L’avantage avec le football,
c’est que chacun peut donner son avis ; Godard aimait d’ailleurs reprendre
cette formule à l’envers en l’appliquant au cinéma, tout le monde peut avoir un
avis sur un film. Au football, de
surcroit, chacun peut même jouer à
l’expert. L’on se rappelle lors des différents déboires de l’équipe nationale,
on découvre que notre pays dispose de 40 millions de directeurs
techniques ; chacun ayant son équipe type, sa formule magique pour
redresse la barre…
Cependant, ce week-end grâce au Raja et au mondial des clubs, le
football retrouve ses lettres de noblesse et nous rappelle à sa réalité
profonde, celle d’un phénomène de société ; aux dimensions multiples,
sportives bien sûr mais aussi économiques, sociales, symboliques, et comme on
vient d’en avoir une nouvelle preuve, psychologiques. Il y a comme un vent
d’optimisme qui souffle sur le pays ; d’autant plus que la performance du
club vert de Casablanca vient dans un contexte terrible vécu par le football
marocain à tous les niveaux. Un championnat qui tarde à prendre de l’allure,
une équipe nationale cantonnée dans une série de déboires et une gestion
calamiteuse à tous les échelons de la hiérarchie fédérale. A cela s’ajoute un
climat général morose, accentué par la sécheresse, devenue le titre générique
de l’étape… La magie du football, c’est de créer des moments qui transcendent
le conjoncturel au bénéfice d’une nouvelle configuration des rapports sociaux
marqués de joie, de convivialité et de liesse collective qui relève du rituel
de consécration et de célébration comme les sociétés savent en inventer, d’une
manière cyclique, pour conjurer le mauvais sort.
Mais il s’agit de savoir raison
garder. Il faut éviter de surcharger une victoire sportive, tentation facile
encouragée par l’illusion lyrique née des ivresses des soirées de victoire. En
d’autres termes, résister à la surinterprétation et proposer une lecture
sereine qui saisit effectivement tout l’impact social et culturel d’une
compétition sportive, en l’occurrence, le mondial des clubs, dans un contexte
spécifique qui est celui de la société marocaine à un moment décisif de la
refondation de son contrat social. Sous l’effet de la médiatisation, le
football, est devenu un lieu d’investissement symbolique où se reflètent les
images, les représentations et les interrogations qui traversent l’imaginaire
collectif. Face à un résultat sportif, c’est l’ensemble du corps social qui
laisse libre cours à ses réactions profondes. Les reportages télé qui ont fait
suite à la victoire du Raja, samedi dernier, ont montré que ce résultat a été
rapidement intégré à une reconstruction du moi social « ce n’est pas
le raja qui a gagné, c’est le Maroc » ; « tous les Marocains sont
rajaouis »…le tout renforcé par l’exhibition du drapeau national. La scène
sportive devient alors le lieu de la mise en scène de représentations qui
confinent à l’idéologique.
Le football reste in fine, une
pratique sportive dont les performances sont tributaires de schémas et de
politiques. Il y a aussi une grande marge qui dépend de l’aléatoire. Le
scénario que vient d’écrire le club du Feu père Jégo est instructif à cet
égard. Voilà une équipe qui perd une finale de coupe ; sort vaincue de ses
dernières confrontations…et à quelques jours du grand événement mondial,
s’offre le luxe de limoger son
entraineur ; celui-là même qui a balisé le chemin pour parvenir au
mondial. Pour ceux qui connaissent un peu l’histoire du grand club casablancais,
ne sont pas en fait surpris…le Raja a
toujours été un club qui ne s’enferme pas trop dans le rationnel…Longtemps le Raja
a été l’équipe qui pratiquait le football le plus séduisant, grâce à des
joueurs hyper doués, sans se soucier ni des résultats ni des titres. Il a fallu
le tournant managérial qui a marqué notre époque pour voir le Raja sortir enfin
de son « populisme » pour aspirer au statut de club professionnel.
Ayant accédé maintenant à l’étage des demi-finales, les verts sont libérés de
toute pression. Désormais tout est bénéfice pour eux. Ils devraient jouer à
leur guise, pratiquer un football plaisant inscrit dans le code génétique de
leur équipe. D’autant plus que le hasard les a mis face à une équipe
brésilienne ; une école de football dont le Raja a été longtemps le digne
représentant. Bon vent alors…
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