mercredi 18 juin 2014

cinéma africain Khouribga

Entre le marteau et l'enclume, Sotto voce


Les projections du festival du cinéma africain de Khouribga, se suivent et se distinguent par leur démarche, leur ambition artistique et/ou didactique…Elles se ressemblent dans leur programme générique celui de nous faire voyager dans l’imaginaire collectif des sociétés africaines d’aujourd’hui.
Le premier film à ouvrir les projections de la compétition officielle nous vient du Congo, Entre le marteau et l’enclume de Amog Lemra. Jeune cinéaste qui raconte-t-il a eu la passion du cinéma…au Maroc lorsqu’il est venu travailler comme figurant dans la superproduction hollywoodienne La chute de faucon noir de Ridley Scott, tourné principalement dans les régions de Salé. Avec Entre le marteau et l’enclume, il nous propose une radioscopie accablante de la nouvelle bourgeoisie africaine qui pollue nos villes par son amour des 4X4 et surtout par ce luxe arrogant, sa cupidité…à travers la figure de Pascal, un riche entrepreneur qui change de partenaires féminines comme il change de chemise. Cette dimension sociologique ouvre le récit sur les multiples facettes de l’urbanité qui est l’expression éloquente de l’échec d’un modèle de développement hybride si ce n‘est bâtard où la culture de l’argent transforme le corps en simple marchandise.
C’est un registre mi-épique mi tragique que choisit le cinéaste marocain Kamal Kamal pour son troisième long métrage Sotto voce. Le titre situe déjà un aspect fondamental du film, celui de la présence de la musique non plus comme simple composante de la bande son mais comme élément structurant de la dramaturgie. Si Le récit démarre avec une indication spatio-temporelle, Casablanca, 2011, pour accentuer une allusion réaliste, mais c’est très vite pour s’embarquer dans un voyage dans le temps à partir 1954 et surtout 1958 et dans l’espace pour nous situer à la frontière maroco-algérienne. La frontière un élément éminemment dramatique, un entre-deux propice à générer la tragédie née de la confrontation de deux mondes. « J’aime les frontières et je n’aime pas les douaniers » dixit J.-L. Goddard. La frontière nous accule à nous révéler…mais ici c’est une frontière qui se révèle une frontière entre la vie et la mort. Kamal Kamal raconte en effet le drame d’un groupe de jeunes sourds-muets risquant la condamnation à mort par les tribunaux des colonialistes et que leur protecteur veut faire passer au Maroc à l’instar des militants de la révolution algérienne qui viennent trouver refuge dans les zones orientales du Maroc. C’est d’ailleurs à travers l’un des réseaux de la révolution que le groupe tente la traversée. Le film revient sur les enjeux explicites, le risque et le danger physique symbolisé par les mines, et implicites qui relèvent de la grande politique, celle qui finit par broyer autant que les mines. Le film ne se réduit pas à cette dimension historique ; il est porté par une narration en abyme avec l’irruption de séquences d’opéra, écrites et réalisées par le cinéaste lui-même ; Kamal Kamal est un homme de musique…séquences éloquentes  qui évitent au film d’être ramené à un simple film d’aventure. Une manière distanciée de s’approcher d’un fait historique encore trouble. La scène d’ouverture nous offre une indication majeure à ce propos : si le film démarre  avec un plan large de la ville de Casablanca, la narration elle-même commence à partir d’un lieu indéfinissable, une sorte de pension habitée par des fantômes et où émerge la figure du narrateur qui restitue un pan de l’histoire à partir de la mémoire individuelle. La figure du violoncelle brisée et reconstitué morceau après morceau est une belle métaphore de la mémoire qui raconte par bribes. Le lieu lui-même renvoie à un temps en ruine, celui animé par des cadavres ambulants et qui portent des blessures tues. C’est la beauté et l’art qui jouent comme élément déclencheur de restituer la mémoire dans sa dimension tragique car rien n’est sûr ; à l’image de l’opéra de Bizet qui a inspiré  Kamal Kamal, et intitulé « je crois entendre encore ».  Avec son troisième film, porté par une belle image, une prestation magnifique des comédiens…Kamal Kamal envoie des clins d’œil à son premier film avec la question de la vérité historique et à son deuxième long métrage en suivant de près le destin d’une communauté condamnée à prendre son destin en main, sans garantie sur le résultat final. Le destin collectif étant tributaire de choix individuels, ceux des leaders et des meneurs d’hommes. Kamal Kamal choisit explicitement de confier cette tâche à l’art.


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