La télévision doublée de nouvelles formes de réception de
film a introduit un changement radical dans le dispositif classique du cinéma,
illustré par la projection 35mm dans un lieu spécifique, la salle. La
caractéristique principale de cette explosion étant l’individuation et la
fragmentation de la réception. On passe d’une pratique sociale obéissant un
véritable rite, à une consommation de plus en plus domestique. Le film passe de
la sphère publique à la sphère privée.
Mais les enjeux
économiques de cette mutation ont entraîné des conséquences sur le cinéma,
cette fois en tant que choix artistique, en tant que rapport à l’image, en tant
que logique du récit. Les modes de financement ont induit des modes
d’écritures. A la mort économique du cinéma (voir le dernier rapport sur les
déficits chroniques du cinéma français) succède aujourd’hui la mort du septième
art, ou du moins sa métamorphise radicale. La télévision est devenue un
monstre : elle tue le cinéma qu’elle génère. « La télévision, premier
soutien du cinéma, est anthropophage du cinéma qu’elle produit. Elle est en
train de le tuer. La ligne éditoriale des télés n’a plus rien à voir avec la
ligne éditoriale des salles… » note un producteur français. Un film est
financé par une télé en fonction d’une logique d’antenne, en fonction de la
place qui lui est assigné d’avance dans la grille. La logique du final cut
inconnue jadis dans la notion du cinéma d’auteur est l’expression du pouvoir
exorbitant du directeur de programme qui a un œil sur le script du film qui lui
et proposé et un œil sur le relevé quotidien du taux d’audience.
« Résultat : ce n’est pas parce qu’un film a un vrai potentiel en
salles, et qu’il séduit les exploitants
et les distributeurs, que la télévision va le financer ».
Un grand cinéphile, Serge Daney avait pointé du doigt cette
métamorphose du langage cinématographique face au formatage télévisuelle dans
un article au titre prémonitoire : « Comme tous les vieux couples,
cinéma et télévision finissent par se ressembler ». Dès le début des
années 80, avec la mode du tout audiovisuel, il avait relevé ou plutôt
« senti » qu’un autre medium, une autre façon de manipuler les images
et les sons, est en train de pousser dans les interstices du cinéma. Il établit
un parallèle historique entre le sort que le cinéma avait réservé aux formes
artistiques qui l’avaient précédé, théâtre, danse, littérature et ce que la
télévision lui réserve ; les cinéastes se rendent compte que le cinéma
avait perdu d’appétit et « qu’un monstre encore plus vorace est
apparu ». Pour rester dans l’esprit de l’analyse de Daney, on peut dire
que ce qu’on appelait jadis la dramatique, la vogue des téléfilms et autres
unitaires aujourd’hui ont colonisé le cinéma. D’un point de vue esthétique
s’entend. Qu’en est-il par exemple de la profondeur de champ qui avait permis
au cinéma de pousser très loin la perception de la distance et de construire
une configuration narrative et dramatique de l’espace. A la télévision c’est le
zoom qui a pris la place. « le zoom n’es plus un art de l’approche
mais une gymnastique comparable à celle du boxeur qui danse pour ne pas
rencontrer l’adversaire ; le travelling véhiculait du désir, le zoom
diffuse la phobie. Le zoom n’a rien à voir avec le regard, c’est une façon de
toucher avec l’œil… ». Le cadrage s’adapte à la nouvelle lucarne :
peut-on parler de champ et de hors champ à la télévision ? Une dialectique
neutralisée par la ligne de fuite réduite par les limites de l’image. Un grand
cinéaste John Boorman avoue que dans ses films, de plus en plus, il mettait en scène l’action au centre de
l’image anticipant ainsi son passage à la télévision pour que rien ne se perde.
« La télévision c’est le règne du champ unique » ou encore la mise en
œuvre de la grammaire de base, le champ contre- champ…
Pour sa part le professeur Alain Bergala élabore une théorie
de différenciation à partir d’un constat/exercice auquel nous sommes tous invités :
quand je suis devant ma télé et que je zappe, je vois tout de suite si je suis
devant un film de télévision ou devant un film de cinéma ». Le critère qui
permet la différenciation passe par le jeu des acteurs : à la télévision
sont acculés à l’instantanéité des sentiments ; à afficher immédiatement
leur rôle : la principale différence n’est pas la lumière ni le découpage
mais le jeu. Un téléfilm mise tout sur chaque instant, un cinéaste, encore
vierge de la pratique télévisuelle, mise sur le temps.
1 commentaire:
Bravo , superbe , un plaisir de lecture et relecture...Merci
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