jeudi 29 mai 2014

Zéro de Nour Eddine Lakhmari par Mohammed Bakrim

Zéro de Nour-Eddine Lakhmari
Par Mohammed Bakrim
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Au-delà du réel, le cinéma
L’affiche situe bien l’horizon d’attente du nouveau film de Nour-Eddine Lakhmari, Zéro, en précisant « par le réalisateur de Casanégra ». Elle situe ainsi le film dans une perspective bien précise. Une démarche de marketing qui aspire en toute légitimité commerciale à capitaliser à partir du succès inouï du précédent film de Lakhmari ; mais nous sommes aussi face à une indication révélatrice, porteuse de sens autre que celui du premier degré. Casanégra, le film est devenu en somme une référence ; une signature ouvrant sur un ensemble de références qui déterminent un style, une manière de faire, donc un cinéma. Et un cinéma qui marche puisque les dernières statistiques nous informent que près de 70 000 spectateurs sont allés voir Zéro lors de s deux premières semaines de son exploitation.
La dynamique ouverte par la référence à Casanégra a donc bien fonctionné. Le spectateur a retrouvé des repères qui ont conforté son attente. Il y a en effet plusieurs éléments communs aux deux films : une écriture cinématographique moderne mettant en avant le visuel au détriment du factuel ; une dramaturgie urbaine qui met la principale ville du pays, Casablanca, au cœur du dispositif filmique et un système de personnages bien ancré dans une certaine contemporanéité : Amine Bartal « héros » de Zéro est le cousin de Adil et karim de Casanégra ; même s’ils n’appartiennent pas socialement au même groupe ; lui, il est flic, les deux amis de Casanégra sont des jeunes désœuvrés, des losers permanents. Ils offrent cependant un même profil existentiel puisque ils sont en conflit ouvert avec leur environnement ; il est symptomatique par exemple de relever le rapport avec la figure du père qui pèse comme un paradigme. Ils se caractérisent aussi par le rapport dramatique et esthétique qu’ils entretiennent avec l’espace, l’espace de la ville,  en l’occurrence l’espace de Casablanca.
Cependant Zéro ne se lit pas comme une suite, ou un nouvel épisode de la saga de Casanégra. Le récit du troisième long métrage de Nour-Eddine Lakhmari se concentre sur un personnage central, celui de Zéro, alias Amine Bartal ; flic en rupture de ban avec son milieu, doublement écrasé par un père paralytique et néanmoins despotique, vivant sur les vestiges d’une aura et d’une autorité révolues ; et par un supérieur hiérarchique, un commissaire véritable ripou, qui sévit dans la ville et transforme ses subalternes ne sbires et marionnettes sauf Zéro qui persiste à jouer solo ; à mener ses petites combines ici et là…jusqu’au jour où il décide de remettre de l’ordre dans tout cela. Ce qui était un élément nul, un zéro, va alors se transformer devant nous avec l’évolution du drame : mort du père (la symbolique de la chaise vide !), la rencontre avec une fille ou plutôt la photo d’une fille…constitueront les facteurs de cette métamorphose. Amine Bartal va passer à l’action et aller jusqu’au bout de son choix ; rétablir un certain équilibre symbolisé par le désir de retrouver la jeune Nadia égarée dans les méandres de la ville ; en fait, pratiquement enlevée par un réseau –protégé par le commissaire- spécialisé dans la prostitution de luxe.
Le film dévoile ainsi son programme esthétique ; il affiche son apparenté cinéma de genre ; notamment le fim noir qui a fait les beaux jours de Hollywood de l’âge d’or. Mais c’est le film noir revisité par les monstres sacrés des années 70 qui intéressent Lakhmari, celui de Scorsese et Abel Ferrara. Le film est ainsi truffé de références sous forme de clins d’œil cinéphiliques.  Si la volonté de débarrasser la ville de sa chienlit évoque moult films noirs, il y a une référence explicite à Travis, personnage emblématique de taxi driver, c’est le billet de banque froissé. Dans le film de Lakhmari, Zéro reçoit un billet de 200 dhs, complètement froissé de la main de Rafik Boubker alors qu’il vient de sauver des filles, en fait des protégées du réseau. Dans le film de Scorsese, Travis, reçoit un billet vert froissé de la part d’un macro. Les deux personnages garderont ce billet comme symbole d’une humiliation. Le jour venu, ils le jetteront à la figure de ceux qui les avait humiliés.
Cette circulation d’objet symbolique entre les films est une composante essentielle de la cinéphilie et fondamentale pour la réception de tout un courant de la cinématographie marocaine notamment le cinéma de Faouzi Bensaidi, de Hicham Lasri…dans cette perspective, on ne peut pas réduire le film de Lakhmari à la simple débauche d’effets de langage. Il y a une ambiance visuelle, un parti pris stylistique, une perte de repères qui indiquent que nous sommes en présence d’un cinéma qui refuse de dire le monde selon le modèle du récit classique. Une stylisation par le bais de la lumière, des couleurs et des cadres qui confinent à l’abstraction…Ce qui nous ramène à la fameuse question de l’horizon d’attente d’une œuvre artistique. Trois facteurs déterminent la réception d’une œuvre, en l’occurrence un film : l’expérience préalable que  le récepteur a du genre auquel se réfère le film ; la forme et la thématique dont le film présuppose la connaissance ; l’opposition entre le langage artistique et le langage quotidien.
A partir de ces présupposés théoriques, on peut comprendre que la réception des deux films de Lakhmari a été porté davantage par « l’horizon d’attente social » en vogue dans les temps qui courent ; d’où une certaine approche moralisatrice qui reste à la surface du film. Alors que le film s’inscrit dans une démarche cinéphilique aux dimensions multiples.
Avec ce parti pris cinématographique, son cast et sa direction d’acteurs (magnifique prestation des principaux acteurs Majd , Bouab et Dadass…), ses inventions visuelles, le sens de la maîtrise du rapport à l’espace, aux décors…on peut parler d’un second grand film de Lakhmari. Non, Casanégra ne va plus être considéré comme un coup d’éclats sans lendemain…




Zéro positif
 « Je hais la violence, mais je sais qu’elle est en  moi, et en vous, et je veux l’explorer  »
Martin Scorsese
Le projet était déjà là,  énoncé en filigrane de son deuxième long métrage, Casanégra ; il le souligne encore aujourd’hui dans le programme narratif et esthétique de son deuxième long métrage, Zéro et il le confirme explicitement dans l’entretien qu’il nous a accordé : Nour-Eddine Lakhmari place Casablanca au cœur d’un travail sur la ville sous forme d’une trilogie dont le troisième volet s’intitulera Mazlout. Casanégra, dès la forme imagée du titre, renvoyait,  effectivement,  à la présence particulière de la métropole marocaine dans le film ; c’était plus qu’un décor, un véritable actant contribuant à la construction du drame. L’approche esthétique mettait en valeur tout un pan de la mémoire architecturale de la ville blanche devenue en la circonstance Casanégra, la maison noire exprimant ainsi, sur un plan scénaristique, l’une des dramaturgies urbaines les plus réussies de la cinématographie marocaine. Des personnages en fuite face un destin qui les écrase. La ville, censée être un lieu d’épanouissement fonctionnant comme un lien de sociabilité se révèle finalement un espace d’enfermement où chacun rêve d’un ailleurs : un ailleurs social, une sorte de promotion dans la hiérarchie sociale par tous les moyens (le personnage de Karim) ou un ailleurs géographique, la recherche d’un eldorado mythique qui peut s’appeler Malmoe (le personnage de Adil).
En inscrivant son drame dans une configuration urbaine, très marquée esthétiquement, Lakhmari renoue avec une forte tradition qui a influencé tout le cinéma international et en partie la filmographie marocaine notamment autour de ce que l’on qualifierait « les cinéastes de la chaouia » : essentiellement les frères  Dekaoui, feu Reggab, en partie Saad Chraibi, Hakym Noury et Hassan Benjelloun. Et surtout avec  Lagtaâ qui avec Un amour à Casablanca avait, en quelque sorte, lancé l’ancêtre dramatique de Casanégra y compris en termes de réception publique et de polémique autour de certaines scènes ou de certains propos.
Le cinéma et la ville,  c’est une vielle histoire concomitante à l’histoire du cinéma. On ne peut comprendre Zéro sans le restituer dans cette filiation, présente en termes de choix stylistique dans le film et que Lakhmari revendique explicitement. Casanégra et Zéro en attendant Mazlout,  sont la confirmation d’une thèse déjà confirmée par le cinéma : le cinéma se nourrit de la ville, mais le nourrit également. Art urbain par excellence, le cinéma est né dans une ville. A  Lyon, la ville des frères Lumière, une rue porte le nom de la Rue du Premier film. Les premières images du cinématographe sont des images du centre de Paris. La ville moderne va accompagner le développement du cinéma ; et le destin du cinéma sera inscrit dans le destin des villes. Les mutations qui touchent l’une vont concerner de très près l’autre. On s’interroge par exemple si la situation actuelle du cinéma n’est pas le pendant de la crise de l’urbanité : le succès de Casanégra a des explications sociales profondes qui vont dans ce sens. Il n’y a plus de ville au sens de l’urbanité qui veut dire la civilité. A la dilution de la ville dans un vaste paysage urbain, correspond la dilution du cinéma dans le paysage dit audiovisuel…où le cinéma se cherche une identité face à la multiplication des écrans et des supports.
La force de Zéro émane d’abord de ce background qui lui offre une profondeur cinéphilique indéniable. Mais de quelle ville il s’agit ?
La séquence d’ouverture se laisse voir comme un épilogue prometteur ; des fenêtres ouvertes avec des rideaux secoués par une légère brise et un personnage se livrant à un exercice de nettoyage. Les lumières sont douces et dégagent une certaine impression de sérénité dans un univers paisible même si les gestes nerveux et le regard fuyant du personnage nous en disent long sur son caractère.
C’est ce que nous ne tarderons pas à découvrir. Il s’agit en effet, de Amine Alias Zéro celui-là même qui donnera son titre au film.
En sortant de ce havre de paix,  le récit va nous mener vers un univers impitoyable, celui de Casablanca de la nuit, des circuits parallèles et des trafics de l’ombre. Nous découvrions que Amine est un jeune policier, il fait partie grosso modo des flics dits  « les ripoux ». Mais c’est un « ripou » au cœur d’or. La caractérisation du personnage se fera graduellement à travers un contexte et une série d’actions et de comportements. Amine évolue entre la sphère privée (familiale)  et la sphère publique (professionnelle) : en fait,  les sphères changent mais c’est quasiment le même traitement subi ici et là. Chez lui, il est écrasé par un père despote, aigri, nostalgique : une très forte scène nous le montre quasiment chauvin, vitupérant contre les joueurs de l’équipe nationale de football  à qui il reproche, dans un langage hyper violent, le fait de ne pas connaître par cœur l’hymne national marocain. Mais l’image du père se lit comme une parabole ; avec un père nostalgique et paralysé, c’est tout un discours social qui est épinglé par le film. La figure du père récurrente dans les deux films de Lakhmari offre une lecture complexe, exprimé d’ailleurs par l’évolution des rapports entre Amine et son père. L’identité de soi, la finalité du drame, ne se réalise que dans un rapport de forces.

Dehors, Amine devient Zéro, nul…ou plutôt redevient car c’est un sobriquet qui lui a été imposé par son supérieur hiérarchique. Un commissaire, sans vergogne. Sans foi ni loi. Transformant la brigade dont il dispose en un outil de pouvoir personnel pour sauvegarder son propre réseau. Zéro, le dérange parce qu’il est atypique. Parce que c’est un solitaire, quelqu’un qui joue « Solo » pour reprendre le langage du commissaire. Entre son « père » et ses « pairs », zéro passe d’un enfer à l’autre. Néanmoins, il y a un entre deux qui donne qui permet au récit de respirer, donnant aussi plus de consistance au personnage et de la profondeur au scénario. Amine a une petite amie, Mim,i avec qui il monte ses propres coups, consistant à tendre de pièges à des « voyous » respectables,  en simulant des situations de détournement de mineur, Mimi étant l’appât idéal. Il y a en outre son son bar au nom emblématique «  Le refuge ». Et il y a ce policier qui part à la retraite,  image furtive d’un père de substitution qui offre à Amine des moments de pause, hors tension. Et puis il y Nadia, celle qui va tout changer. Elle commence par entrer dans la vie d’Amine par une photo. Cette grande absente déclenchera la dynamique narrative et offre à Amine une raison d’être. Il change alors de statut. Il entre dans un nouveau processus, celui de la quête et de la rédemption.
Le système des personnages élaboré par Zéro nous offre en fait une démarche dynamique qui nous rappelle ce que les théoriciens du relationnel appellent « un triangle tragique ». Nous avons  le pôle du persécuteur, le pôle de la victime et le pôle du sauveur. Ce n’est pas un schéma figé. En effet, le protagoniste part de l’un des pôles ; l’antagoniste de l’un des deux autres…Les personnages se déplacent sur le triangle, changent de rôle, entrent en interaction avec un sauveur éventuel.
Zéro commence par nous offrir l’image d’un Amine victime face à un pôle de persécuteur où alternent le père, le commissaire, les agresseurs dans la rue… son évolution dramatique aiguisée ici par la rencontre avec les personnages féminins l’amène au statut de sauveur. Le programme narratif étant le sauvetage de Nadia, le démontage du réseau du trafic de la chair blanche. Nadia étant une vraie apparition dans le ciel sombre du personnage : sa mère arrive chez lui au commissariat pour l’inscrire comme disparue ayant été happée par la grande ville. Nadia, sera ce tournant attendu et qui sera renforcé dramatiquement par la disparition du père…d’où le retour à ces images de mise à plat du personnage par la métaphore du nettoyage de sa maison. Des images qui viennent relancer le récit ; une nouvelle étape commence dans la vie de Zéro. Cet anti-héros scorsesien va au terme d’épreuves initiatiques reprendre le cours de sa vie. En nettoyant son entourage immédiat, il annonce son intention. La ville a besoin d’un coup de torchon. C’est une évolution portée par une démarche et un style qui revendiquent franchement une adhésion à l’héritage cinéphilique dont la figure de proue peut-être Martin Scorsese même si le personnage du « bad » policier renvoie explicitement à Abel Ferrara. La violence urbaine, l’ambiance nocturne où les corps sont mis à mal dans un perpétuel mouvement de brutalité et de fracas ; torturés, violentés et qui finissent par se déchaîner dans une rhétorique violente à la fois iconique et verbale. Il ne faut pas, en effet,  réduire les répliques des uns et des autres (le père, le commissaire, Mimi…) à une formulation des dialogues gratuite, au contraire, c’est une composante inhérente à la nature des personnages. Cette violence verbale dit et prolonge la violence qui caractérise les rapports sociaux et que le cinéma de Lakhmari réussit à rendre en l’inscrivant dans une tradition cinématographique. L’univers de Lakhami est un univers dual : la nuit/le jour ; l’extérieur/l’intérieur ; le haut /le bas…le vice/la vertu y compris dans chaque être. Car nous ne sommes pas dans un système manichéen comme dans un mélodrame classique. Nous sommes dans la complexité du film noir qui par ses images en clair-obscur, son atmosphère de l’entre deux…nous propose des situations en perpétuelle évolution et des personnages qui ne maîtrisent pas leur destin…Amine subit, agit mais pour finir en victime expiatoire…
Cet univers n’est pas opaque ; il est traversé de moments lumineux comme ce bar-refuge où l’on peut insulter le monde entre adultes  désabusés et prostitués aguerries,  au grand cœur. Là où le film nous offre l’une de ses scènes les plus mémorables quand Amine - Zéro ramène une très belle femme, le médecin (Kenza) qui vient justement de soigner son père : cette beauté qui fait irruption dans le milieu des bas-fonds est  une exaltation de la volonté de changer la vie et de statut pour ceux qui n’ont pas le droit au rêve. Les femmes ou plutôt les figures féminines offrent un champ symbolique qui encadre le personnage et lui permettent de réussir son passage à une nouvelle étape. Mimi, cette jeune prostituée est là comme amie, adjuvant, alliée et n’hésite pas à jouer la protectrice ; Kenza est le trésor caché qui se révèle par petites touches jusqu’à l’extase et le bonheur sublime et Nadia est une forme d’appel pour clore le désenchantement du monde ; elle est au rendez-vous comme la figure ultime de la rédemption accomplie : alors,  la caméra de Lakhmari souffle un peu et nous offre des cadres plus éclairés,  des images plus apaisées, des couleurs moins sombres et un sourire illumine le visage de Amine. Zéro devient tout simplement un héros. Non pas parce qu’il est un superman mais simplement parce qu’il est allé jusqu’au bout. Marqué par une blessure physique (la balle qu’il reçoit) et les blessures intérieures qu’il a accumulées.


Entretien avec Nour-Eddine Lakhmari
Le récit d’une rédemption

1)     Comment sort-on d’un grand succès public et critique pour entamer un nouveau projet ? tu as fait le vide dans ta tête ou tu étais déjà dedans en plein Casanégra ?
Pour moi les choses sont très simples : je ne m’enferme jamais dans un succès ou un échec parce que je me dis toujours que le meilleur est à venir ; chaque film  est perçu comme une expérience sur cette voie ; je me protège en quelque sorte en me remettant en question. Je ne me dis absolument pas que cette fois c’est bon, au contraire je m’amuse comme avec Casanégra à chercher les défauts et les lacunes…pour me rattraper dans le prochain. Et crois-moi, c’est la meilleure façon de se protéger et de continuer à s’améliorer
Je pense que c’est une bonne thérapie car on ne peut pas rester éternellement sur le film qu’on vient de faire ; c’est le cas pour zéro, le film que je viens de terminer ; je me dis c’est bien, j’ai avancé un petit peu mais l’essentiel, le meilleur est à venir. En outre, je crois que  dès qu’un film sort, il ne nous appartient plus ; il est la propriété du public, des critiques et des journalistes.
2)     Est-ce que cela veut dire que tu t’es mis à écrire Zéro très tôt ?
En fait quand j’ai commencé à préparer Casanégra mon rêve, mon ambition était de réaliser une trilogie sur la ville de Casablanca ;  c’est toujours le cas, mais je n’osais pas en parler par modestie devant cette métropole ; une trilogie entièrement urbaine…ce n’est pas évident. Mais ma conviction est faite et le schéma est clair dans ma tête en trois phases comme dans Brèves notes (1) ; avec Casanégra, c’est l’histoire de  l’amitié de ces personnages perdus dans un labyrinthe. Le deuxième volet c’est Zéro ou le récit d’une rédemption ; le troisième volet ce sera Mazlout qui va traiter de la solitude…toujours avec comme espace de référence Casablanca. Une ville où on est seul, livré à nous-mêmes. Ce sera différent de Zéro où le héros seul, subissant son entourage mais cherche néanmoins la rédemption. Dans Mazlout ce sera un personnage qui cherche plutôt à fuir son entourage
3)     Pour rester dans le parallèle Casanégra/ Zéro, la séquence d’ouverture de Casanégra met en scène des poursuivants et des poursuivis…la caméra (donc le récit filmique) va se concentrer sur les poursuivis laissant en quelque sorte les poursuivants dans le hors champ…mais qui reviendront dans le champ de Zéro qui choisit comme univers celui des flics ?
C’est exact. Scorsese disait tout le temps, il y a ce qui est enregistré sur la péllicule, que l’on voit et il y a tout ce que nous ne voyons pas. Dans Casanégra, les protagonistes sont ceux qui sont poursuivis, chassés…dans Zéro, le protagoniste est  au contraire celui qui poursuit ; en l’occurrence, un policier. Mais c’est un policier particulier qui est dans la situation de la quête ; il se cherche lui-même et cherche à donner sens à sa vie. Dans Casanégra, on ne voit pas les policiers de près…ici, on s’approche de leur univers pour connaître, un peu, leur histoire, leur monde qui est aussi très dur. Pour moi, c’est une autre façon de sortir de Casanégra pour s’approcher des milieux qui ont du pouvoir ou croient avoir du pouvoir. On découvre alors des gens qui sont aussi des victimes d’une société arriviste où dominent les rapports marchands
4)     D’où un personnage central qui focalise toute cette situation ?
Oui, un personnage central mais il s’agit d’un anti-héros parce que je n’ai pas voulu instaurer un rapport de force…j’ai cherché au contraire à ce que le spectateur marocain s’identifie à ce personnage qui n’est pas un super héros mais au contraire quelqu’un qui souffre, qui vit difficilement les relations avec son environnement aussi bien familial que professionnel. Il est terrorisé par son père, véritable despote et par son supérieur hiérarchique. Celui qui est censé nous protéger paie le prix fort sur cette voie…
5)     Le casting a encore une fois été une des options majeures y compris pour ce rôle central ?
Je pars toujours de l’idée qu’il faut une certaine fraicheur aussi bien dans le traitement visuel des personnages que dans le choix des acteurs qui incarnent ces personnages. Pour le premier rôle j’aurai pu prendre un acteur connu mais  j’ai opté pour une autre démarche. Et comme tu l’as remarqué, dans tous mes films, y compris ceux de la période norvégienne, tous les premiers rôles sont incarnés par des visages nouveaux, jeunes…inconnus. Un choix que je vis comme un challenge : est-ce que je peux réussir ce passage qui n’est pas celui de l’acteur mais du réalisateur lui-même. Une façon de mettre de la fraicheur dans mon propre travail de mise en scène. Ce n’est pas un  rejet des autres mais c’est une forme d’énergie qui me vient de ce nouveau visage et qui me stimule dans ma recherche de direction d’acteurs. J’en profite d’ailleurs pour dire que plus je vais à la recherche de nouveaux visages plus je me rends compte qu’il y a beaucoup de talents dans ce pays d’où ma philosophie en la matière que j’assume pleinement : le problème chez nous n’est pas dans celui qu’on filme mais dans celui qui filme ! Dans la manière de placer la caméra, dans l’angle choisi. Bref, nous avons des acteurs, il s’agit de savoir comment en tirer le maximum ! Dans tous les cas, c’est ma conviction !
6)     Cela nous amène à poser la question de la direction d’acteurs notamment pour certaines scènes très particulières, je pense notamment à la scène très forte du suppositoire de Mohamed Majd et la scène du nu avec Said Bey
Cela a demandé beaucoup de travail, beaucoup de préparation. Mohamed Majd, Said Bey, Aziz Dadas sont de grands acteurs avec de fortes personnalités. Déjà les intégrer au reste de l’équipe où il y a des nouveaux a été un véritable défi. Mais on a réussi ensemble grâce à un travail de préparation et d’entrainement qui a permis de voir tous ces acteurs s’approprier le scénario, le film. On a eu une réunion où par exemple les acteurs ont non seulement défendu leur rôle mais l’ensemble du film. Avec Mohamed Majd on a beaucoup parlé, je lui ai montré beaucoup de films…c’est la première fois que je travaille avec lui, c’est quelqu’un de très attentif, très observateur…mais après il se donne entièrement. La même chose avec Saïd Bey à qui j’ai demandé beaucoup et a été à la hauteur de mes attentes : il a accepté parce qu’il a été convaincu. C’est un peu ce qui s’est passé aussi avec Driss Roukh pour Casanégra…On a beaucoup discuté autour de l’interrogation « le pourquoi de cette scène » et cela m’a permis moi aussi d’avoir mon argumentaire et de défendre mes choix qui sont devenus à la fin nos choix communs.
7)     Le film est porté par un grand travail au niveau de l’image ; la dimension visuelle est omniprésente…
Je pars du principe qu’un film c’est d’abord un travail au niveau du plan…Kubrick parle de perspective quand il aborde son plan. Pour ma part, j’essaie de créer une atmosphère c’était d’autant plus important qu’il fallait sortir de Casanégara dont les observateurs attentifs ont relevé tout le travail sur la ville, son architecture, tout le style art déco. Cette fois-ci même si c’était toujours la même ville et toujours la nuit, j’ai demandé à mon photographe une nuit avec prépondérance du bleu, une nuit froide pour accentuer la solitude psychologique du personnage. On ne retrouve les couleurs chaudes avec du rouge notamment que vers la fin quand il parvient à sauver la jeune fille ; à rencontrer son amour. Tout le film c’est du bleu argenté et c’est une décision que j’avais prise juste après Casanégra pour parvenir à une nouvelle ambiance. Cela au niveau de la lumière mais aussi au niveau du cadrage puisque on passe à un recentrage sur le personnage : l’environnement est là pour mettre en exergue sa solitude et sa souffrance
8)     Les cinéphiles ne manqueront pas de relever des références à des films cultes y compris au niveau  du personnage principal qui n’est pas sans rappeler Bad Lieutenant…
Oui bien sûr ; moi, je n’ai pas l’habitude de cacher mes références et j’aime dire qu’il ne faut pas hésiter à s’inspirer des autres surtout quand on aime le cinéma, quand on est cinéphile. Je regarde tout, d’Abel Ferrara à Béla Tarr le hongrois…et je rêve de faire un film à la Théo Angeloupolos. Je n’ai aucun complexe à ce propos d’autant plus que j’ai un goût très diversifié. Avec mon projet de trilogie sur Casablanca, je suis dans le genre noir, et il faut respecter les codes du genre. Et il se trouve que j’aime ce genre avec toute son esthétique faite d’ombre et de lumière et je pense que Casablanca mérite d’être filmée dans les règles du genre. Oui, il faut être original mais cela c’est dans le traitement, dans le regard qui reste marqué par notre société, par notre culture. Je ne filmerai jamais d’un point de vue folklorique pour être original. Nous avons nos problèmes spécifiques et qu’on peut aborder à travers un langage universel qu’est le langage cinématographique.
Entretien  réalisé par Mohammed Bakrim à Casablanca
(1)    Brèves notes, le premier court métrage de Nour-Eddine Lakhmari
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