« Le plus vrai
que le vrai, le modèle »
J. Baudrillard
Chaque dimanche, en soirée,
la deuxième chaîne de télévision propose à son public, une fenêtre, « une
case » dans le jargon du milieu, sur « le documentaire ». Une
ouverture tant attendue non seulement par les professionnels et les cinéphiles
mais également par une large frange du public de la télévision soucieuse de
voir revenir du sens à une programmation tentée de plus en plus par la recherche
du sensationnel facile et abêtissant. Autre élément positif, les films proposés
sont programmés à une heure, aux alentours de 21H30, potable, susceptible de
rencontrer un véritable public. Il reste
maintenant à voir ce qui sera l’angle qui portera cette programmation.
L’intitulé choisi « HH : des histoires et des hommes » est
suffisamment large pour embrasser un concept élastique. Nous sommes passés
dernièrement d’une légère et brillante rétrospective du documentaire marocain
des années 60, à un documentaire musical El Gusto de Safinaz Bousbia, véritable remake algérois de
Buena Viesta social club de WIM Wenders, à un documentaire ethnographique, Les
chemins de la Baraka de Khamis Mesbah et Manoel Pénicaud. Présenté dimanche
dernier, ce film d’une cinquantaine de minutes remonte à l’année 2007, renforce
cette tendance de la diversité qui caractérise la programmation actuelle. Le
film lui-même est un projet de choix éditorial. Il offre à la chaîne une piste
à approfondir, et un catalogue à enrichir par des acquisitions internationales
et par de l’autoproduction ; l’ethnographie filmique est un chantier
vierge dans le paysage audiovisuel marocain. La chaîne peut ainsi s’offrir une
« identité documentaire » à l’instar des télévisions stars en la
matière : la 4 Channel en Angleterre qui avait ouvert la voie, la chaîne
franco-allemnade, Arte… car l’éclectisme actuel ne peut tenir lieu de ligne
éditorial.
En s’offrant cette case dite
documentaire, inaugurée ne l’oublions pas par une multitude de reportages
allongés, tenant lieu de documentaire, 2M s’est offert une couche de cosmétique
culturelle. Mais à quel prix ? Avant même d’interroger le contenu proposé,
rappelons que la promotion du documentaire s’est accompagné de la mort du
cinéma sur la chaîne. Les grands rendez-vous cinéma qui avaient marqué le
démarrage de la chaîne d’Ain Sbaâ et son installation, longtemps confortable
dans le PAM, ont disparu progressivement ou ramenés à des moments peu visibles.
Cinéstar n’est plus que la copie pale de ses années de gloire. Le grand film
d’action du dimanche soir a disparu ainsi que les séances cinéphiles de minuit.
Pour couronner ce choix, la chaîne a zappé toute émission destinée à promouvoir
la culture cinématographique ou pour le moins à accompagner l’activité
cinématographique dans le pays. C’est un choix ; la case documentaire
apparaît alors, hélas, comme un subterfuge, pour camoufler la victime
sacrificielle qu’est devenu le cinéma à la télévision. On offre le documentaire
comme une composante légitimant une certaine image de la chaîne. Cela peut être
une arme à double tranchant. S’il offre à la chaîne la possibilité de
s’auto-promouvoir, le documentaire sera très vite le test majeur de sa capacité
à tolérer la différence et de sa marge de liberté dans la programmation, au
sein d’un environnement culturel où les professionnels des fatwas d’exclusion
sont en embuscade, prêts à tirer sur tout ce qui bouge. Le documentaire suppose
en effet un haut degré de liberté et de maturité intellectuelle. Il pose non
seulement les questions du réel mais aussi la question de la représentation de
ce réel.
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