Chronique d’un festivalier solitaire
Première journée de la
compétition officielle riche en enseignements ; elle confirme des tendances et annonce, en filigrane,
des pistes d’avenir. Elle dit aussi les cases à remplir, les vides à
combler… Les trois cinéastes qui ont
présenté leurs films expriment des parcours professionnels et culturels
différenciés pour venir au cinéma. Ils
disent cette diversité générationnelle et artistique qui alimente le dynamisme
de notre cinéma.
Les constantes sont là aussi comme cet ancrage dans la thématique
sociale, très forte dans Malak et Hors zone et médiatisée par la légende dans Agherrabou. C’est un
atout majeur qui assure à notre cinéma une forme de légitimité sociale
sanctionnée très tôt dans les années 90 par l’accueil du public et l’adhésion
populaire. Reste à conquérir et à construire la légitimité artistique. A ce
niveau c’est un cheminement inédit qui ne résulte d’aucune recette
magique ; c’est la résultante de plusieurs paramètres et de nombreux
facteurs dont celui fondateur de l’engagement du cinéaste lui-même au service
de son art et de sa passion pour dire le monde par les images et le son en les
inscrivant intelligemment dans son environnement culturel voire mythologique.
Cela nous donne alors cette
variété d’approches et de démarches esthétiques. Douguena par exemple met en
avant la question sociale à travers la concentration de son récit sur le
devenir des gens du troisième âge pour transformer son film en réquisitoire
contre les jeunes couples qui abandonnent leur vieux et contre la société en
général avec les risques du coût esthétique et artistique que cela peut
générer…Chez Kelaï, le social passe par un sujet sensible, celui des jeunes
mères célibataires ; sensible et souvent tu car renvoyé par la doxa dans
le hors champ social. Le travail du cinéaste consiste alors à ne pas verser
dans la redondance médiatique ou à faire concurrence à la télévision
compassionnelle mais à dire le non
dit ; à rendre visible le non visible à travers la mise en scène d’un
espace social et physique hostile et surtout par la construction d’un
personnage qui va jusqu’au bout de ses choix. Le plan final de Malak qui garde
son enfant est un hymne au sujet/individu dans le contexte d’une société qui
l’accule à l’hypocrisie du consensus et du « qu’en dira-t-on ». Le
tout dans une démarche qui aspire à s’inscrire dans la cinéphilie…
C’est, entre autres, le pari,
réussi jusqu’à un grand niveau, par Ahmed Baidou et son film amazigh,
Agherrabou. La première réussite du film, et donc pour le festival, est la
réponse pertinente qu’il apporte au débat sur la présence du cinéma amazigh.
Avec Agherrabou, on sort du débat stérile sur la question du
« quota » pour le film amazigh ou sur la nécessité d’une
discrimination positive au bénéfice de ce cinéma. Agherrabou nous dit tout
simplement qu’un film amazigh peut s’imposer par ses qualités intrinsèques. Le
film amazigh offre alors à notre cinéma un nouveau redéploiement dans son
espace géographique, symbolique et professionnel. Agherrabou montre en effet
toute la richesse du patrimoine amazigh, la poésie d’une langue et la
découverte de nouveaux talents comme ses deux vétérans qui ont joué Amghar et
Ifis. Le film offre dans ce sens une belle métaphore du devenir du film amazigh
à travers l’image de la barque (Agherrabou en amazigh) : c’est une œuvre
en construction qui finira par rejoindre le grand large sous les youyous de la
tribu réconciliée.
Cinéma et télévision : trahison ou mariage de raison
La télévision s’offre cette année
une visibilité particulière dans la
programmation du festival national du
film. A travers bien sûr sa couverture
de l’événement en tant que média incontournable : combien d’événements
officiels sont retardés voire carrément annulés parce que les caméras de la
télévisons n’étaient pas là ou n’étaient pas encore prêtes. Combien de ministre
et de haut responsable qui avant d’entamer son activité officielle s’enquit
d’abord de la présence de la caméra « jaou shab télévionne »…Bref
c’est le média ordonnateur de notre temps social et de notre environnement…Au
point de formater les désirs et les mœurs….y compris dans notre rapport au
cinéma.
Mais, la question qui s’est posée
avec une certaine insistance, ces premiers jours du festival, concerne la présence de certains films en
compétition officielle qui affichent clairement leur ascendance télévisuelle
(des productions de la société nationale de télévision). Mais l’interrogation
va bien au-delà de la question du mode de production et de l’économie du cinéma
pour aborder la question du devenir esthétique et artistique du film.
« Sommes-nous en face d’une métamorphose du festival devenu festival des
téléfilms ? » s’interroge un cinéphile, avec angoisse sur sa page
facebook. En fait, si métamorphose il y a, elle concerne au-delà de la simple
programmation du festival pour toucher à ce qui fait son âme, l’écriture et
l’esthétique des films. Et à ce niveau les frontières ont commencé à s’éclipser
depuis longtemps : il est de plus en plus difficile de tracer une ligne de
démarcation nette entre film de cinéma et film de télévision quand nombre de
films de cinéma sont structurés par une esthétique télévisuelle. Un grand
cinéphile, Serge Daney, avait pointé du
doigt cette métamorphose du langage cinématographique face au formatage
télévisuelle dans un article au titre prémonitoire : Comme tous les vieux
couples, cinéma et télévision finissent par se ressembler ! Un grand
cinéaste, John Boorman, avoue que dans ses films, de plus en plus, il mettait en scène l’action au centre de
l’image anticipant ainsi son passage à la télévision pour que rien ne se perde.
« La télévision c’est le règne du champ unique » ou encore la mise en œuvre de
la grammaire de base, le champ contre- champ…
Pour sa part, le professeur Alain
Bergala élabore une théorie de différenciation à partir d’un constat/exercice
auquel nous sommes tous invités : quand je suis devant ma télé et que je zappe,
je vois tout de suite si je suis devant un film de télévision ou devant un film
de cinéma ». Le critère qui permet la différenciation passe par le jeu des
acteurs : à la télévision, ils sont acculés à l’instantanéité des sentiments ;
à afficher immédiatement leur rôle : le bon, le méchant… La principale
différence n’est pas la lumière ni le découpage mais le jeu. Un téléfilm mise
tout sur chaque instant, un cinéaste, encore vierge de la pratique
télévisuelle, mise sur le temps. La philosophe Marie-José Mondzain approfondit
l’analyse en précisant que les acteurs à la télévision sont dans la
communication ; « ils sont dans une rhétorique – de l’émotion, de la justice,
de la prostitution, la malhonnêteté, la méchanceté…- qu’ils personnifient,
c’est-à-dire qu’il n’y a pas de jeu : ils n’incarnent pas une question… ». Sa conclusion
est fondatrice d’une distinction génétique : à la télévision, il n’y a pas
d’invisible (prédominance de l’approche didactique), alors que le cinéma
travaille de l’invisible. Une grille de lecture pour la suite du programme…
Fiction-documentaire : Jeux sans
frontières
La question est récurrente et
elle accompagne le cinéma depuis quasiment sa naissance : le réel et le
fictif ou en termes de genres : le documentaire et la fiction. Lors de son
éblouissante leçon de cinéma, Edgar Morin était parti l’année dernière du
postulat de l’existence de deux pôles ; le pôle du réel et le pôle de
l’imaginaire pour relever qu’entre les eux il y a la fiction qui se nourrit
souvent de l’un ou de l’autre. La première caméra des frères Lumière avait
ouvert la voie à la tendance réaliste quand quelques années plus tard, Méliès
installait les premiers ingrédients d’un cinéma de l’imagination, du rêve et du
voyage vers la lune…Depuis, l’évolution du cinéma n’a été que des variations au
sein de la même formule offrant à telle tendance ou telle autre des moments
forts de grande création.
Une création qui n’hésite pas
parfois à jouer à brouiller les pistes et à transcender les frontières entre
les genres. Métaphoriquement le film de Farida Benlyazid en compétition
officielle est intitulé Frontieras. C’est une indication sur le référent du
film qui aborde d’une manière originale la question du Sahara mais c’est aussi
une piste de lecture sur le genre proposé : parti d’une idée de
documentaire, le film propose une structure bicéphale avec un volet
documentaire et un autre fictionnel pris
en charge par le jeu des interprètes qui sont là pour donner au réel une
dimension qui transcende celle des actualités télévisées : faut-il pour échapper
à la structure figée du reportage mettre une dose de fiction dans le
documentaire ? Une forme de dopage ! N’oublions pas alors de préciser
dans ce sens que ce que l’on appelle le docu-fiction est un enfant de la
télévision ! Chassez le loup par la porte il revient par la fenêtre ?
Brouillard ?
La séquence d’ouverture du film,
Imlchil, de Hakim Belabbès nous offre une figure métaphorique qui va dans le
sens du débat à savoir celle des essuie-glaces qui tentent de dégager un peu de
visibilité pour les protagonistes partis sur la piste de la légende d’Isli et
de Tislit. Le pare-brise de la voiture inondée d’eau tient lieu de l’écran de
réception et reflète notre horizon d’attente encore dans le flou ! La
suite du film tentera de dégager un peu de visibilité sur le sujet du film mais
aussi sur sa nature : est-ce un documentaire ou une fiction ? Deux
comédiens prennent en charge la question jusqu’à un certain moment de
saturation quand la jeune comédienne téléphone à son réalisateur pour lui dire
que son projet (dans lequel le
spectateur était aussi impliqué) ne tient pas la route et décline son offre
nous renvoyant la balle pour continuer notre débat intérieur.
Femme hors la loi de Mohammed
Elaboudi aborde frontalement le sujet en installant au cœur de son projet
documentaire un sujet fort à savoir un « personnage » à forte
consistance dramatique avec moult rebondissements. Tout l’art du documentaire
consistera à rendre cette essence en passant par les outils…de la fiction.
Elaboudi fait du documentaire avec le langage de la fiction. Le hasard de la
programmation fait que, à cette tranche de vie documentée correspondent des
œuvres qui relèvent de l’auto-fiction ; de l’autobiographie filmée :
Chroniques d’une cour de récré de Brahim Fritah et Tanjoui de Moumen Smihi. Là, c’est la fiction qui se sert à partir de la
boîte à outils du documentaire. Pas de réserve !
La ville du film
Le cinéma est un art de la ville. La genèse urbaine du cinématographe
est un fait avéré. Les premiers
opérateurs ont filmé des rues ; une gare ; la place de l’Opéra à
Paris…La ville et le cinéma vont d’ailleurs former un couple dynamique qui
fonctionne et qui produit : la ville moderne va accompagner le
développement du cinéma ; et le destin du cinéma sera inscrit dans le
destin des villes. Les mutations qui touchent l’une vont concerner de très près
l’autre…Chez nous, la crise des salles de cinéma n’est-elle pas l’expression de
la crise des schémas urbains et de l’absence d’une vraie politique de la
ville ?
La ville, cependant, ouvre une
autre piste pour aborder l’évolution du cinéma marocain : son rapport à
l’espace narratif du film. Ecrire l’histoire de l’évolution de film marocain,
c’est exprimer l’histoire de l’évolution de son rapport à l’espace. Une
hypothèse pourrait présider à cette écriture, elle émane d’un constat empirique :
les plus grand succès du cinéma marocain, je veux dire en termes de chiffres de
box office, sont les films
de « l’urbanité » ; ceux justement qui sont portés par des
récits urbains, par des personnages ancrés dans l’espace de la ville, essentiellement
Casablanca. Cela va du succès du début des années 80, Larmes de regret de feu
Hassan Elmoufti à Casanégra de Noureddine Lakhmari en passant par Un amour à
Casablanca de Lagtaa et Marock de Leila Marrakechi.
C’est une donne essentielle quand on sait que la
programmation de la 14ème édition nous propose des films qui
enrichissent le débat : dans Malak, Zéro, Youm oulila, Chevaux de Dieu…la
problématique de la représentation de l’espace et de l’espace de la ville en
particulier joue un rôle déterminant dans la construction du récit filmique.
Le moment alors pour proposer une autre hypothèse à enrichir
par des analyses plus poussées : l’installation du cinéma marocain au sein
de l’espace public est la résultante de l’installation du récit filmique dans
l’espace tout court. Notre cinéma s’est sédentarisé est par ce bais, il a eu le
temps de rencontrer son public : les premiers grands succès de cette
rencontre réalisée dans les années 90 portent comme titre Un amour à Casablanca
(l’ancêtre dramaturgique de Casanégra) et A la recherche du mari de ma femme.
Le film de Tazi présente d’ailleurs un cas de figure intéressant pour notre
hypothèse. La première partie largement installée dans la Medina réduisant la
quête d’Alhaj à quelle déambulations dans les ruelles de la ville ; quand
les scénaristes ont fait bouger le récit dans la deuxième partie, le film n’a
pas eu les mêmes échos chez le public (l’explication par le rapport à l’espace
n’est pas exclusive).
Cette sédentarisation du récit filmique marocain n’a pas été
acquise d’emblée ; notre cinéma à l’instar des cinématographies nationales
similaires est né sous le signe de la dichotomie de l’espace : la ville
versus la campagne. Pendant longtemps, le récit filmique voyageait entre deux
espaces proposant par conséquent un héros clivé partagé entre l’ici et
l’ailleurs. Cet ailleurs a été illustré par un désir de rejoindre la ville,
horizon d’une vie différente. La figure emblématique de cette dualité a été
sans conteste Abika, le personnage principal du film Les cendres du clos (film
collectif, 1976).
La ville qui a été le hors champ désiré, sublimé des années
70 de notre cinéma, entre dans le champ et deviendra le paradigme de la
nouvelle écriture dramatique et de la nouvelle errance, le personnage de Yezza
dans Youm oulila….
Il était une fois Tanger 1995…
L’histoire du FNF trace en filigrane l’histoire contemporaine du
cinéma marocain ; l’évolution de celui-là dit avec éloquence l’évolution
de celui-ci. Il en est le thermomètre,
la vitrine et somme-toute le bilan de santé ; l’état des lieux.
Depuis quelques années d’ailleurs, le CCM a introduit une nouvelle séquence
dans la programmation du festival où il présente le bilan chiffré de l’année
cinématographique écoulée. Le bilan esthétique, lui, a déjà commencé dans les
discussions, souvent of, dans les différents sites du festival. On n’hésite pas
à comparer le rendu de cette année avec
celui des précédentes éditions.
Le hasard de la programmation a
ainsi réuni pour les deux derniers jours de la compétition officielle, deux
cinéastes qui avaient fait leur baptême de feu lors d’une édition historique du
festival national du film, celle de Tanger 1995. Il s’agit de Nour-Eddine
Lakhmari et Nabyl Ayouch. En anticipant sur l’issue du festival et l’inconnue
du palmarès on peut déjà souligner avec force que Tanger 2013 est la
consécration de Tanger 1995, en termes de générations s‘entend. La profession
du cinéma avait eu l’intelligence d’ouvrir la programmation du festival aux
jeunes marocains de la diaspora. Ce fut alors l’événement de la quatrième
édition avec l’arrivée dans la
compétition officielle du court métrage de plusieurs noms qui forgeront
très vite une brillante carrière professionnelle et surtout ouvrant la voie à une
dynamique qui est aujourd’hui une des plus illustres de la région et du
continent. Deux films aujourd’hui à Tanger sont l’emblème de ce renouveau et
cet apport générationnel qui est aussi un enrichissement artistique et
esthétique : Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch et Zéro de Nour-Eddine Lakhmari.
Zéro inscrit son drame dans une configuration
urbaine, très marquée esthétiquement, Lakhmari renoue avec une forte tradition
qui a influencé tout le cinéma international et en partie la filmographie
marocaine notamment autour de ce que l’on qualifierait « les cinéastes de
la chaouia » : essentiellement les frères Dekaoui, feu Reggab… Saad Chraibi, Hakym
Noury et Hassan Benjelloun. Et surtout avec
Lagtaâ qui, avec Un amour à Casablanca,
avait, en quelque sorte, lancé l’ancêtre dramatique de Casanégra y
compris en termes de réception publique et de polémique autour de certaines
scènes ou de certains propos. Le système des personnages élaboré par Zéro nous
offre, en outre, une démarche dynamique qui nous rappelle ce que les
théoriciens du relationnel appellent « un triangle tragique ». Nous
avons le pôle du persécuteur, le pôle de
la victime et le pôle du sauveur. Ce n’est pas un schéma figé. En effet, le
protagoniste part de l’un des pôles ; l’antagoniste de l’un des deux
autres…Les personnages se déplacent sur le triangle, changent de rôle, entrent
en interaction avec un sauveur éventuel.
Dans Les chevaux de Dieu, Nabil Ayouch construit un
dispositif autour de trois
problématiques essentielles dans notre paysage culturel : le rapport de
l’art au factuel, sinon à l’actualité politique directe, en l’occurrence les
attentas de Casablanca en mai 2003 ; le rapport du cinéma et de la
littérature avec une adaptation du roman de Mahi Binbine ; la troisième
est celle des acteurs. La force du film de Nabil Ayouch est qu’au cœur de ces
trois questions, il nous fait des propositions cinématographiques :
l’éthique fondatrice de ses choix est d’abord une question esthétique (approche
mise en avant déjà et avec brio dans Ali Zaoua). Cela nous met dans la possibilité
de formuler des hypothèses de lecture. La première concerne les acteurs :
avec la prestation des « comédiens » des Chevaux de dieu on peut dire
qu’il n ya pas d’acteurs, il n’y a que de la direction d’acteurs.
Sur la structure du film qui me paraît fonctionner autour de
l’articulation de trois moments : le moment sociologique (la mise en place
des protagonistes ; l’explication en somme) ; le moment pédagogique
(l’initiation à la nouvelle idéologie) et enfin le moment politique (avecle
passage à l’action)…nous y reviendrons dans plus de développement
Bilans et grille de lecture
Les bilans se succèdent et ne se
ressemblent pas ; ils sont Néanmoins un moment important de la vie
sociale. Pour le festival national du film, depuis quelques années, une
séquence est entièrement dédiée à la présentation chiffrée du bilan de l’année.
Une pratique arrachée de haute lutte tant la culture de la transparence était
un fait inédit et les chiffres, par exemple,
des entrées étaient maintenues dans le secret, circulaient sous le manteau et livrées au
compte goutte. Aujourd’hui quasiment tous les départements de la production et
de la profession livrent leurs chiffres à l’opinion publique pour juger sur
pièces et non sur des rumeurs.
Cependant, le cinéma ce n’est pas
seulement des chiffres et des statistiques, c’est aussi une pratique
culturelle, un discours aux connotations sociales. A ce niveau, on peut relever
sans risque d’erreur et en termes de bilan, que le discours sur le cinéma, et
la cinéphilie d’une manière générale ont plutôt enregistré une régression
générale. Je ne dirai même pas un retour en arrière car la cinéphilie avait
connu son âge d’or dans un passé pas très lointain portée par la dynamique des
ciné-clubs et par la vivacité du paysage culturel d’une manière générale.
L’espace réservé à la culture cinématographique se rétrécit au bénéficie du
discours anecdotique et du fait divers sensationnel
Cette régression trouve sa
parfaite illustration dans le discours critique avec l’émergence d’une pratique critique insolite : parler d’un
film sans l’avoir vu !!!!! Cela ne date pas d’hier, il est concomitant à
l’irruption du cinéma marocain dans le champ social comme expression de
l’imaginaire. C’était déjà le cas avec Marock et cela revient chaque fois qu’un
film bouscule l’horizon d’attente du spectateur formaté par le langage
audiovisuel et la nouvelle culture dominante dans les relations sociales.
Et pourtant, une cinématographie
émergente ne peut se développer et s’épanouir sans un discours d’escorte
qui éclaire ses zones d’ombre, prolonge
dans l’espace public ses interrogations et ses postulats esthétiques et
artistiques. C’est d’autant plus vrai que notre cinéma offre une diversité
d’approches et de traitement artistique dans les sujets et des thèmes abordés.
La nouvelle édition du FNF a
proposé une programmation qui va dans ce sens. L’enjeu étant de trouver la
grille de lecture adéquate pour capter cette diversité. Une grille de lecture
mouvante et flexible car lire un film n’est pas une pratique de laboratoire
mais juste une tentative « parfois vaine de définir l’amour » ou le
désamour pour un film.
C’est ainsi qu’on peut voir dans
les films les traces de la démarche du réalisateur ; on peut alors
détecter « le cinéaste avocat », celui qui s’en va défendre une
cause ( celle des vieux abandonnés par
exemple) ; le cinéaste-conteur qui s’applique à nous raconter et
transmettre le plaisir d’une histoire (Aguerrabou, La lune rouge, Youm
oulila….) et le cinéaste architecte qui construit avec les outils du cinéma un univers
propre (Khouya, Chronique d’une cour de récré…)
Sinon, on peut partir des films
et voir le dispositif qu’ils mettent en place pour nous impliquer dans le
discours filmique ; la mise en scène étant généralement, et à la base, la
mise en scène d’un regard. On a alors une nouvelle grille de lecture avec des films que l’on regarde
c’est-à-dire qui restent au niveau physiologique de l’œil (Elferdi) ; des
films que l’on voie ; au sens quand on dit « je vois »
pour dire j’ai compris (Zéro, Les Chevaux de Dieu) et qui impliquent une
dimension intellectuelle, un échange avec le spectateur ; et il y a les
films que l’on contemple, ceux qui nous transportent dans un au-delà
(Imlchil, Khouya…)
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