vendredi 29 janvier 2016

Le cinéma post-apocalyptique de Hicham Lasri


Errance, déchéance  

Prélude en guise de pré-générique :
 Dans une séquence du film, La sociologie  est un sport de combat, documentaire de Pierre Carles consacré à Pierre Bourdieu, on voit celui-ci recevoir un courrier de J.L. Godard ; l’éminent intellectuel ouvre l’enveloppe et découvre un document qui est un collage à partir de photogrammes du film de Godard, Histoire(s) du cinéma ; le sociologue regarde puis dit : « je ne comprends rien… je ne suis pas poète ». Il finit par  remettre les feuillets dans l’enveloppe et le journaliste lui demande : « ça reste un dialogue de sourd alors ? ». Bourdieu acquiesce : « mais dès l’origine » ; il sourit et regarde la caméra : « Ah…pauvre Bourdieu ! »





L’année 2015 fut une année faste pour le cinéaste marocain Hicham Lasri : deux longs métrages, The sea  is behind et Starve your dog et deux autres en chantier. Les deux premiers ont eu et continuent à avoir une riche carrière internationale…Toronto, Dubaï et le cinéaste sera bientôt à Berlin pour présenter Starve your dog. Les films confirment une tendance et affinent un mode de production qui est une véritable économie politique du cinéma. Un dispositif cinématographique (il faudra préciser davantage le concept de « dispositif ») global qui ne manque pas d’interpeller non seulement tout projet de lecture/critique mais l’ensemble du discours sur le cinéma, ici et maintenant.  Lasri impose un rythme de production et une démarche d’expression qui constituent un véritable contre-champ aux pratiques dominantes dans le champ du cinéma. Il bouscule l’horizon d’attente du récepteur nonobstant le cadre de cette réception (cinéphilique, commerciale, journalistique…).  Chaque réception de son film est une entreprise hors norme…à l’image des films eux-mêmes. Voici des fragments d’un projet de lecture, une bande annonce de l’article futur ; des postulats sur une piste…



Postulat un : Je pose comme postulat, à mes risques et périls,  que le cinéma de Lasri est un cinéma surréaliste : je me réfère pour couverture à la citation de l’un des pères du surréalisme André Breton quand il dit : « je crois à la résolution future de ces deux états à l’apparence si contradictoire, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut dire ». Une manière de placer un repère sur la voie d’une filiation (Buñuel). Le surréalisme étant par ailleurs une forme –exacerbée- du naturalisme. Celui-ci étant défini comme « le réel vu par les hommes ». Quelque part le cinéma de Lasri (déjà quatre longs métrages et un autre collectif) est une variante du naturalisme qui transcende le réalisme du mélodrame qui fait l’essentiel du cinéma marocain. Absence de tout psychologisme ; démarche qui met au jour le fond noir, morcelé, violent, obsédant du monde pulsionnel de ses personnages : le cinéma de Lasri est deleuzien. Le réel chez lui est sans cesse « décadré » - voir l’ouverture de The sea is behind- car envahi par le monde souterrain des instincts et des pulsions qui hantent les personnages. Un cinéma post-réalisme qui vient pallier à la saturation du sens par le storytelling  et les multiples  expressions de la réalité amplifiées par la prolifération des écrans. Comment faire (encore) du cinéma à l’ère du YouTube et dailymotion ?
The sea is behind et Starve your dog nous proposent un autre contrat de réception et un autre régime des images. Là où la signification n’est jamais assignée à résidence, mettant le confort du spectateur du samedi  soir en déroute ; un cinéma de la monstruosité : celle-ci étant l’écart qui se nourrit de l’inédit, de l’excès, du grotesque, du terrifiant et de l’insolite : le retour de 404 dans C’est eux les chiens ; l’appareil dentaire de Daoud ; la scène de zoophilie dans The sea is behind ; la fille de Driss  et le jeune au visage difforme dans Starve your dog.
Postulat deux : Fin du réalisme. Fin de tout un monde. C’est un cinéma post-apocalyptique. Les personnages et leur univers sont des survivants qui évoluent dans des ruines ; ils font suite à une catastrophe. Déjà son premier long métrage offre un indice : The end, la fin de quelque chose. Je formule alors mon second postulat : C’est eux les chiens, the sea is behind, Starve your dog sont issus de la séquence ultime de The end celle qui fait suite à l’annonce de la mort de Hassan 2 et le dépouillement du cadavre de Pitbull. Les personnages de trois films qui vont suivre sont inscrits dans le programme de cette séquence de clôture, apocalyptique. Une figure d’origine littéraire africaine mais investie par le cinéma (Roméro) offre une entrée d’une possible lecture des personnages de Lasri ; la figure du zombie.  404, c’est pratiquement un mort qui revient (un revenant) hanter les vivants (juin 81/ février 2011). La mort traverse the sea is behind : « Larbi » le cheval qui tire le récit est déclaré cliniquement mort par la vétérinaire. Daoud est réduit à un cadavre ambulant ; Tarik semble nous parler d’outre-tombe (l’image des menottes en ouverture), son horizon est hanté par la catastrophe des Twin Towers…Dans Starve your dog la séquence d’ouverture est sous le signe de l’apocalypse ; le discours de la vielle dame est apocalyptique. Driss , le visible qui renvoie à l’invisible basri, est la réincarnation d’une figure qui hante l’horizon politique et médiatique du pays.
La figure du zombie permet à Lasri de mettre en place une logique (je n’ose pas parler d’une dramaturgie ; son scénario est adramatique) de l’errance (404), de la déchéance (Daoud ; Driss). Une métaphore d’une société rescapée d’un drame, animée de sujets traumatisée (l’équipe de télévision).
Le zombie est en outre une logique d’écriture filmique qui induit une logique de l’espace. Le zombie ordonne une organisation spatiale particulière qui neutralise toute velléité référentielle. Si dans C’est eux les chiens, l’espace offre une certaine homogénéité, dans the sea is behind et Strave your dog nous sommes dans un espace péri-urbain, fragmenté, hétérogène. Ce sont des espaces de transit, des espaces de circulation sans ancrage. Les trois films proposent un discours sur l’espace où nous dégageons quelques tendances : fragmentation ; ghettoïsation (C’est eux les chiens, The se ais behind), disparition de l’espace public (voir la place Lhmam envahie par des figures de l’étrangeté).

Postulat 3. Les films de Hicham Lasri sont des films politiques. Ils traitent de parias, d’exclus réduits à la condition animale. La politique présente non comme déclaration d’intention mais comme parabole à travers le discours silencieux des corps, des formes et des espaces ; c’est une réécriture des images : la violence du réel passe chez lui par la violence de la représentation de la violence physique et symbolique qui caractérise les rapports sociaux. Une esthétique qui revendique la marge et la périphérie. Il est temps alors de lui poser une question éminemment politique : quelle légitimité pour un cinéma de la périphérie dans un contexte de cinéma sans centre. Pour que la périphérie ait un sens, il faut qu’il y ait un centre qui lui donne sa raison d’être. La légitimité d’un cinéma relève également du degré de son inscription dans une sociabilité. La révolution du mode de production reste amputée sans un mode adéquat de distribution. 

Le premier film marocain


Notre amie l’école (1956)

Il y a un débat intéressant et passionnant qui traverse en filigrane le discours sur le cinéma marocain, celui du premier film. Quel est le premier film marocain de cinéma ? La question semble simple dans sa formulation mais en fait ne manque pas de ramifications multiples. A l’instar d’ailleurs de beaucoup d’autres questions de nature historique qui concerne l’ensemble du cinéma mondial. Plusieurs controverses accompagnent en effet l’inscription de certains événements phares du cinéma dans le calendrier. La question du premier film n’y échappe pas.
Sous son apparente évidence, se pose, en effet, une multitude d’interrogations qui ouvre sur tout un programme…d’histoire ! Il suffit de relever par exemple que chaque mot qui la compose est en soi une problématique qui mobilise un vaste champ théorique et méthodologique. Par exemple : que veut-on dire par « premier » ? C’est le premier en termes de sortie ? De tournage ? A quelle date arrête-t-on la naissance d’un film ? Quel format prendre en considération, court ? Long ? Quel genre : documentaire ? Fiction ? La question de la nationalité aussi n’est pas évidente : la nationalité du réalisateur ? Celle de la production ?
Au Maroc, ces questions sont un véritable champ d’investigation, passionnant et enrichissant. Pour pouvoir répondre à la question du premier film, il faudra souligner d’emblée que c’est un chantier qui reste ouvert, sans cesse alimenté par des acquis de la recherche et de la réflexion. Certes, en 2008, la profession a fait un choix : celui de considérer Le fils maudit (1958) de Mohamed Ousfour comme le premier film marocain ; célébrant ainsi avec faste son cinquantenaire. J’avais formulé mes réserves à l’époque sur le choix de  cette date et sur les critères qui ont présidé à ce choix. Mohamed Ousfour a en effet commencé à réaliser des petits films dès le début des années 40. Le fils maudit ne se distingue que partiellement des autres sketches réalisés auparavant par le cinéaste autodidacte. Mais j’ai surtout posé la question du sort réservé à la riche filmographie des années 1955-1958. Des films produits par le CCM et réalisés soit par des cinéastes français qui ont fait le choix de rester travailler au Maroc indépendant (Jean Fléchet, Richard Chenay…) soit par des Marocains de souche (Larbi Benchekroun).
Ces interrogations s’inscrivent en fait dans une vaste réflexion plaidant en faveur de la réhabilitation de l’ensemble du patrimoine cinématographique hérité de la période coloniale qui rappelons-le couvre juridiquement la période mars 1912- mars 1956. Cet héritage dit cinéma colonial relève de notre mémoire culturelle. Il doit être récupéré, conservé, diffusé et étudié. De surcroît les films produits à partir de 1956 avec la souveraineté nationale retrouvée. Je rappelle qu’en 1957, Brahim de Jean Fléchet a représenté officiellement le Maroc à Berlin.
Toujours dans ce sens, je considère que le premier film marocain est Notre amie l’école de Larbi Benchekroun. C’est un court métrage de 1956. En cette année 2016 où le pays célèbre les soixante ans de son indépendance, il serait pertinent voire équitable de rendre hommage à ce film et à son réalisateur Larbi Benchekroun (1930-1984). C’est un cinéaste formé à l’école italienne et qui a rejoint le CCM dès 1956 réalisant de nombreux documentaires. Dans l’enthousiasme qui a fait suite à la proclamation de l’indépendance, il tourne Notre amie l’école (noir et blanc de 11 minutes) où nous retrouvons cette ambiance de mobilisation au service de la relance du pays et le rôle fondateur de l’école. Le film suit un groupe d’enfants le jour de la rentrée des classes, le premier octobre 1956. L’un d’entre eux, Mahmoud, refuse de suivre ses compagnons ; il préfère prolonger les vacances et déambule en ville proie à diverses tentations ; ce qui l’amène à commettre un larcin qui le conduit au commissariat. Il se ravise vite et court retrouver ses camarades en classe. Le film mi-documentaire, mi-fiction est porté par de belles images d’inspiration néo-réaliste et une visée didactique indéniable. Il est fait l’éloge au niveau de son discours et surtout au niveau des images qu’il véhicule de valeurs nobles qui manquent cruellement à notre école aujourd’hui. Nous appelons à le célébrer comme premier film marocain réalisé avec l’indépendance et à lui assurer une large diffusion auprès des jeunes écoliers. Un geste de salubrité publique au moment où aussi bien l’école que le cinéma connaissent et vivent une crise de légitimité.


dimanche 24 janvier 2016

Le pont des espions, le nouveau thriller politique de Steven Spielberg


L’espion et le négociateur


Chaque nouveau film de Spielberg ouvre une nouvelle page dans sa réception publique ; l’adhésion des cinéphiles n’est pas acquise d’emblée ; elle est ainsi à reconquérir à chaque nouvel opus. En somme, un cinéaste qui partage, rarement consensuel. Avec Le pont des espions, l’intérêt est certain sans que ce soit les passions déclenchées par certains films devenus cultes pour les adeptes de la science fiction et des effets spéciaux. Le côté humaniste / innocence de l’enfance est un minimum garanti de fidélité chez ses fans. L’intérêt cependant réside ici dans la dimension politique de ce thriller captivant qui a su, à partir de faits certes connus, construire un récit qui nous parle au-delà de l’intrigue proprement dit, inscrite dans le contexte de la guerre froide et de la hantise de l’attaque nucléaire. Il y a une dramaturgie des valeurs qui font que le cinéma de Spielberg est dans la continuité des récits fondateurs de la fiction nationale américaine.
Deux séquences en ouverture mettent en place, successivement, les deux personnages principaux. D’abord, l’espion soviétique, suivi puis arrêté par le FBI ; ensuite, Donovan, l’avocat des affaires qui va se trouver engagé comme avocat commis d’office pour défendre l’agent communiste et qui sera plus tard appelé à la rescousse pour négocier avec ces mêmes soviétiques l’échange de prisonniers avec d’un côté l’espion arrêté et un pilote américain abattu avec son avion espion au-dessus de l’Union soviétique.

Les deux séquences informatives sont construites d’une manière différente dans leur forme et leur propos mais complémentaire. On commence par découvrir un personnage en train de peindre. Un mouvement arrière de la caméra nous le montre à plusieurs niveaux : le personnage, son reflet dans le miroir et son autoportrait…trois fois la même figure pour signifier, au-delà de la simplicité de l’ensemble, sa complexité, sa nature et sa multiplicité au-delà des apparences. Celles d’un citoyen paisible qui dessine au bord de l’eau, assis sur un banc…En fait, un subterfuge pour passer ses messages car il s’agit bel et bien d’un espion soviétique que le FBI finit par arrêter. La séquence est sobre, efficace avec de belles scènes de poursuite dans la ville qui sont une prouesse de reconstitution historique (nous sommes en 1957) et surtout peu bavarde, le personnage vit de dissimulation. A ce niveau la séquence suivante en est le contre-champ, elle met en place le protagoniste, James Donovan (Tom Hanks). La, ça parle beaucoup ; logique, le personnage est avocat d’affaires, redoutable négociateur. Le verbe et la rhétorique sont sa force de frappe. La troisième séquence fait la synthèse des deux précédentes puisque Donovan est appelé à défendre Rudolf Habel, l’espion soviétique. C’est l’instauration d’une figure canonique du cinéma américain, le héros qui par la seule force de ses convictions va se battre pour imposer l’un des principes fondateurs de la nation américaine : l’égalité de tous devant les droits constitutionnels. Contre une opinion publique hostile car galvanisé par un discours de propagande hystérique, Donovan va prendre sa mission au sérieux et défendre son « client » jusqu’au bout nonobstant la nature de l’accusation.  C’est un personnage fordien, cela me rappelle en effet le personnage de James Stewart dans L’homme qui tua Liberty Valance : l’avocat qui impose le respect de la loi. Mais là, Donovan, face à l’hostilité ambiante et au manichéisme des uns et des autres, il va recourir à une astuce diplomatique pour sauver la vie de son client qui risquait la peine de mort. Dans une rencontre privée il parvient à glisser dans la tête du juge que maintenir Habel en vie pourrait servir comme monnaie d’échange pour libérer éventuellement un prisonnier américain du côté soviétique.
Une éventualité qui a fini par arriver. Dans un formidable montage parallèle qui transcende la référence temporelle historique, Spielberg nous montre pendant les moments du procès de l’espion soviétique, dans une ambiance de hantise et de manipulation idéologique (voir la scène des écoliers), les préparatifs menés secrètement par la CIA pour envoyer au-dessus de l’Union soviétique des avions espions hyper sophistiqués.
L’un de ces avions est justement abattu par la défense anti-aérienne soviétique et le pilote emprisonné et interrogé (Spielberg oppose le traitement réservé à l’espion soviétique et celui réservé par les russes au pilote américain). Inquiets, les responsables américains font appel de nouveau à Donovan pour négocier –officieusement- un échange de prisonniers. C’est la séquence qui fonctionne comme l’épreuve glorifiante pour le héros qui revient chez lui faisant la Une des journaux et attirant dans le train le regard admiratif des citoyens, alors qu’il était haï par toute l’Amérique (sa famille a même été agressée) lors de sa défense de l’espion soviétique au nom de l’Etat de droit.



Le train qui le mène chez lui traversant la ville, a une double fonction narrative en mettant le personnage face aux regards des autres (le regard évaluatif qui va changer entre les deux moments forts du récit) mais il a aussi une fonction  symbolique renvoyant au train vétuste que Donovan prenait à Berlin pour passer de l’ouest à l’est et vice versa. Là, c’est son regard qui capte des signes que le film met en parallèle d’une manière magistrale : à Berlin le regard de Donovan capte des images terribles de jeunes abattus car ils tentaient de franchir le mur fraîchement construit pour passer à l’ouest ; à New-York en regardant hors champ, il aperçoit de la vitre de son train des jeunes qui tentent de franchir des grilles pour passer d’un quartier à un autre : les murs changent de nature mais gardent le même paradigme, celui de la domination. Là (Berlin) un mur idéologique ; ici (New York) un mur social et racial. Ce sont des plans brefs et rapides qui disent toute la richesse du cinéma : rendre visible ce visible qui meuble notre quotidien.

samedi 23 janvier 2016

Le quartier Habous, lieu de l'entre-deux

L’icône d’une ville sans mémoire
« La capitale économique, la métropole blanche, la citadelle ouvrière »…d’emblée le discours dominant sur Casablanca l’inscrit dans un devenir de modernité et trahit son déficit de mémoire. Une cité sans histoire ou plutôt qui écrit son histoire « en direct », en mouvement traduisant la dynamique de tout un pays. Ville de commerce, de l’industrie, de la bourse mais également des émeutes et des  mouvements sociaux et civiles. Ses origines amazighes, on disait Ann Fa, relèvent de l’archéologie et se perdent dans les vestiges d’un passé à réinventer…Et pourtant un quartier se distingue dans cette uniformité imposée, le Habous.


Les urbanistes le situent parmi les trois grandes composantes architecturales de la ville : La Medina, accolée au port et seule trace historique précoloniale ; la ville moderne, celle du 20ème siècle et du capitalisme périphérique et le Habous appelé paradoxalement Nouvelle Medina.  Car il n’est pas intégré dès sa conception à la ville européenne et il ne reprend que partiellement le schéma d’une médina à l’instar de celle de Marrakech, de Fès, d’Essaouira. Un espace de l’entre-deux, en somme, forgeant son originalité par son architecture néo-coloniale portée par un principe, celui de respecter la mémoire de l’autre, en l’occurrence celle des « indigènes ». Une médina aux portes des banlieues populaires et jouxtant le palais royal et le quartier résidentiel du Méchouar. Mais très vite cette dimension traditionnelle a été investie par la population casablancaise qui l’a érigée en un lieu de commerce, de recueillement et de villégiature. C’est le centre apaisé d’une ville bouillonnante   où se côtoient le sacré et le profane ; le commerce, la gastronomie et la culture.
Sa structure spatiale inspirée des villes impériales fait du Habous que ce n’est pas un lieu pour circuler mais pour déambuler ou plutôt « médiner » pour user du joli concept forgé par Feu Abdelwaheb Meddeb. Pour flâner, tout simplement. Ce n’est pas un hasard si les casablancais l’ont élu quasiment en un lieu de « pèlerinage » pendant le mois de ramadan, joignant l’utile et l’agréable, notamment pour ceux arrachés à leur médina d’origine…C’est encore  là où le touriste pressé qui n’a pas le temps de visiter le pays profond, vient pour sa dose d’exotisme à portée de croisière.
Le Habous c’est aussi une structure portée par une géométrie « féminine » combinant intérieur et extérieur, fermeture et ouverture. Un espace pudique, voilée, les maisons sont tournées vers le patio ; les fenêtres sont rares et les portes très petites et hermétiques. C’est l’espace du secret et de la discrétion renforcée par des ruelles qui tournent sur elles-mêmes et des arcades qui réduisent l’ampleur de l’espace. Bref une ambiance expressionniste qui favorise le jeu de lumière et d’ombre…on n’est pas surpris alors si les cinéastes marocains (Lagtaâ, Benjelloun…) ont en fait un « acteur » majeur de leur film. Le Habous constitue une dramaturgie qui peut se lire dans sa richesse visuelle et fragmentée comme une métaphore du  récit des personnages condamnés à l’errance, à la quête.


On peut y accéder par plusieurs entrées. Selon le programme que le visiteur a établi pour sa visite. Il y a un côté gastronomique ; les friands des brochettes au feu de bois sont largement servis…il y a une entrée commerciale donnant accès aux marchands des costumes traditionnels, très prisés lors des fêtes religieuses et il y a une entrée intellectuelle du côté des librairies et des maisons d’édition. On peut affirmer sans risque d’erreur que le Habous compte la plus grande concentration de livre au mètre carrée. On peut ainsi acquérir le dernier livre rare, siroter son thé à la menthe au café qui fait le coin face à la grande place .verdoyante…qu’il faudrait certainement interdire aux véhicules ; mais on est à Casablanca.

vendredi 22 janvier 2016

le cinéma marocain, le tournant

Brèves notes pour un autre cinéma

Un constat : l’année écoulée nous a légué un bilan cinématographique pour le moins mitigé. L’occasion viendra pour l’analyse des principaux paramètres du secteur une fois les chiffres officiels publiés par le CCM.  Mais, les observateurs disposent déjà d’un chiffre-bilan qui en résume tous les autres, celui de l’exploitation. Il est accablant. Pour la première fois, la barre fatidique d’un million de spectateurs a été franchie…dans le mauvais sens, s’entend, celui de la chute. Cette chute qui caractérise la courbe des entrées depuis des décennies maintenant (au moins à partir de la fin des années 8O du siècle précédent). C’est une donne majeure. Un tournant dans l’approche de la chose cinématographique de notre pays. Quelques 900 mille spectateurs constituent la base stratégique d’un cinéma qui aspire à se transformer en industrie. Un chiffre qui s’ajoute à celui encore plus alarmant : elles ne sont que 9 villes à travers le pays à connaître encore le cinéma comme activité commerciale ; c’est-à-dire à présenter un spectacle cinématographique comme projection dans une salle.
On a longtemps glosé sur les causes de cette situation. Aujourd’hui face à cette donne structurelle, il ne s’agit plus de discuter du Pourquoi ? (on en est là) mais de poser la question et de réfléchir au Comment ? (s’en sortir). Plusieurs indicateurs plaident en faveur d’une nouvelle approche, non pas de la manière de gérer le cinéma mais carrément de faire et de concevoir le cinéma. Nous appelons à instaurer une rupture épistémologique désormais dans notre rapport au cinéma. Adopter ce que les anthropologues appellent un « regard éloigné » pour saisir l’ampleur du message qui vient d’être envoyé par la réalité. Des indices qui autorisent à penser que les conditions sont suffisamment mûres pour ouvrir une nouvelle page du cinéma comme pratique sociale. Et cela passe foncièrement par une rupture avec le mode de production en vigueur jusqu’à présent. Bâti autour du système largement performant de l’aide public, le mode de production en vigueur vient de vivre en 2015 son chant de cygne.
Des signes d’essoufflement car incapable de donner à ce cinéma non seulement un ancrage commercial fort (les comédies les plus réussies peinent désormais à atteindre les cent mille entrées) ; mais n’a pas su créer des formes d’expression artistique été esthétique articulées à l’imaginaire collectif d’une société en quête de récit fondateur. Un déficit majeur au niveau de son inscription comme valeur du capital symbolique et comme vecteur d’une fiction nationale. Dans ce sens, l’interdiction de Much loved est à lire comme une donne anthropologique au-delà de sa dimension politique et conjoncturelle. C’est un signal fort à décrypter au-delà de la traditionnelle querelle des images.
A cela s’ajoute, les mutations qui touchent le cinéma lui-même sous l’effet de la révolution numérique qui a bouclé maintenant la boucle du cinéma en atteignant tous les étages de sa fabrication, du tournage au mode de consommation. Nous ne voyons plus le même cinéma. La crise anthropologique du cinéma local, conjuguée à la mutation du cinéma en général fait qu’aujourd’hui nous appelons à un autre cinéma. Un cinéma différent, dans son mode de  production et dans ses rapports à la société.
Une proposition. La première rupture touche à l’économie même du cinéma. Un cinéma low cost (économe, pauvre…) populaire et politique (au sens non pas de contenu mais de rapport nouveau avec son public).
Cela suppose une autre forme d’organisation de l’économie des tournages. Un film marocain est l’ersatz d’une production hollywoodienne. L’hyper spécialisation des équipes, la multiplication inutile des postes reflètent une vision « capitaliste-fordienne » du tournage qui ne prend pas en compte l’environnement socio-économico-culturel du pays. Des tournages moins coûteux mais plus nombreux (cent longs métrages par an et non une vingtaine) ; des équipes, réduites moins payées mais qui travaillent plus dans la durée…
Cela suppose un autre commerce du cinéma. Si le public ne vient plus dans les salles ; désormais il faut aller vers lui en multipliant les lieux et les supports de diffusion que permet le numérique (Nabil Ayouch affirme que trois millions ont vu son « film » ; des jeunes cinéastes sont fiers de voir leur court métrage non institutionnel afficher des centaines de milliers de vues…)

Enfin, cela suppose en amont des formes d’écriture et de scénarisation nouvelles transcendant le mélodrame, stéréotypé et stérile en vigueur depuis de lustres ; un scénario porté davantage par un souffle documentaire (dans son esprit) et par une archéologie de la mémoire visuelle et mythologique de la société.  En mot : UN AUTRE CINEMA.

mardi 19 janvier 2016

Adieu Laila Alaoui, adieu l'artiste

Un ange est passé

Son corps gracile et son âme d’artiste n’ont pas résisté aux balles des terroristes : la brillante photographe et vidéaste marocaine Leila Alaoui a succombé à ses blessures. Elle était attablée à la terrasse d’un café à Ouagadougou, le soir d’une journée de travail, prenant son dîner et conversant via Skype avec sa maman…Quand l’horreur a fait subitement irruption… « Venez m’aider ! », a-t-elle lancé dans un cri d’espoir. Blessée, elle a été hospitalisée et a subi une lourde et délicate opération au niveau du poumon. Je comptais lui envoyer un message : « Leila, tiens bon ! » ; simple  à l’image de son relationnel et de son mode de vie : toujours souriante ; toujours disponible. Elle aimait les gens, les humbles, les sans-grades…et elle n’a pas hésité à transformer cet amour en passion professionnelle en faisant des images et de la photographie son langage pour parler le monde.
Elle était venue à Tanger lors d’un festival de cinéma. C’était en 2009-2010. Je connaissais ses travaux. On a discuté autour d’un album qu’elle avait consacré à des artistes et intellectuels marocains. C’est un cadeau aujourd’hui qui m’est cher. Je lui ai donné un coup de main pour installer ce qu’elle avait appelé « un studio mobile » où elle avait invité des gens de la profession du cinéma : cinéastes, comédiens…Je suivais avec admiration sa patience, le temps qu’elle consacrait à chaque « sujet » ; mettant les gens à l’aise pour capter le meilleur d’eux-mêmes. Un rapport aux humains que ne nie pas leur humanité.
Avant d’aller à Ouagadougou, elle avait assisté à l’inauguration de son exposition à la célèbre Maison européenne de la photographie à Paris. Une exposition intitulée justement Les Marocains. Le hasard tragique en a fait son ultime cadeau à son pays et à son peuple. Leila ayant toujours tenu à célébrer sa diversité enrichissante, avec des photographies d’une beauté extrême, loin de tout esthétisme artificiel ou exotisme déguisé.
Leila, repose en paix ; tu es partie car tu représentes tout ce que ce monde fou abhorre : la beauté, la jeunesse, l’intelligence, l’altérité positive, l’amour de la vie et des gens.

lundi 18 janvier 2016

Des festivals de cinéma sans salles de cinéma

Festivals et cinéphilie


Plusieurs indices concordent pour signifier un nouveau constat : le cinéma marocain est en passe de vivre un tournant de sa jeune histoire. Un tournant dans le sens où une nouvelle phase radicalement différente et en tarin mûrir dans l’antichambre du changement. Rien ne devrait plus être comme avant  car un stade ultime  été atteint. C’est comme le processus avéré par les sciences physiques quand l’eau qui bout se transforme en atteignat un certain de degré, se transforme en vapeur. C’est-à-dire change de nature en passant d’un état à un autre.
Et pour le cinéma l’indice fondamental de cette maturation pour passer à un nouvel éta, a été  fourni par l’année 2015 avec les statistiques de l’exploitation, notamment le nombre d’entrées. Pour la première fois dans le processus de la chute des entrées, la barre symbolique du million de spectateurs a été franchie dans le mauvais sens. C’est-à-dire que durant les douze mois et les 365 jours de 2015 ce sont à peine 900 000 spectateurs ont daigné fréquenter une salle de cinéma en payant leur billet.  C’est tout simplement effarant !
Certes, ont attend le bilan officiel de l’année écoulé que le CCM présente à l’occasion de chaque nouvelle édition du Festival national du film. Mais ce premier chiffre est en soi un bilan éloquent. Il résume tous les autres et dévoilent la vacuité, sinon l’absurdité de tous les autres bilans et rend ridicule les autres chiffres.
Moins d’un million d’entrée, c’est un virage historique ; c’est un signal d’alarme qui devrait inciter tous les acteurs du secteur – absolument tous-  à bien contempler cette image que le renvoie ce miroir.
Toute une batterie de questions se bouscule au portillon d’une réflexion objective qui refuse l’hypocrisie et les faux fuyants. Il est temps pour l’autruche de sortir enfin sa tête du sable pour découvrir le désert qui l’entoure. Toutefois si nous sommes étonnés de cette ampleur de la chute, nous ne sommes cependant surpris car les premiers éboulements ont commencé il y a longtemps déjà. Plusieurs paramètres ont été avancés pour en expliquer les raisons avant d’abdiquer devant la réalité amère : la baisse est structurelle.
Il n’empêche que le débat devrait être relancé en affinant le décryptage des chiffres dans leur vérité crue. Occasion pour s’interroger autour de certains paradoxes qui traversent le secteur comme par exemple pourquoi cette recrudescence des activités autour du cinéma ne parvient pas à renverser la tendance ou pour le moins la juguler ? Nous pensons en particulier aux festivals et aux diverses manifestations de cinéma. Il est temps en effet d’interroger ces festivals sur leur apport  réel au cinéma, sur le terrain et non pas dans le discours.  Leur contribution à l’essor de la cinéphilie ; à ramener le public dans les salles de cinéma. Bon an, mal an, le Maroc connaît l’organisation de plus de soixante manifestations dédiées au cinéma et ce à travers tout le pays.  Quelle leur valeur ajoutée en termes de cinéphile, en termes de création et de formation d’un public qui aime le cinéma.
Un festival qui ne parvient pas dans la durée à  créer son propre public, à former autour de lui un noyau de cinéphiles comme une sorte d’écosystème n’a pas/plus de raison d’être. Il serait utile dans ce sens de croiser la carte des festivals et celle des statistiques des entrées.  Le relevé serait ahurissant. On découvrira ainsi que des villes par exemple comptent jusqu’à quatre festivals de cinéma et n’apparaissent même pas dans le bilan des entrées car elles n’ont pas de salles de cinéma !!!! Faut-il rappeler que neuf villes seulement à travers tout le pays qui ont encore des salles en « activité » ?

Tout cela plaide pour une nouvelle approche qui commencerait par sortir de cette hypocrisie généralisée qui préside au commerce entre les intervenants dans le secteur. Un discours faux qui nous enferme sous un voile opaque d’où nous émergeons un jour/un soir pour nous retrouver nus ! Les subventions distillées à une multitude rencontres devraient désormais intégrer ce paramètre : quel rapport avec le public ? Quelle place pour le cinéma dans les finalités de chaque festival ?  

dimanche 3 janvier 2016

2015: le bilan cinéma

L’année qui vient
Pour un cinéma pauvre et populaire
Parler, au terme d’une année qui s’achève, de l’année qui vient est déjà une forme de bilan. Accablant. Une manière de dire qu’il était temps de passer à autre chose. Et pour dire les choses autrement que par le clin d’œil à Feu Khatibi, l’année 2015 ne sera pas marquée d’une pierre blanche dans la jeune et néanmoins tumultueuse histoire du cinéma marocain. Une année à oublier et vite…
D’abord en termes de production, l’année 2015 a anticipé la sécheresse qui s’annonce pour l’ensemble du pays. Ce fut une année  des vaches maigres. Déjà le festival de Marrakech a trouvé toutes les peines du monde pour honorer le cinéma du pays hôte. Heureusement, le Maroc ne se réduit plus à sa simple dimension physique…les cinéastes de la diaspora ont été appelés à la rescousse notamment pour la compétition officielle avec L'insoumise de Jawad Rhalib…avec les conséquences que l’on sait.  Pour les organisateurs du festival national du film, la production met du pain sur la planche. Alors qu’ils ont instauré dès l’année dernière le principe de la sélection pour prendre part à la compétition officielle du FNF, cette année le nombre de films disponibles va-t-il permettre de reconduire cette procédure, juste dans son principe mais bâclée dans son application ? Mais ce n’est pas le seul dilemme qui se pose aux organisateurs, il y a également la question du lieu qui abritera la prochaine édition. Certaines sources avancent que la question de quitter Tanger a été tranchée et que les partisans du « déménagement » ont réussi à convaincre le ministre de tutelle dans ce sens. Reste à déterminer la nouvelle ville destinataire …Le lobby fassi semble marquer des points. Ce sera la première information à confirmer avec le nouvel an.
Mais tout cela relève d’un débat de conjoncture, la production reprendra son rythme de croisière –déjà 2016 s’annonce prometteuse- alors que le vrai débat reste à mener sur le devenir structurel du cinéma marocain.  A commencer par ce qui fait sa base logistique, les salles de cinéma. Le discours officiel croit trouver la panacée en avançant « qu’aucune salle n’a été fermée depuis 2012 ». Nous aurions plutôt aimé entendre parler de combien de salles ouvertes. Si les salles ne ferment plus, c’est pour la simple raison qu’il n’en existe plus, le dernier carré qui continue à faire de la résistance concerne à peine neuf villes sur l’ensemble du pays. Bientôt, la salle deviendra un simple souvenir pour la génération de plus de 50  ans ; les autres ayant grandi dans un environnement où la salle est un lieu inconnu. L’espoir pour l’année qui vient est de voir le démarrage une vraie politique publique de réhabilitation et de construction des salles de cinéma. Les idées et les propositions existent ; il reste la politique.
L’autre débat majeur concerne cette fois le cinéma lui-même. L’affaire Much loved aurait pu donner l’occasion à un débat serein sur le cinéma que nous voulons, d’une manière sereine loin des dogmes et des interdits. De discuter de sa place au sein de la société ; de débattre de ses choix artistiques et esthétiques. Il est consternant de relever le tassement « esthétique » de ce cinéma ; il y a comme une sorte d’économie politique narrative générée par le fonds d’aide qui fait que ce cinéma donne l’impression de dormir sur ses lauriers surfant sur les mêmes codes destinés au succès facile et souvent démagogique (mélodrame social, dialogues d’un naturalisme primitif et image standards et voire stéréotypées…). La velléité d’un renouveau par le documentaire est formatée par la télévision et le discours officiel…
 Nous plaidons pour un cinéma pauvre et populaire où le documentaire jouerait une fonction d’avant-garde, éclairant à la fois notre rapport au monde et notre vision du cinéma. L’année qui vient sera-t-elle celle de cette rupture esthétique et d’un renouvellement des  idées et des hommes ?




Le film
La nuit entr’ouverte de Tala Hadid : le cinéma d’un monde globalisé
Itar Lail est le premier long métrage de Tala Hadid, jeune cinéaste qui a déjà brillé avec ses courts métrages, notamment le très beau Tes cheveux noirs Ihssane. Le film est le fruit d’une longue recherche et méditation sur des questions qui traversent l’imaginaire contemporain. Un film sur la rupture (la jeune fille Aicha l’orpheline) la quête et l’errance (Zakaria à la recherche d’un frère disparu) ; un monde globalisé où les lieux temporels et spatiaux n’ont plus de sens. C’est un double voyage que propose Tala Hadid ; un voyage vers l’autre qui est en fait un voyage vers soi.
Le film a obtenu le Grand prix du festival national du film ; il a en outre bénéficié d’une discrète distribution commerciale dès le début septembre. Les chiffres du box office publiés par le CCM l’accréditent d’une performance plus qu’honorable dans le contexte marocain où le parc  se rétrécit à vue d’œil et où le système art et essai susceptible de favoriser le destin public est pratiquement inexistant.
Face à un marché dominé par les succès de la comédie populaire, la présence de La nuit entrouverte est une forme de contre-champ cinéphile au cinéma de Ferkouss et Saïd Naciri. Au cinéma aussi, le pluralisme est une vertu à entretenir.
Pour le cinéma international, les écrans marocains ont eu notamment à vibrer pour Mad Max : fury road de George Miller ; une séquence humaniste et écolo de la célèbre saga. Les derniers jours de décembre ont vu débarquer l’événement international, Star wrs, le réveil de la force. Mais aucun bilan crédible ne peut être établi à ce niveau tant  la distribution maintient le marché local en dehors de la diversité de la production proposée sous d’autres cieux.


Le cinéaste
Mohamed Mouftakir : d’un prix, l’autre.

C’est une année faste que vient de vivre l’enfant  béni du célèbre quartier casablancais hay Mohammadi. Mohamed Mouftakir a sillonné le monde avec son deuxième long métrage, L’orchestre des aveugles, remportant de nombreux prix. Interrogé sur le nombre impressionnant de trophées qu’il ne cesse d’accumuler, Mouftakir précise qu’il les offre à ses amis. Une culture de partage à l’instar de la philosophie qui traverse son film. Le succès a ainsi commencé très tôt avec l’année écoulée en remportant à Tanger, le prix du « meilleur réalisateur », appellation bizarroïde car la tradition veut que l’on parle plutôt de la meilleure réalisation. Ce n’est pas grave puisque le trophée va atterrir chez le même destinataire qui par son humilité naturelle refuse d’entrer en concurrence en ces termes avec ses collègues.
L’année se poursuite sous le même bonheur : ce sera ensuite toute une série de récompenses à Oran, Khouribga, Bruxelles…terminant l’année en apothéose à Carthage avec le prestigieux Tanit d’or du meilleur film arabo-africain, dans une session des JCC riche en films de qualités.
Le comédien
Younes Megri : l’humilité des grands
Un nom qui est en soi tout un programme artistique : Younes appartient en effet à cette grande famille d’artistes qui a donné au répertoire de la chanson marocaine son ADN moderne. Chanteur, compositeur doué et performant, Younes va réussir à donner à sa carrière artistique une autre dimension en arrivant au cinéma comme acteur et comme compositeur de musique. Il diversifie les rôles, jeune rebelle, flic, fonctionnaire…la palette de son interprétation s’enrichit au fur et à mesure de son travail avec différentes cinéastes. Avec L’orchestre des aveugles, il atteint un haut degré de maturité dans un rôle de composition inédit. Son professionnalisme est porté par des qualités humaines exceptionnelles. Il est sans conteste l’artiste de cette année.





La comédienne
Noufissa Benchahida, la passion discrète
Elle est à l’affiche  dans le nouveau film de Saïd Khellaf dans un rôle qui dit bien la personnalité de cette grande actrice : généreuse et disponible. Elle est constamment en écoute,  toute ouïe pour capter les péripéties de la vie broyée de Saïd…
Elle entame sa carrière par le théâtre, les Marocains la découvrent dans une série policière à la télévision. Elle arrive avec discrétion sur grand écran, préférant attendre son heure sans précipitation. En 2015, Driss Lamrini lui offre le rôle  titre du film Aïda : «  je me suis mise à la place de mon personnage, Aida, pour défendre toutes les femmes atteintes de cancer”, dit-elle.
Noufissa Benchehida, indique que ce rôle lui a demandé “d’avoir beaucoup plus de concentration et de sensations”, notant, toutefois, qu’elle adore le personnage d’Aida. Gageons que ce beau regard illuminera encore les écrans du cinéma qui vient.









L’événement
Les semaines du film européen : le best of cinéphile

L’événement est né il y a 25 ans ; oui cela fait près d’un quart de siècle que l’Union européenneorganise avec des partenaires marocains, les semaines du film européen. L’idée est simple : il s’agit de programmer sur les écrans de quelques villes marocaines, une sélection de films produits ou copropduits par les pays de l’Union européenne. Comme toute idée, celle-ci est passée par des moments forts, des traversées de désert…Mais le fait est que cette année, la semaine mérite bien de figurer dans notre palmarès. D’abord pour saluer cette persévérance ensuite pour dire et souligner la qualité et la cohérence de la programmation. Il suffit de dire que désormais les films primés dans les grands rendez-vous européens sont proposés aux cinéphiles du Maroc (nuance triste : le carré des cinéphiles locaux fréquentant les salles de la semaine est de plus en plus réduit). Cette année nous avons eu La palme d’or avec Dheepan ; Mia Madre son principal concurrent…Mustang, The lesson et tant d’autres chefs d’œuvre qui ont nourri des débats passionnés parmi le public.

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...