, j’ai eu la chance de rencontrer un membre de la famille Rahal  qui par sa générosité légendaire a assuré la bonne fin du film. Je ne saurai jamais la remercier.
Ton film est d’une manière ou d’une autre un hommage aux comédiens ; on les voit dans des plans sublimes.
Ce sont des gens qui ont toujours travaillé avec moi et que j’aime beaucoup. Cette relation d’amour devient un moteur puissant qui nous propulse vers l’avant. Elle devient un stimulant qui nous fait oublier nos douleurs et nos souffrances au point de nous sacrifier pour ce rêve collectif qui est notre film. Nous nous aimons et nous regardons dans la même direction.
Le contexte historique du film est fondamental pour saisir certains enjeux « politiques » implicites mais réels du drame ; cependant tu n’as pas donné suffisamment d’éléments dans ce sens : quelques allusions dans les dialogues, l’extrait d’un journal affiché sur un mur…tu ne voulais pas surcharger le texte où tu as cherché à privilégier la dimension universelle de la tragédie qui se dessine.
Le cinéma est universel. Il est là pour défendre l’homme là où il est. La ligne Morice et la révolution algérienne ne sont qu’un prétexte qui sert la dramaturgie. La mort à bon marché  est du ressort des révolutions dans le monde entier. Les gens simples sont son bois d’enfer.  Je souligne tout ça dans l’une des scènes de la fin du film mais j’ai préféré rester subtil en privilégiant des signes par analogisme à la parole. 

Ton troisième film renvoie au premier Taif Nizar autour de la question de la vérité et de la relation de faits historiques. Dans Sotto voce, il y a la présence du violoncelle brisé puis reconstitué morceau par morceau comme une mémoire qui se souvient par bribes avec certainement des trous de mémoire.
Nous sommes le fruit de notre histoire. Nous sommes blessés partout sans qu’on le sache. Les politiques, après une révolution, ne parlent et ne veulent surtout pas raconter les horreurs  engendrées par ces révolutions qu’ils ont déclenchés eux même. Ils ne parlent et ne louent que ses gloires. Nous ne pouvons nous guérir de nos maux que si nous nous penchons sur notre vraie histoire, la critiquer puis l’accepter pour partir sur de bonnes bases et surtout pour ne plus tomber dans les pièges de la guerre  et de ses horreurs. L’Homme peut régler ses problèmes sans être violent pour autant.
Entretien réalisé par Mohammed Bakrim

(Khouribga, juin 2014)

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