dimanche 5 janvier 2014

Rachid Elouali et l'esprit du temps


« Sois belle et tais-toi », la formule immortalisée par le film de Marc Allégret et la Chanson de Serge Gainsbourg…a fonctionné également comme code non écrit régissant les rapports entre les stars et l’espace public, dans le contexte américain d’une certaine époque ; elle  fut en quelque sorte la règle d’or du star system que des producteurs mythiques ont imposé à l’industrie hollywoodienne. Cela n’empêcha pas cependant l’émergence d’une opinion publique très forte au sein de la profession prenant position autour d’un tel sujet ou tel autre. Des prises de poitions estampillées « libérales » au sens américain du mot, c’et-à-dire progressiste ou carrément de gauche. La maccarthysme, cette ignominie de l’histoire, profitant du climat tendu de la guerre froide pour  régler ses comptes avec le sens de l’engagement chez les professionnels du cinéma américain qui étaient majoritairement pour l paix et le progrès social. Le courant conservateur surfant sur l’esprit patriotique, en fait chauvin, pour ériger des obstacles et dicter une série de règles à suivre pour produire un art « puritain », « propre » comme dirait nos conservateurs aujourd’hui. Des commission d’enquête furent montées, un climat de suspicion et de délation régna sur Hollywood, des carrières, des vies furent brisées…de la résistance aussi s’organisa pour rendre au cinéma sa liberté ; car il n’y a pas d’art sans liberté…Aux Usa comme… au pays qui fut le premier à reconnaitre leur indépendance, je veux dire le Maroc.

Nous n’avons pas encore de star system et notre industrie cinématographique est embryonnaire, donc fragile,  mais nous avons un cinéma qui bouge…qui fait parler de lui car inscrit par ses thèmes et ses sujets dans notre imaginaire… et surtout ramène du public dans les salles grâce à des films qui répondent à quelque chose dans l’horizon d’attente du spectateur. Rachid Elouali, comédien, a accompagné cette relance qui a démarré grosso modo à partir des années 90. Il était, alors jeune lauréat, l’une des têtes d’affiche du film qui ouvrit la voix du box office devant  le cinéma marocain, Un amour à Casablanca de Abdelkader Lagtaâ. Un film urbain, casablancais, donc porté par  une forme d’expression du vécu qui ne manque pas de panache. Rachid Elouali s’y amuse, le personnage qu’il interprète est un jeune de son époque, proposant des « joints » à ses conquêtes féminines comme…remède au mal de vie qui traverse l’univers du film. Le film fut une réussite absolue. Rachid Elouali accède alors à une notoriété méritée et fondée sur beaucoup de travail, portée par des rôles diversifiés, notamment avec Hakim Noury. Ce fut sa décennie de gloire réelle. L’image qu’il renvoya était celle d’un homme affable et ouvert, sans a priori. Quand le festival de Marrakech fut lancé au début des années 2000, on pensa en toute légitimité à Rachid El Ouali, comme maître de cérémonie.

Pendant ce temps là, le cinéma marocain continue sa dynamique qui créa de nouveaux rapports de forces et une nouvelle réalité sur le terrain : une nouvelle génération de cinéastes, de nouveaux thèmes, de nouveaux visages…Bref une longue mutation est entamée. Aujourd’hui, celle-ci nous donne une nouvelle configuration. Rachid Elouali a changé de fusil d’épaule. Il passe derrière la caméra, après une expérience de courts métrages, son premier long métrage sort cette semaine sur les écrans du Royaume, Yemma, titre ô combien symptomatique. Le film a bénéficié de l’avance sur recettes. Il affronte désormais la réalité du guichet. On ne peut que lui souhaiter bon vent. Sauf que, c’est le moment que le citoyen Rachid Elouali choisit pour accompagner la sortie de son film par un discours qui relève du prêche et de la prédication. Dans le quotidien Attajdid, il livre une série de fatwas sur ce que devrait être le cinéma, tire gratuitement sur le festival de Marrakech ; il s’instaure comme le nouveau maître à penser, imprégné de l’esprit du temps, celui du retour du désenchantement. Rachid Elouali, le citoyen est libre de ses choix qu’il peut exhiber en fonction des saisons, mais pourquoi cherche-t-il à tracer aux autres  la voie à suivre ; chose  que lui-même a tant refusé ? Tactique politique ou stratégie de marketing ? Ou ce n’est qu’un rôle dans un scénario éphémère ? Espérons que pour  le cinéma marocain ce sera pas « nhar dwa tfa dow », pour paraphraser le titre de l’un de ses films où il est lui-même et son double. C’est-à-dire personne.

 

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