Entre le marteau et l'enclume, Sotto voce
Les projections du festival du
cinéma africain de Khouribga, se suivent et se distinguent par leur démarche,
leur ambition artistique et/ou didactique…Elles se ressemblent dans leur
programme générique celui de nous faire voyager dans l’imaginaire collectif des
sociétés africaines d’aujourd’hui.
Le premier film à ouvrir les
projections de la compétition officielle nous vient du Congo, Entre le marteau
et l’enclume de Amog Lemra. Jeune cinéaste qui raconte-t-il a eu la passion du
cinéma…au Maroc lorsqu’il est venu travailler comme figurant dans la
superproduction hollywoodienne La chute de faucon noir de Ridley Scott, tourné
principalement dans les régions de Salé. Avec Entre le marteau et l’enclume, il
nous propose une radioscopie accablante de la nouvelle bourgeoisie africaine
qui pollue nos villes par son amour des 4X4 et surtout par ce luxe arrogant, sa
cupidité…à travers la figure de Pascal, un riche entrepreneur qui change de
partenaires féminines comme il change de chemise. Cette dimension sociologique
ouvre le récit sur les multiples facettes de l’urbanité qui est l’expression
éloquente de l’échec d’un modèle de développement hybride si ce n‘est bâtard où
la culture de l’argent transforme le corps en simple marchandise.
C’est un registre mi-épique mi
tragique que choisit le cinéaste marocain Kamal Kamal pour son troisième long
métrage Sotto voce. Le titre situe déjà un aspect fondamental du film, celui de
la présence de la musique non plus comme simple composante de la bande son mais
comme élément structurant de la dramaturgie. Si Le récit démarre avec une
indication spatio-temporelle, Casablanca, 2011, pour accentuer une allusion
réaliste, mais c’est très vite pour s’embarquer dans un voyage dans le temps à
partir 1954 et surtout 1958 et dans l’espace pour nous situer à la frontière
maroco-algérienne. La frontière un élément éminemment dramatique, un entre-deux
propice à générer la tragédie née de la confrontation de deux mondes. « J’aime
les frontières et je n’aime pas les douaniers » dixit J.-L. Goddard. La
frontière nous accule à nous révéler…mais ici c’est une frontière qui se révèle
une frontière entre la vie et la mort. Kamal Kamal raconte en effet le drame
d’un groupe de jeunes sourds-muets risquant la condamnation à mort par les
tribunaux des colonialistes et que leur protecteur veut faire passer au Maroc à
l’instar des militants de la révolution algérienne qui viennent trouver refuge
dans les zones orientales du Maroc. C’est d’ailleurs à travers l’un des réseaux
de la révolution que le groupe tente la traversée. Le film revient sur les
enjeux explicites, le risque et le danger physique symbolisé par les mines, et implicites
qui relèvent de la grande politique, celle qui finit par broyer autant que les
mines. Le film ne se réduit pas à cette dimension historique ; il est
porté par une narration en abyme avec l’irruption de séquences d’opéra, écrites
et réalisées par le cinéaste lui-même ; Kamal Kamal est un homme de
musique…séquences éloquentes qui évitent
au film d’être ramené à un simple film d’aventure. Une manière distanciée de
s’approcher d’un fait historique encore trouble. La scène d’ouverture nous
offre une indication majeure à ce propos : si le film démarre avec un plan large de la ville de Casablanca,
la narration elle-même commence à partir d’un lieu indéfinissable, une sorte de
pension habitée par des fantômes et où émerge la figure du narrateur qui
restitue un pan de l’histoire à partir de la mémoire individuelle. La figure du
violoncelle brisée et reconstitué morceau après morceau est une belle métaphore
de la mémoire qui raconte par bribes. Le lieu lui-même renvoie à un temps en
ruine, celui animé par des cadavres ambulants et qui portent des blessures
tues. C’est la beauté et l’art qui jouent comme élément déclencheur de
restituer la mémoire dans sa dimension tragique car rien n’est sûr ; à
l’image de l’opéra de Bizet qui a inspiré
Kamal Kamal, et intitulé « je crois entendre encore ». Avec son troisième film, porté par une belle
image, une prestation magnifique des comédiens…Kamal Kamal envoie des clins
d’œil à son premier film avec la question de la vérité historique et à son
deuxième long métrage en suivant de près le destin d’une communauté condamnée à
prendre son destin en main, sans garantie sur le résultat final. Le destin
collectif étant tributaire de choix individuels, ceux des leaders et des
meneurs d’hommes. Kamal Kamal choisit explicitement de confier cette tâche à
l’art.
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