samedi 19 décembre 2015

ayouch, lakhmari...naissance d'une vague

Il y a 20 ans, Ayouch, Lakhmari...débarquent à Tanger

Décembre 1995, naissance d’une vague

Ce fut l’une des éditions les plus mémorables  du festival national du film ; la quatrième, celle qui s’est tenue à Tanger, il y a vingt ans, presque jour pour jour, du 2 au 9 décembre 1995. C’était le temps où le festival était encore nomade, circulant de ville en ville, proposant, à l’image de ces marchands ambulants des récits de mille et une nuits, son lot de films récoltés entre deux éditions. Les années 90, avaient commencé sous de bons auspices avec des succès foudroyants de films marocains au box office avec notamment Un amour à Casablanca de Abdelkader Lagtaâ et A la recherche du mari de ma femme de M. Tazi.
Arrivé à Tanger, le festival avait commencé à tenter une périodicité rapprochée : la troisième était organisée à Meknès en 1991, près de sept ans après la deuxième (Casablanca, 1984). C’était donc un moment euphorique pour la profession d’avoir pu réussir un nouveau rendez-vous dans des délais corrects. Le festival n’est pas né annuel, faut-il le rappeler aux amnésiques qui tentent de réinventer l’histoire du cinéma marocain…mais c’est de la petite histoire. Tanger va se révéler très vite une ville idéale pour une manifestation cinématographique d’envergure. Cité millénaire inscrite dans l’imaginaire artistique collectif, dotée d’infrastructures touristiques, une vie nocturne digne des grandes villes. A cela s’ajoutait en ce décembre béni, une pluie fine et rafraichissante donnant à l’ambiance générale du festival une aura magique qui reste indélébile dans la mémoire des cinéphiles qui avaient pris part à cette édition …même si la salle, au nom mythique Le Goya, qui abritait la compétition officielle entamait déjà son déclin ; elle finira par être fermée quelques années plus tard. Elle abritera cependant un événement qui se révélera de dimension historique : l’ouverture de la compétition officielle aux cinéastes marocains de la diaspora. Tanger 1995 entrera dans l’histoire du cinéma marocain comme un tournant décisif, comme le moment qui vit l’arrivée d’une nouvelle génération, la naissance d’une vague cinématographique.

La sélection officielle de la 4ème édition était juste correcte pour les longs métrages : dix films étaient en lice en compétition officielle devant un jury présidé par Abdellatif Laabi. Le comité d’organisation avait entamé un débat interne sur la possibilité d’inviter les jeunes cinéastes marocains de l’étranger (la France notamment) pour participer au festival et prendre part à la sélection officielle. Certains voyaient cela d’un mauvais œil et à partir d’un point de vue corporatiste étroit. Il faut rendre hommage ici au cinéaste Abdelkader Lagtaâ qui a brillamment défendu l’idée de cette ouverture, soutenue par les représentants du CCM. Ce fut, le bon choix : la compétition officielle du court métrage voit alors débarquer des jeunes cinéastes, dont certains avaient déjà à leur actif deux courts métrages. Ils s’appellent Nabil Ayouch présent à Tanger avec trois courts métrages : Les pierres bleues du désert (avec un certain Jamel Debbouze dans le premier rôle), Hertzienne connexion et Le vendeur du silence ; Ismail Ferroukhi avec L’exposé ; Hassan Legzouli avec Le marchand de souvenir ; Myriam Bakir avec Demain on tourne ; Rachid Boutounes avec  Noces en sursis ; Mhmaed Ulad Mhand avec un Américain à Tanger ; et Nordine Lakhmari avec Notes brèves…Ce fut un coup d’éclat. Une réussite totale. Lakhmari notamment avec un court métrage d’une maîtrise quasi-académique fit sensation. Le jury ne pouvait que conforter ce choix : Notes brèves obtint le Prix spécial du jury et le Prix de la presse ; Ayouch, le prix de la meilleure réalisation pour Le vendeur du silence ; Ismail Ferroukhi, le prix de la première œuvre…et du coup une nouvelle page de l’histoire du cinéma marocain était ouverte. Elle sera enrichie par des apports similaires de nouvelles générations qui font la richesse et la diversité du cinéma marocain d’aujourd’hui.

Omar Benjelloun

décembre 1975 - décembre 2015

Omar, regarde les hommes tomber!

dimanche 13 décembre 2015

PALMARES INEDIT A MARRAKECH

LETTRE DE MARRAKECH

Coppola fait entrer Marrakech dans l’histoire


Lors de la soirée de clôture de la 15ème édition du FIFM, un brin de suspense avait commencé lorsque on a décidé exceptionnellement, comme l’a précisé le sympathique animateur de la cérémonie de clôture, l’inamovible Laurent Weil, de commencer la présentation du Palmarès par l'attribution du Grand prix, la fameuse Etoile d’or de Marrakech. Une tradition non écrite voulait qu’on proclame les prix dans un ordre décroissant en commençant par les prix d’interprétation. En changeant cet ordre, quelque chose d’insolite allait avoir lieu. Le grand F. F. Coppola va se révéler non seulement président de jury mais véritable maître d’œuvre de cette mémorable édition. Insolite, l’événement qui allait suivre l’était en fait et il était surtout historique : le palmarès va être en effet marqué par l’attribution du Prix du jury à 14 films et du coup tous les films de cette quinzième édition sont repartis avec une récompense. C’est la première fois dans les annales des festivals qu’un tel geste a lieu. Coppola, auteur de véritables monuments du cinéma la saga Le Parrain et surtout Apocalypse now vient de faire preuve en tant que président de jury d’une grande audace et surtout d’une grande intelligence à l’égard de ce qui traverse le monde aujourd’hui comme mutations, comme contradictions violentes et qui rendent l’idée même de compétition dérisoire. « C’est le cinéma lui-même qui est récompensé » a précisé le cinéaste américain qui a du coup fait entrer cette édition du festival de Marrakech dans l’histoire du cinéma. Coppola avait annoncé la couleur en déclarant précédemment que le cinéma change devant nous. Avec son palmarès inédit, il semble nous dire tout simplement que le cinéma est en danger. Ce faisant il a signifié par son geste un acte de résistance politique à l’égard du formatage des esprits par la standardisation des images. Marrakech lui a fourni cette occasion parce que le festival respire encore de la fraîcheur ne dépendant pas de grandes compagnies de production et ne subissant pas les pesanteurs d’un marché de films…fraîcheur également de sa ligne éditoriale ouverte cette année davantage encore sur des œuvres jeunes et abordant des thématiques sociales et culturelles.
Pour le palmarès lui-même, le prix de l’interprétation masculine est allé sans surprise à l’acteur du film islandais, Le géant imide,  le public l’ayant déjà plébiscité. Le film aurait également remporté facilement le prix du public tant il dégage de nobles sentiments. Le prix d’interprétation féminine récompense la jeunesse avec la victoire de l’actrice du film  belge, Keeper, Galatea Bellugi ; la concurrence était serrée, cette édition marquée par des premiers rôles féminins très forts.
Le prix de la meilleure réalisation est certainement la plus emblématique de cette édition, il est allé au film le plus ambitieux, le plus porté par un travail de cinéma, Neon Bull du brésilien Gabriel Mascaro.
L’étoile d’or attribuée au film libanais Very big shot est une surprise totale. Certes le film est une comédie légère qui se laisse lire comme une parabole du drame libanais, mais il n’a pas convaincu le noyau cinéphile des festivaliers. C’est un geste aux connotations politiques certaines. Il faut dire que Marrakech porte chance au Liban puisque c’est la deuxième fois qu’un pays du cèdre décroche le grand prix de la ville ocre, Ziad Douiri l’avait en effet emportée en 2012, avec L’attentat.


Signature de livre à Marrakech

Mohammed Bakrim.... par Tala Hadid

mercredi 9 décembre 2015

Festival de Marrakech lettre 3

lettre de Marrakech 3


Le cinéma canadien : entre voisin et cousin !
Le festival de Marrakech accueille cette année le cinéma canadien. Un hommage lui est rendu ce dimanche. Une importante et imposante délégation (forte d’une trentaine de membres) a fait le déplacement vers la ville ocre signifiant ainsi la pertinence de cette initiative qui augure de riches possibilités de coopération entre les deux pays en matière de cinéma. Les deux cinématographies ne manquent pas en effet de points de similitude et affichent des ambitions identiques notamment affermir un cinéma national authentique, ancré dans son environnement, dans un monde globalisé et où des cinémas dominants ont depuis longtemps balisé les pistes de fabrication et de circulation des films. Le cinéma canadien développe dans ce sens une voie d’expression originale, s’attelant sans cesse à se forger une voie originale à l’ombre de deux grandes cinématographies internationale, celle du voisin, le cinéma américain et celle  du cousin, le cinéma français. Pendant longtemps, un schéma non écrit traversait le cinéma canadien avec une tendance grand public, dans la partie anglophone, et un cinéma estampillé cinéma auteur au Québec. Mais la réalité est plus complexe, et on assiste à un développement d’un cinéma anglophone même dans la partie francophone et avec des modes d’expression qui tentent de concilier l’ancrage identitaire dans des formes qui empruntent aux codes forgés par Hollywood. Des cinéastes comme Michel Poulette (présente à Marrakech, Gilles Noël ou Jean-Marc Vallée…ont développé un cinéma de fiction, le polar notamment, à tendance franchement commercial tout en sauvegardant une forme de singularité que le public apprécie et plébiscite.
Le cinéma d’auteur, aussi bien pour le documentaire que pour la fiction, dans la partie anglophone et francophone, a permis cependant au cinéma canadien d’acquérir ses lettres de noblesse, avec des figures de proue (David Cronenberg, Denys Arcand, Atom Egoyan…). Parvenant ainsi à marquer des points y compris dans le fief de Hollywood : Les invasions barbares avaient remporté l’Oscar du meilleur film en langue non anglaise en  Une image à forte charge symbolique avait marqué le festival de Cannes en 2014 quand le jury avait décerné son Prix  à Xavier Dolan, l’un des plus jeunes primés à Cannes, ex aequo avec J.-L. Godard. Une consécration pour le jeune prodige québécois…
Le cinéma Canadien dispose aujourd’hui d’une assise institutionnelle stabilisée avec des formules d’aide publique au cinéma. Toronto abrite aujourd’hui un grand festival international ; crée en 1976, le festival international de Toronto (TIFF) est devenu l’un des plus grands marchés de films dans le monde.
Aujourd’hui la production canadienne tourne autour d’une centaine de films par an dont une bonne trentaine produits au Québec. Le Canada a conclu des accords de production avec 57 pays. La présence de professionnels de cinéma canadien à Marrakech ouvre sur de larges possibilités de coopération avec leurs homologues marocains d’autant plus qu’un certain nombre de cinéastes, de technicisions et de comédiens marocains ont fait le choix d’exercer leur métier au Canada. Le hasard a fait d’ailleurs que le festival rende hommage à un marocain du Canada en la personne du directeur de photo, Kamal Derkaoui.
Atom Egoyan qui préside la délégation canadienne à Marrakech a prononcé un discours bilingue (français-anglais) mettant justement en exergue le pluralisme culturel du Canada que le cinéma tente d’exprimer ; illustré également par sa propre biographie : un arménien, né en Egypte et qui est arrivé à l’âge de trois ans au Canada. Un pays où il a développé une brillante carrière de cinéma. Installé dans la partie anglophone, à Toronto,  il devient un familier des festivals internationaux notamment Cannes. En 2002, il réalise Ararat sur le génocide arménien.
Lors de la soirée de l’hommage, le public du festival de Marrakech a pu découvrir son nouveau film Remember. Un thriller poignant, captivant et déroutant. D’abord en revisitant d’une manière originale, la question de la mémoire d’Auschwitz ; ensuite par la nature des protagonistes qu’il met au centre de son récit, des pensionnaires d’une maison de retraite. La trame narrative est construite autour de l’idée de vengeance. Deux pensionnaires décident en effet d’assassiner le nazi responsable de la mort de leur famille dans le camp de concentration. Le projet s’avère rocambolesque car le héros chargé de cette mission souffre de démence sénile. Une construction qui évite au film d’être une énième version du scénario de la chasse aux nazis et de développer un rythme soutenu aux rebondissements spectaculaires qui dévoilent que derrière le devoir de mémoire, il y a toujours des risques de dérives, de manipulation et que derrière le scénario apparent, il y a le scénario effectif de ceux qui tirent les ficelles de l’histoire. 


Festival de Marrakech lettre 2

Lettre 2


Deux figures féminines de notre temps
C’est la femme qui  inaugure les récits de la compétition officielle de la 15ème édition du festival de Marrakech. Ce sont en effet deux figures féminines aux destins marqués du sceau de notre temps qui portent les deux films de cette première journée riche en images. L’une nous vient de l’orient extrême avec le film sud coréen, Steel flower   et l’autre du moyen orient avec le film iranien Paradise.
Un cinéma de l’immersion
Le film du sud-coréen Park Suk-young, Steel Flower  renoue avec une tradition narrative et thématique récurrente dans le nouveau cinéma sud-coréen, découvert ici même à Marrakech, avec des protagonistes happés par les conditions de l’insertion au sein d’un milieu hostile ou du moins difficile. C’est une SDF que nous suivons dans une errance existentielle, au sens physique du mot puisqu’il s’agit pour la jeune Ha-dam de trouver chaque soir un gîte et de quoi se nourrir. N’ayant pas de téléphone ni de domicile fixe, toutes les portes lui sont fermées ; sa quête prend les allures d’une errance dans un univers nocturne, sub-urbain où les néons d’une lumière factice renvoient à davantage d’enfermement, et de violence. Une violence sociale, celle de la misère et de la solitude et une violence physique, celle générée par les instincts de survie qui font que les marginaux et les faibles sont les plus violents entre eux. La caméra de Park Suk-young nous embarque dans un récit où la caméra colle au personnage, souvent de dos, selon un dispositif scénique qui rappelle le procédé popularisé par les frères Dardenne, dans Rosetta. Un cinéma de l’immersion qui fait que le spectateur est constamment intégré à cette course effrénée, compagnon passif du personnage. C’est la bande son qui offre une ouverture au drame. L’attention de Ha-dam sera attirée, en effet, par le son de danseurs de claquette. L’issue du drame passera alors à travers l’acquisition de chaussures adéquates ; mais après un long processus initiatique, fait de violence et de révolte retenue (l’image finale de la houle et de la mer déchaînée).
Sous le voile, la braise
Hanieh est l’autre figure féminine de cette première journée de la compétition officielle, héroïne deParadise du jeune cinéaste iranien de Sina Ataeian Dena. C’est une institutrice dans Téhéran d’aujourd’hui mais qui est appelée chaque jour, pour rejoindre son école située dans une banlieue pauvre, à parcourir toute la ville. Nous retrouvons la même dramaturgie structurant les deux films ; celle de la quête. Si dans Steel flower la quête du personnage est orientée vers l’acquisition d’un emploi et d’un abri ; celle de Paradise est d’être mutée vers une école proche de son domicile. Mais ce qui intéresse d’abord dans ce premier long métrage de Sina Ataeian Dena, c’est l’histoire du film lui-même. Comme il le signale dans le générique de fin, c’est un film tourné sans autorisation ; le tournage qui a duré plus de trois ans a usé de différents stratagèmes y compris en combinant des scènes tournées dans de vrais décors et d’autres  fabriquées numériquement. En somme, des images volées à l’instar du film Taxi de Jafar Panahi. Le frère de ce dernier est d’ailleurs présent dans le générique du film comme producteur. Le résultat est un constat accablant de l’Iran d’aujourd’hui. Mais un constat qui refuse de s’enfermer dans les clichés véhiculés à l’égard de l’Iran des Ayatollah. Si un voile noir pèse sur la vie sociale, le film va au-delà du voile pour capter les signes de cette vie qui palpite comme le feu de la braise sous la cendre. Centré autour de la figure de la femme, le récit s’ouvre largement sur la réalité multiple d’une société en mouvement. A l’image de ses écolières qui s’acharnent à jouer au football malgré les injonctions morales de la directrice, chantent et dansent dans le bus du transport scolaire. L’une d’entre elles rate même ce bus, un matin, car elle est revenue à la maison chercher son vernis à ongle, pourtant strictement interdit. A l’opposée du rythme infernal du film sud-coréen, ici, le récit s’offre des moments de pause avec des scènes poétiques, des plans fixes de méditation…ou avec des images en abyme comme quand Hanieh vient admirer, de temps en temps, un aquarium : des poissons aux jolis couleurs mais qui se meuvent dans un univers fermé.
Le film est en outre truffé de clins d’œil aux films de ses aînés ; en matière d’engouement des jeunes filles pour le football, cela nous rappelle, Hors jeu de Jafar Panahi qui décrit comment une femme est amenée à se déguiser pour accéder au stade de football. La scène où Hanieh se rase les cheveux n’est pas sans rappeler la femme sans cheveux dans la voiture de Ten de Abbas Kiarostami…une sorte de filiation artistique qui assure au film une autre forme de légitimité, qui en fait un film iranien, même sans le visa de ses détracteurs bureaucrates.



Festival de Marrakech lettre 1

Lettre de Marrakech 

Le cinéma, témoin de son temps

La 15ème édition du festival de Marrakech commence aujourd’hui en affichant une programmation prometteuse, riche et diversifiée. Mais le festival est d’abord en soi un message éloquent eu égard le contexte international tendu et marqué par les horreurs de la violence sous différentes formes. Il indique ainsi que la vie finit par l’emporter et que le cinéma, vecteur artistique de l’imaginaire contemporain, traduit dans un foisonnement d’images et de son cet attachement à la vie, à la concordance et à la tolérance. Le festival de Marrakech a pour ainsi dire dès sa naissance eu à relever ce défi : dire la vie dans sa multitude et la défendre contre les contingences tumultueuses. Septembre 2001, Marrakech a réussi. Le monde ne l’oublie pas. Aujourd’hui encore, il s’agit de prolonger le même engagement. Le président de la fondation du festival de Marrakech, SAR le prince Moulay Rachid le rappelle clairement dans le texte d’ouverture de cette édition : « A ce titre, alors que le Monde et sa si terrible actualité inquiètent plus qu’ils ne rassurent, rappelons que face à l’adversité et au malheur qui frappent tant d’hommes et de femmes, que des milliers d’humains cherchent refuge, fuyant la brutalité et la violence, oui, disons ici, que le cinéma est plus encore aujourd’hui, mis en demeure de témoigner. »
Témoigner est ainsi le programme générique de cette édition. Témoigner de l’ouverture de notre pays que consacre un festival d’envergure internationale ; témoigner de la force du cinéma pour dire  que l’art traverse les frontières et transcende les contingences de l’instant pour offrir une autre image de l’humanité. Témoigner que les rencontres et le dialogue sont le cadre idoine pour aplanir les divergences. Témoigner surtout que la culture est le capital commun de l’humanité. Son bouclier contre la barbarie
L’édition de cette année ne déroge pas à la règle. Elle est une nouvelle illustration de l’inscription du festival dans une logique de promotion de la culture cinématographique. Deux réussites de ces dernières années en sont la preuve éloquente : les masterclasses  et le concours Cinécoles. Deux moments d’échanges qui dialoguent autour d’un enjeu majeur, la formation. Cinécoles car elle permet aux jeunes lauréats des écoles de cinéma de se confronter au cinéma dans sa dimension professionnelle internationale avec un jury prestigieux pour consacrer un film prometteur. Et les masterclasses parce que elles sont la tribune qui s’ouvrent sur les expériences d’auteurs de renommée internationale.
Le pays invité est une section qui s’est très vite imposée comme une fenêtre sur le cinéma du monde à travers le cas d’une cinématographie donnée. Cette année c’est le Canada,  pays qui a su développer, face au géant voisin, un cinéma original et très populaire chez lui. Une expérience enrichissante pour notre propre cinématographie. Le point d’orgue de cet édifice reste le jury. Celui de cette année brille encore de mille feux avec à sa tête, un grand cinéaste, et un auteur mythique, F.F Coppola.
Reste alors la présence marocaine. Celle-ci suscite souvent des controverses et des polémiques. L’année dernière la sélection marocaine a été importante, reflétant l’état de la production. Cette année, c’est une autre formule qui a été privilégiée par la direction artistique optant pour des films coproduits. Ce n’est pas un secret d’Etat de dire que la production nationale a été très insuffisante cette année. Les tournages avaient pris du retard et cela s’est répercuté sur le nombre de films candidats possibles à une éventuelle présence dans telle  section ou telle autre du festival. Nous sommes un pays surdéterminé par la culture « agricole » : il y a des années de vaches maigres ! L’année prochaine s’annonce par exemple florissante. Ainsi, Marrakech témoigne aussi de l’état des lieux de notre cinématographie, comme de notre cinéphilie. Et ce n’est pas la moindre de ses vertus


samedi 28 novembre 2015

mardi 24 novembre 2015

Lettre de Carthage par Mohammed Bakrim

Victoria Abril « le cinéma est une thérapie »

le cinéma à l'ombre d'Ibn Khaldoun


La célèbre avenue Habib Bourguiba, adjuvant majeur des grands événements  de la Tunisie contemporaine, notamment autour du fameux "dégage",  grouille de monde en ce week automnal ; certes le déploiement sécuritaire est impressionnant mais les tunisois –hommes et femmes- investissent tous les lieux de convivialité et de spectacles ; ce qui fait des journées cinématographiques de Carthage l’un des festivals les plus ancrés dans son environnement. « Le public est la grande force des JCC » me dit un vieux compagnon du festival arabo-africain.



Samedi déjà, la cérémonie d’ouverture avait donné le ton. Très sobre et très cinéphile ; elle a été marquée par l’hommage rendu à de nombreuses personnalités avec une guest star de choix l’espagnole Victoria Abril. Elle a égayé la soirée par ses répliques spontanées. « Le cinéma dit-elle est une thérapie contre les maux du siècle ; elle devrait dépendre non pas du ministère de la culture mais du ministère de la santé ». Elle cite sa propre expérience en racontant comment l’entrée dans une fiction lui sauvé parfois la vie. « Il n’y a pas plus simple que faire un film : une feuille de papier et un crayon ; le plus important est de raconter une histoire. La technique suivra ». Interrogée par l’animateur sur le Classico  espagnol qui se déroulait au même moment, elle n’a pas voulu dire où penchait son cœur. Peut-être, était-elle déjà au courant de la raclée que subissait le club royal de la capitale. Deux mots revenaient dans les discours prononcés : liberté et tolérance. La Tunisie post Ben Ali se construit une identité blessée et bafouillée pendant des décennies. La programmation de ces 26èmes JCC va dans le même sens, celui de l’hymne à la vie. Première remarque : le nombre impressionnant de projections, plus d’un millier, à travers tout le pays.
La compétition officielle a démarré avec un premier programme spécial court métrage. Le module présenté est globalement de bonne facture. Le film Algérien Almouja de Omar Belaksmi dresse un tableau accablant de l’Algérie actuelle à travers le regard d’un journaliste algérien qui rentre de France pour une enquête sur le monde ouvrier et se retrouve face à l’apathie et au défaitisme d’une élite intellectuelle qui a abdiqué. Le jeune marocain Eliass Alfariss est allé filmer les vagues et les falaises de Taghazoute où un jeune enfant découvre la mer et ses mystères. La caractéristique principale de la participation marocaine dans la plupart des sections est l’arrivée de nouvelles générations, notamment avec des courtmétragistes issus d’écoles de cinéma. C’est de bon augure en attendant l’entrée de leurs (jeunes) aînés, Ayouch et Mouftakir en compétition officielle, jeudi prochain.
Séance d’hommage émouvante dimanche matin en souvenir de la romancière et cinéaste algérienne Assia Djebbar. Occasion de reparler d’un cinéma, notamment La Nouba des femmes du mont Chenoua (1976), en rupture radicale avec le cinéma idéologique dominant dans l’Algérie dite révolutionnaire. Le film écrit quasiment d’un point de vue personnel celui d’une femme sur le destin des femmes qui est celui d’une nation a bouleversé les schémas établis et provoqué l’ire des gardiens du dogme. Assia Djebbar quittera l’Algérie, blessée et déçue. Mais son film continue à parler pour elle comme un chef d’œuvre à redécouvrir sans cesse.
Deux grands films de la journée. Le fils de Saul du Hongrois Laszlo Nemes (Grand prix à Cannes) vu dans le cadre de la très riche section Cinéma du monde et Madame courage le très attendu nouveau film de l’Algérien Merzak Allouach, présenté dans le cadre de la compétition officielle.
Le fils de Saul aborde un sujet qui n’a pas cessé de susciter polémique et controverses : comment filmer l’horreur de la solution finale nazie ; comment aborder d’une manière artistique l’inimaginable horreur des fours crématoires sans verser dans le voyeurisme, la banalisation ou l’idéologisation. Le pari de Nemes (réussi) était un véritable enjeu cinématographique : comment filmer le non filmable. L’esthétique ici, est fondamentalement une éthique. Dans le camp d’Auschwitz, Saul est un prisonnier juif du camp ; il est assigné à aider les nazis dans leur travail d’extermination avant d’être lui-même liquidé. Il découvre le corps d’un enfant encore en vie et décide de lui assurer une mort digne avec sépulture et rituel sacré…Nemes filme son sujet en apnée ; il nous emmène dans une véritable immersion dans cet univers, la caméra collant pratiquement au corps de Saul : le gros plan du visage est un vecteur narratif ; le spectateur est « embarqué » mais sans voyeurisme ni sensualisme ; l’horreur est là, suggérée, abordée, vécue en somme ; tout le temps en hors champ ; avec une bande son créant un hors champ sonore élargissant l’espace enserré où évolue Saul.
Madame Courage, le film   de Merzak Allouach prolonge son travail de radioscopie cinématographique de l’univers périurbain de la société algérienne.   Attention, le titre est un leurre ; ce n’est pas un clin d’œil à Brecht : c’est tout simplement le nom que donnent les drogués à une substance très forte qui relève davantage de poison. Le film nous transpose dans la banlieue pauvre de Mostaganem pour suivre le quotidien de Omar jeune délinquant qui vit de vols à l’arrachée et dont le père dit-il est mort « du pétrole » puisqu’il était ouvrier à Hassi Messoud. Allusion certaine au paradoxe algérien pays riche à la population pauvre. On le suit caméra à l’épaule dans ses aventures qui se compliquent quand il tombe amoureux d’une jeune lycéenne. On quitte provisoirement le sociologique pour des séquences  romantiques et quasi oniriques. Mais ce n’est pas suffisant pour donner plus d’ampleur au film qui reste le moins abouti d’une filmographie marquée par de vrais chefs d’œuvre.


JCC: le Maroc sur tous les fronts

Les 26èmes journées cinématographiques de Carthage
Le Maroc en pole position
C’est un film éthiopien, Lamb de Yared Zeleke, sélection  Un certain de regard à Cannes 2015, qui donne le coup d’envoi (projeté en cérémonie d’ouverture), des 26èmes Journées cinématographique de Carthage qui commencent ce samedi 21 novembre. Le plus ancien festival de cinéma africain, il est né en effet en 1966, traverse une phase de mutations marquée par les grands événements qui ont touché le pays. Dans le sillage de vent de changement, les JCC vivent le changement à leur manière. C’est ainsi qu’il est devenu annuel depuis deux ans, et compte réaffirmer davantage son identité originelle celle d’être une vitrine de choix du cinéma arabe et africain dans une perspective cinéphilique restant ainsi fidèle à la mémoire de ces deux figures tutélaires Sembene Ousmane et Tahar Chariâa. L’arrivée à sa tête année d’Ibrahim Letaïf, producteur, cinéaste et fin connaisseur du cinéma de notre région est un signe qui va dans ce sens.
Cette édition (du 21 au 28 novembre 2015)  s’annonce prometteuse avec une programmation riche et variée. Les organisateurs qui ont tenu à conforter les acquis précédents ont tenu à élargir l’espace de réception des films vers d’autres régions de la Tunisie ; en particulier avec un programme spécifique à l’attention des étudiants au sein de l’université de la Manouba. « On a constaté ces dernières années que le nombre d’étudiants fréquentant le festival a diminué. C’est pour cela que nous avons décidé cette année de porter le festival vers les étudiants » nous a dit M. Letaïf lors de sa participation au dernier festival de Khouribga. Le point fort des JCC reste en effet son public : jeune, vivant, allant vers tous les genres de films et…paie son billet pour accéder aux salles. 
Le Maroc est omniprésent cette année aux JCC dans la plupart des sections, avec une note particulière, c’est un Marocain qui préside le jury de la compétition officielle en la personne de M. Nour Eddine Saïl. Un choix qui est en quelque sorte d’hommage puisque M. Saïl a accompagné les JCC depuis pratiquement leur création ; en tant que cinéphile et critique de cinéma il a tissé des liens très forts avec ses collègues tunisiens notamment avec le producteur feu Ahmed Attia. En tant que directeur de la deuxième chaîne et après du CCM, il a renforcé ses liens avec une dynamique politique de coopération. Les cinéastes tunisiens se considéraient à juste titre chez eux au Maroc. M. Saïl sera accompagné pour juger les films de cette édition de la palestienne, Mme Laila Chahid, du comédien algérien Abel Jafri, de la tunisienne Anissa Barrak, experte auprès de l’organisation internationale de la francophonie, de Marcela Said, cinéaste chilienne, de Newton Aduaka cinéaste nigérian, Oussama  Faouzi cinéaste égyptien. Deux films marocains ont été sélectionnés pour la compétition officielle, qui s’annonce très étoffée cette année. Il s’agit de L’orchestre des aveugles de Mohamed Moufta kir et Much loved de Nabil Ayouch.  Ils seront en compétition avec de grands noms du cinéma arabo-africain : Suleiman Cissé, Daoud Abd Sayed, Mokhtar Ladjimi, Merzak Allouach, Fares Naanaa…ça promet. Le Maroc est également présent dans les sections court métrage, documentaire…nous y reviendrons.

Mohammed Bakrim 

vendredi 20 novembre 2015

Adieu Mostafa Mesnaoui

Adieu  Mostafa Mesnaoui


Le cinéaste américain Frank Capra disait, en toute connaissance de cause : « le cinéma est une maladie ; le seul antidote au cinéma est le cinéma ! » au point parfois d’en mourir. Si Mostafa Mesnaoui est mort pour le cinéma, dans le cinéma. La nouvelle terrible est tombée tôt ce mardi matin. Il était au Caire pour le festival de cinéma qui se tient actuellement dans la capitale égyptienne. On le savait malade. On a parlé au téléphone il y a à peine quelques jours ; je me suis informé de son état de santé et il m’avait dit qu’il était dans l’obligation de réduire ses activités. Une façon de parler car Si Mostafa n’était pas du genre à renoncer. C’était un homme d’action, au service de sa passion, le cinéma et la culture. Il était justement à Laayoun dans le cadre des festivités célébrant le 40ème anniversaire de la marche verte où il avait animé une conférence sur la place du documentaire  dans la réhabilitation de la culture hassanie. Une courte pause à Casablanca avant de rejoindre les bords du Nil, le Caire…où il avait rendez-vous avec le destin pour son ultime voyage. Que Dieu ait son âme. Il avait en effet succombé à une crise cardiaque alors qu’il était à son hôtel.
Mostfa Mesnaoui est le modèle de l’intellectuel multidimensionnel ; imprégné de l’esprit du temps. Un citoyen moderne ouvert sur les acquis des progrès techniques en matière de médias. Enseignant de philosophie ; il était écrivain, nouvelliste, éditeur, critique de télévision et spécialiste des nouveaux médias. Mesnaoui a inscrit son activité d’intellectuel dans une dimension moderniste engagée au service de l’épanouissement de l’esprit critique et d’ouverture. Acteur culturel depuis sa jeunesse, il était dans le sillage de la nouvelle gauche dans les années 70. Et il en paya le tribu et fait partie des victimes des années de plomb. Il était arrêté et emprisonné (1974 -1976) et dans le dossier d’accusation figurait l’une de ses nouvelles.
Il a compris très tôt le rôle de la culture notamment dans ses expressions modernes  pour rattraper le retard historique qui caractérisait notre société. Il s’investit alors à fond dans la création littéraire ; la critique du cinéma et de la télévision. Il a aussi crée une structure de traduction mettant notamment à la disposition des lecteurs arabophones les textes essentiels des sciences humaines en particulier les textes majeurs de Roland Barthes. En tant que critique de cinéma, il était l’un des meilleurs connaisseurs du cinéma arabe et il était consultant expert pour de nombreux festivals dans le monde pour tout ce qui concerne le cinéma marocain.

Mostafa Mesnaoui était aussi un grand dramaturge contribuant à l’écriture de plusieurs sit-com à succès. Il était aidé en cela par un style satirique acerbe, subtil et ravageur : un caricaturiste du mot. Sous les apparences d’un intellectuel, philosophe austère, Mesnaoui dévoilait un grand sens de l’humour. Il était devenu une référence en matière de capter les paradoxes et les contradictions des mœurs de la nouvelle petite bourgeoisie urbaine. Traquant avec dérision et distance le tragique invisible des rapports sociaux. Une plume et un regard qui feront cruellement défaut à un paysage envahi par la bêtise et la médiocrité. Adieu Si Mostafa et nos condoléances les plus sincères à son épouse, ses enfants, à sa famille et à l’ensemble de la planète cinéphile. 

lundi 16 novembre 2015

Loubna Abidar, une actrice dans le buzz

Loubna Abidar « réfugiée syrienne » ??!!!!
Une actrice dans le buzz
Cette fois c’est Le Monde qui s’en mêle ! Le célèbre quotidien du soir  a offert une tribune à Loubna Abidar, l’actrice controversée,  où elle dit tant de bien de ce qui fut   son pays, Le Maroc. Elle a exprime en effet sa volonté de quitter ce pays. Le journal parisien qui avait bâti jadis sa réputation sur une pratique faite de professionnalisme et de sérieux va même dans un article informatif à sens unique jusqu’à préciser dans la présentation de la comédienne  qu’elle est amazighe. Tiens donc ! C’est la première fois que ce qualificatif vient étoffer son CV. Le contexte se prête en effet à faire feu de tout bois ; pour servir le scénario de victimisation et accentuer  sa dimension dramatique. Préciser que Abidar est amazighe c’est apporter une touche d’oppression ethnique à l’agression physique, à l’harcèlement machiste et à la répression culturelle.   Une femme, une amazighe, une actrice rebelle…voilà les ingrédients typiques pour le profil de la victime, suffisamment mis en scène pour monter une nouvelle affaire contre ce Maroc qui  dérange. Sauf que le journaliste qui a découvert l’origine ethnique de l’actrice a oublié de préciser qu’ « Abidar »  en amazigh signifie « boiteux », « bancal »…à l’image en fait de toute cette mauvaise affaire qu’on tente de nous servir.
Ce  faisant, le Monde rejoint ainsi le concert d’apitoiement qui entoure le film, tel un réfugié syrien et sa comédienne (sic)  depuis sa sortie tapageuse à  Cannes ou plutôt depuis « les fuites » des rushes qui n’appartiennent pas à la version officielle du film et qui ont néanmoins entrainé son interdiction par les autorités marocaines.  Ce déferlement de sympathie à l’égard du film de Ayouch ne manque pas de significations, et trahit une certaine mentalité chez lez distributeurs français. Deux poids deux mesures à l’égard des films provenant des ex-colonies.  Alors que Much loved bénéficie de tous les petits soins glanant même des prix ici et là, d’autres films marocains sont bloqués par le visa Schengen. Je connais au moins deux grands films marocains et coproduits avec la France qui attendent en vain une sortie  commerciale : L’orchestre des aveugles et la moitié du ciel. Deux grands films récompensés dans leur pays et plébiscités par le public et la critique qui ne trouvent pas un distributeur courageux, capable de mette en application la fameuse diversité culturelle tant galvaudées par les élites françaises. Le message est stupide : un film doit être alors interdit dans son pays pour bénéficier de la charité sympathique des distributeurs. 
Même nos amis (frères) tunisiens ont cédé face à cette vaste opération d’instrumentalisation orchestrée autour du film en l’inscrivant en compétition officielle des prochaines JCC (Journées cinématographiques de Carthage).  La vie d’Adèle, le  film du franco-tunisien, Abdel Kechiche n’a pas eu la même chance avec Carthage ni avec les distributeurs tunisiens.  Gageons que le Prix d’interprétation féminine des JCC est déjà réservé.
D’une victime, l’autre. Et la principale victime de cette pseudo affaire, c’est le film lui-même. Tout ce bruit dérange et parasite sa réception publique sereine et apaisée.  Le film en effet est porté par des qualités intrinsèques ; il est réalisé par un cinéaste important de notre paysage cinématographique. Un film qui aborde des problématiques sérieuses et pose des questions de fond quant au rapport du cinéma au réel, au social. Et à y regarder de près (toujours dans la version officielle : je récuse l’idée de le juger à partir des extraits piratés), il offre même des éléments qui dessinent des pistes de lecture…que Loubna Abidar aurait dû bien méditer. Comme cette belle scène où l’on voit une femme, foulard blanc sur la tête et Djellaba sombre marcher dans une rue de la médian…Un corps comme tant d’autres que l’on croise matin et soir dans nos rues. Le film nous invite à un arrêt sur images ; à nous interroger sur quelle histoire, quel récit de vie portent ces corps enfermés dans des apparences…fausses. Tout le projet du film est de traquer l’invisible tragique derrière ce visible trompeur. C’est ainsi que l’on découvre que cette femme (Loubna Abidar) va en fait voir un enfant qu’elle avait confiée à sa mère. Celle-ci lui dit : « ne reviens plus ici ! Ne te montre plus dans le quartier ; je ne veux plus te voir ». Une réplique prémonitoire qui dit, au-delà du personnage  auquel elle s’adresse, le devenir de l’actrice qui l’incarne.
Mais le problème/le drame de Loubna Abidar transcende celui de Noha. Abidar n’a pas un problème avec le quartier. Elle vit aujourd’hui grâce à la nouvelle tribu virtuelle ; son oxygène c’est le buzz. Elle est en addiction des réseaux sociaux. Sans buzz elle n’existe pas. Elle  ne peut plus sortir des réseaux. Elle est dans Matrix. Entre elle et le réel, il y a la toile. Sa raison d’être. Quitter le Maroc ou y revenir ne sont pas la réalité ; sa réalité est cybernétique.
Maintenant la séquence drôle de l’histoire.  Un expert de la communication et de la publicité vient de mettre sur la place publique une idée (encore une) destinée à qui de droit consistant dans la création d’une agence nationale pour améliorer l’image du Maroc.  Une image égratignée, selon un communiqué officiel par le film de Nabil Ayouch.  L’expert qui se propose de corriger cette image n’est autre que Nour Eddine Ayouch.  Autant de rebondissements dignes d’un scénario qui pourrait intéresser Hicham…Ayouch.


jeudi 5 novembre 2015

les feuilles mortes de Younes Reggab par Mohammed bakrim

Le mal parmi nous

Quand on s’appelle un Reggab, la rencontre avec le cinéma est presque un destin. Et Younes Reggab n’y a pas échappé : il a été au rendez-vous ; son premier long métrage de cinéma, Les feuilles mortes, est à l’affiche des écrans du pays depuis mercredi dernier. Le film a été présenté en avant première à quelques jours près de la date anniversaire, le 16 octobre, du décès de son père feu Mohamed Reggab, figure historique du cinéma marocain. Si Mohamed dont toute la vie a été marquée et dédiée au cinéma nous a quitté en effet en 1990. Un hommage et la vie continue…
Younes Reggab a pris son temps pour réaliser son premier film « cinéma ». Après avoir réussi ses courts métrages dont certains ont très bien circulé et obtenu des distinctions dans différents festivals, je pense notamment à Destin de famille…il entame ensuite un travail intéressant à la télévision alternant mélodrame urbain et reconstitution historique. Les touches de cette expérience se retrouvent dans son nouveau film : des personnages poursuivis par leur passé, des parcours parsemés d’embûches et des atmosphères de tension implicites qui finissent par faire irruption bouleversant des vies…
C’est déjà un condensé du récit de son long métrage, Les feuilles mortes. Celui-ci cependant ne se réduit pas  à cela ou à rien que cela. Dès les premiers plans, le film nous situe dans une géographie physique et humaine originale. L’espace du drame nous éloigne des paysages devenus cliché dans une certaine filmographie marocaine. Ici, c’est la ville d’Ifrane qui offre le cadre à un récit inscrit dans la modernité de par le profil des personnages, une jeunesse marocaine d’aujourd’hui (elle boit, fume, danse…), et l’univers de référence qui est celui de la danse.  Une ville censée être un lieu de villégiature va fonctionner comme révélateur : derrière le calme paisible, apparent,  gronde la tempête ; les beaux plans de la ville quasiment  filmés dans une esthétique carte postale sont un leurre. Ce n’est pas un voyage touristique que va nous proposer le récit ; c’est plutôt une descente aux confins de l’âme humaine ; là où le mal se terre en attendant de frapper. Les feuilles mortes qui jonchent le sol de ces rues désertes en automnes renvoient symboliquement à quelque chose de mort dans les relations humaines. La première apparition du personnage central, Zohra, se fait au sein de ce décor aux allures paradisiaques. Elle est professeur de danse et prépare activement le concert de fin d’année. Aux intrigues secondaires spécifiques  à ce milieu clos (jalousie, compétition, manque de moyens…) va succéder une intrigue majeure, celle du secret que porte en elle Zohra. Premier indice qui va déranger une ouverture du récit paisible, les apparitions d’un personnage énigmatique au visage balafré. Il jouera un rôle moteur dans la suite des événements ; il est une des figures de ce passé de Zohra qui va finir par entrer par effraction dans son présent. Encore une fois les apparences sont trompeuses, ce personnage qui avance dans l’ombre n’est pas ce que les signes extérieurs laissent croire d’emblée. Toute la tactique de la mise en scène du film consiste à nous mettre sans cesse sur des fausses pistes. L’une des plus transparentes reste cependant la piste de Mme Serfaty. Si Zohra est suivie par un homme portant une blessure apparente, Mme Serfaty, la directrice du projet et du conservatoire,  porte, quant à elle, une blessure intérieure, celle du déchirement de toute une communauté. La communauté juive marocaine. Mme Serfaty, le personnage positif complet du film, est harcelée par des appels lui enjoignant de retrouver le reste de sa famille (on comprend qu’il s’agit d’Israël). Elle refuse ayant fait le choix de rester et de porter en elle le projet d’une nouvelle communion illustrée par le concert qu’elle prépare avec Zohra et par la carte de la Palestine unifiée affichée sur le mur de sa maison.
L’objectif qui réunit les principaux personnages du récit (la troupe de danse) est de monter ce projet de concert…mais pour y parvenir il y a un préalable. Il y a des zones d’ombre à éclaircir. C’est un message fort que Reggab envoie à ses spectateurs. Le scénario qu’il propose offre une image accablante de la société ; celle-ci n’est pas seulement une société d’énigmes et d’intrigues, elle est surtout une société de pathologie (les chefs d’orchestre sont des aliénés, enfermés !). Le plan final renvoyant à la clôture dans un asile psychiatrique est certes très dur mais il n’en demeure pas moins d’une éloquence inouïe : il n’y a pas d’issue possible sans passer par un exercice thérapeutique. Solder d’abord les comptes du passé avant de penser à donner suite à un concert…La nouvelle génération des cinéastes s’inscrit dans le  scénario d’une société clivée où l’image cache d’autres images. Où l’émancipation du sujet est tributaire de boulets légués par un passé traumatisant. Le clin d’œil  du titre à la célèbre chanson d’Yves Montand sur des paroles de Jacques Prévert n’est qu’un leurre de plus même si ces deux vers conviennent comme refrain au film : « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle…Les souvenirs et les regrets aussi ».

Le film est porté par un travail d’équipe salué judicieusement par Younes Reggab avec la coordination de la production assurée par Anissa Reggab qui fait une apparition dans le film. Les comédiens ont été à la hauteur, Rabi Kati excellent dans sa métamorphose à la Robert de Niro et Sanaa Bahaj s’en tire avec les honneurs dans un rôle complexe.les feui 

jeudi 29 octobre 2015

Ben Barka de Simone Bitton

BENBARKA: Une affaire de cinéma



Il ya cinquante ans, disparaissait Mehdi Benbarka. L’occasion de trouver certyaines pages encore obscures de l’histoire contemporaine du pays. Des rencontres et des hommages sont au programme. Mais Ben Barka c’est aussi une affaire de cinéma ! Le cynisme de l’histoire a fait que la disparition du leader en exil de l’opposition marocaine disparaisse au moment où il avait rendez-vous avec un cinéaste pour le tournage d’un film. Ben Barka était-il cinéphile ? Entre les mathématiques et la politique y avait-il encore une place disponible dans son « disque dur » pour la culture, les loisirs et autres plaisirs de la vie ?  Son destin est porteur d’interrogations sans réponses, auxquelles nul ne peut répondre catégoriquement ; ce qui est certain c’est qu’il était conscient du rôle que peut jouer le cinéma dans la panoplie de moyens qu’il mobilisait dans son combat international contre l’impérialisme. La preuve s’il en faut, c’est son acceptation de venir à ce rendez-vous parisien dans le but justement de discuter du projet d’un long métrage consacré au mouvement de libération dans le tiers monde avec son apport comme figure emblématique de ce mouvement.  Projet qu’on lui a présenté légitimé par des noms prestigieux du cinéma français : Marguerite Duras était pressentie pour l’écriture et Georges Franju pour la réalisation. Franju (1912-1987) auteurs de plusieurs films dans la lignée de ce que Truffaut avait appelé la qualité française, basés notamment sur l’adaptation de grands titres de la littérature française comme La tête contre les murs ou Thérèse Desqueyroux. Ce sinistre vendredi du 29 octobre 1965, il était attablé à la brasserie Lipp du Boulevard St Germain. Il avait rendez-vous justement avec le leader marocain venu spécialement de Suisse pour parler du film. On sait ce qu’il en adviendra : Ben Barka ne franchira jamais le seuil de la brasserie. Interpellé par des gaillard qui se sont présentés avec des cartes de la police française, confiant il les suivit pour ne plus jamais réapparaître.
La légende rapporte que Franju a depuis lors cessé de prendre de l’alcool, Ben Barka a été arrêté presque sous ses yeux,  exprimant ainsi un malaise qui n’est pas seulement le sien. Mehdi a disparu, enlevé à cause du cinéma.
L’image manquante
Une dette qui explique certainement que Ben Barka soit devenu un objet de désir cinématographique et/ou audiovisuel. Cette page tragique, empreinte d’ambigüités et de complexités a été revisitées par le cinéma et la télévision…avec des bonheurs divers. L’intérêt n’étant pas toujours inscrit dans la transparence de la recherche historique et du témoignage artistique. A une exception près, l’excellent documentaire Ben Barka une équation marocaine de Simone Bitton, on peut dire que si Mehdi Ben Barka demeure une énigme politico-policière entre le Maroc et la France, il reste fondamentalement le titre de l’image manquante de notre imaginaire collectif. Une lacune à combler dans le sillage du travail politique, social et culturel de réhabilitation de la mémoire collective, entamé et inachevé avec le début du nouveau règne.
Si toute une recherche approfondie reste mener, un bref  flashback nous apprend que le cinéma s’est intéressé  très tôt à ce qui a été convenu d’appeler « l’affaire Ben Barka. Au début des années 70, tout ce que le Maroc comptait comme intelligentsia était animé à son arrivée à Paris d’une grande curiosité, découvrir un film devenu mythe car il était interdit de sortie marocaine, L’attentat d’Yve Boisset (1972). On chuchotait sous le manteau qu’il y avait un film qui traitait de Mehdi Ben Barka. Le film en fait s’est inspiré de l’événement encore « chaud » pour élaborer ce que la critique appelait à l’époque « une fiction de gauche » et dont Yves Boisset était un parfait spécimen : des idées généreuses de progressisme portées par une forme cinématographique « hollywoodienne » : récit transparent, stars…Le film faisait allusion indirectement à « l’affaire » en racontant l’enlèvement à Paris d’un dirigeant progressiste du sud, Sadiel, interprété par Gian Maria Volonte ; en fait tout le monde comprenait qu’il s’agissait de Ben Barka. En face il y avait Michel Piccoli dans le rôle trop proche de l’allusion à Oufkir. C’est ce que les services de la censure marocaine avaient vite compris  et le film fut interdit…créant un mythe et excitant la curiosité des cinéphiles et des politiciens. Tout le monde s’accordait cependant à dire que le film (ou le roman) de Mehdi était encore à venir.
« J’au vu tuer Ben Barka » (2005) de Serge Le Perón, ne répond non plus à cette attente mais apporté des indices significatifs sur la vision du sujet de la part des autorités marocaines. D’abord c’est une co-production maroco-française, le film bénéficiant même de l’apport du fonds d’aide relevant du Centre cinématographique marocain. L’Etat n’hésitant pas à financer un film sur un sujet tabou. Ensuite ce sont des comédiens marocains que l’on voit interpréter des protagonistes célèbres de l’affaire, Abdellatif Khamouli dans le rôle de Dlimi par exemple. Le fil centre son récit sur le point de vue d’un sujet français à savoir Georges Figon qui est justement censé produire le fameux film sur la décolonisation qui va finalement s’avérer un piège tendu au leader marocain.
  Le film cherche à cerner l'évolution psychologique et dramatique de ce personnage énigmatique qui est George Figon ; c’est un récit subjectif : son corps ouvre le film et sa voix en porte la narration ; un héros tragique qui finit par rencontrer un autre héros d'une tragédie historique, Ben Barka. Dans sa dramaturgie, le film emprunte d'ailleurs à la tragédie sa progression avec un prologue, trois actes et un épilogue. Son esthétique est marquée par une double référence : au film noir dans sa variante française tendance Jean-Pierre Melville et au documentaire notamment dans le traitement des archives d'époque.
Le titre du film induit une hypothèse qu'il ne vérifie pas : on ne voit personne voir tuer Ben Barka. Cela se passe hors champ. Figon suit effectivement la voiture qui enlève Ben Barka, arrivée à la villa-prison, il reste au rez–de-chaussée avec les ripoux français qui ont enlevé Mehdi. On entend du bruit (en quelque sorte les Marocains entre eux), Figon a même eu un malaise (c'est l'intellectuel qui sommeille en lui qui se réveille au bruit de l'horreur ? Métaphore de la conscience française devant le drame qui s'accomplit ?). Figon ne verra rien et nous non plus. Ce choix de privilégier le hors champ ne sera pas adopté dans l'épilogue où le film reconstitue la liquidation physique des principaux acteurs de la disparition de Ben Barka y compris pour montrer l'explosion de la voiture de Dlimi, annoncé pourtant officiellement comme étant victime d'un accident de circulation.
Le documentaire sauve l’honneur
La télévision, française notamment,  s’est emparée bien sûr du sujet.  Le traitement réservé au sujet est révélateur des mœurs  en vogue dans le PAF. Peut-être que le titre du dernier reportage en date, L’obsession (France 3, 2015) résume bien l’angle d’attaque qui guide les soi-disant enquêtes menées autour de l’affaire : une obsession les anime, celle de s’en prendre au régime monarchique marocain au détriment des faits historiques et de la complexité des imbrications multiples que l’affaire suppose. Un règlement de compte attisé par les déboires enregistrés par le journalisme d’investigation à la française suite au scandale Laurent-Graciet. Le « film » de France 3 diffusé le premier octobre, anticipant les célébrations du cinquantenaire de  la disparition Mehdi Ben Barka est la preuve des limites de ce pseudo-journalisme d’investigation animé d’emblée d’un parti pris flagrant. Le fait même qu’il s’ouvre sur des images volées le décrédibilise et le situe dans la logique de ceux qu’il est censés dénoncer.
Un film, un vrai, sauve l’honneur  du genre (le documentaire)  et du média (Arte) qui le produit. Le film, Ben Barka, l’équation marocaine de Simone Bitton (84 mn ; 2001), avec Zakya Daoud comme consultant historique et la très belle voix off de Souad Amidou. Le film est construit autour de l’articulation réussie de témoignes de personnalités politiques, de la famille de Ben Barka, d’images d’archives, et du commentaire.
« Je voulais retrouver l’image tragique et lumineuse d’un homme que ses assassins avaient voulu non seulement éliminer, mais effacer de l’histoire. Et à travers cette image, je souhaitais apporter ma contribution à l’œuvre de défrichage historique à laquelle s’attelle aujourd’hui toute une génération de Marocains» nous dit Simone Bitton. La sortie du film coïncide en effet avec les premières années du nouveau régime marquées notamment par un important effort de réhabilitation de la mémoire collective à travers ses signes les plus marquants. L’ouverture du système politique a été accompagnée d’initiatives visant la réconciliation nationale avec l’action menée notamment par l’instance équité et réconciliation. Le film de Simone Bitton apporte sa contribution à ce mouvement d’une manière spécifique en mettant en avant principalement un regard et une démarche artistique. Le film est et reste une œuvre d’auteure. Une marocaine qui tient à témoigner par l’outil qu’elle maîtrise, le cinéma. On est dans les règles du genre, le documentaire historique. Mais ce n’est pas une écriture neutre, c’est un regard et un point de vue, sans a priori sauf celui de l’humanisme, de l’empathie et de la transparence. Les témoignages sont filmés avec distance et retenue. Les plans des trois sœurs de Ben Barka Zoubida Zhor et Saïda –toujours filmées ensemble- sont tout simplement sublimes tant ils nous disent cette marocanité qui s’exprime sans emphase ni discours formaté ; la spontanéité et l’humilité. A l’instar des larmes versées par des militants chevronnés, filmés avec dignité : le dirigeant communiste, Feu le camarade Abdellah Layachi, ému quand il rapporte les massacres lors de la grève de solidarité avec Ferhat Hachad…ou encore les larmes de Mohamed Frej,  militant ittihadi et compagnon de Mehdi Ben Barka. Dès les premiers plans le film revendique son ancrage dans un terroir, dans un environnement qui est le sien. L’espace de la ville et la musique populaire accompagnent cette visite dans la mémoire ; une mémoire enfin libérée. Les plans sur les enfants, récurrents dans le film, sont un hymne à l’avenir.


Trois questions à Simone Bitton


Le film de sa vie
Simone Bitton est née à Rabat en 1957 ; après un séjour en Israël avec ses parents, elle s’installe à Paris. Après des études cinématographiques à l’IDHEC, elle mène une brillante et riche carrière de cinéaste documentariste. Elle enseigne le cinéma (Esav Marrakech). Ses films disent son engagement pour la paix dans la justice en Palestine comme ils expriment  des coups de cœur culturels (portraits de chanteurs arabes, de Mahmoud Darwich…) ou politiques. Mur (2004) et Rachel (2009) sont de véritables chefs d’œuvre. Ici elle nous parle de Ben Barka, l’équation marocaine (le film est programmé en projection hommage en présence de la réalisatrice lors des prochaines JCC).
Comment  tu as été amenée à réaliser un film long métrage sur Mehdi Benbarka et comment le situes- tu dans ta démarche de documentariste ?

J’ai porté ce film en moi pendant de nombreuses années avant de pouvoir le faire. Il me tenait énormément à cœur car je voulais me pencher sérieusement sur l’histoire contemporaine du Maroc  avec les outils qui sont les miens dans une grande partie de mon travail documentaire : le témoignage, l’archive, le texte et le montage. Avec Patrice Barrat, qui en est le producteur et dont les liens familiaux avec le Maroc sont très forts ( il est le fils de Robert Barrat, l’auteur de « Justice pour le Maroc) nous avons proposé le projet plusieurs fois aux chaînes de télévision et nous sommes heurtés à des refus répétés mais nous avons persévéré pendant une dizaine d’années, jusqu’à ce que la direction des documentaires d’Arte finisse par accepter de le financer dans le cadre de l’émission « les mercredis de l’histoire » . La RTBF et Canal Horizons ont suivi, et j’ai pu travailler dans des conditions qui étaient à hauteur de nos ambitions. En particulier, j’ai pu faire une longue recherches d’archives sur place, car l’image de Ben Barka avait été comme effacée par sa disparition, en même temps que son corps : les agences d’images n’avaient rien, ou presque rien. Il a fallu fouiller jusque sous les lits des gens pour trouver de vieilles bobines , des photos et des documents dont la force constitue je crois l’un des atouts du film.   Avec le recul, je me dis que ce film  a été pour moi le moyen de contribuer – en tant que marocaine- au formidable mouvement de réappropriation de la mémoire et de la parole  qui s’est déclenchée au Maroc à la fin du règne de Hassan II. Cet élan a été très fort pendant plusieurs années, et j’ai aujourd’hui le sentiment pénible qu’il s’est enrayé. A l’époque,  nous en avons bénéficié tout en y participant.
Tu as privilégié une approche historiciste mettant en avant la valeur et la dimension politique de l’homme dans un contexte national et international ; on peut dire que c’est un film sur Mehdi Benbarka  plus que sur l’affaire Benbarka ?
Bien sûr, ce n’est absolument pas un film sur l’affaire Ben Barka. Pour parler clairement, ce n’est pas un film sur sa mort, mais sur sa vie, et en ce sens, c’est une démarche de lutte symbolique contre les assassins. Car le crime politique n’est réussi que lorsque l’histoire et les idées que la victime représente disparaissent en même temps que lui.  La biographie de Ben Barka est porteuse d’énormément de choses que sa mort a malheureusement fortement contribué à engloutir, et en premier lieu c’est un condensé extraordinaire d’un demi-siècle d’histoire politique marocaine. A travers l’histoire de sa courte vie, j’ai pu relater les grandes lignes de la fin du protectorat et des débuts de l’indépendance ,  les rôles respectifs de la monarchie et du mouvement national dans la décolonisation , la formation de la gauche marocaine, etc … L’enjeu principal étant bien sûr de poser les bases de la compréhension de la fameuse « équation » qui est toujours à mon sens la meilleure grille de lecture de la politique marocaine : c’est l’équilibre, ou le déséquilibre des pouvoirs entre les politiques et le palais . Le destin tragique de Ben Barka  a fait de lui le héros et le martyr d’une certaine idée de cet équilibre, qui se cherche toujours. 
Le film ne manque pas de grands moments d’émotion (les témoignages de la famille Benbarka, du militant communiste Abdellah Layachi…) ; le documentaire transcende alors le témoignage historique pour capter des moments d’humanité
Sans émotion, il n’y a pas de cinéma.  Je ne peux pas concevoir de faire un film historique qui ne serait basé que sur des entretiens avec des spécialistes par exemple.  Ca, c’est le travail des historiens, des journalistes, pas celui des cinéastes documentaristes. Même lorsque j’interroge des hommes politiques, je les mets en situation de témoins et non d’analystes ou de commentateurs. Je m’intéresse à leurs gestes, à leurs silences, a leurs regards, à leurs rires et à leurs larmes, pas seulement à leurs mots. Le témoignage de Layachi, mais aussi celui de Kadiri  et d’autres sont très forts parce qu’ils me racontent leur jeunesse, et que la confiance et la durée de l’entretien les replongent dans la pureté de leurs idéaux et de leurs luttes passées.  C’est ça pour moi le témoignage historique. Il est parfois légèrement imprécis, car la mémoire a travaillé – mais le commentaire est là pour éventuellement encadrer les choses, les mettre en perspective. Quant aux merveilleuses sœurs de Ben Barka, le film leur doit énormément : elles sont la chair de sa chair, et elles sont le peuple.
Interviewée par Mohammed Bakrim

samedi 3 octobre 2015

La représentation de la femme dans le cinéma marocain

Entre stéréotypes et dimension symbolique
Dans un monde parfait, le festival des films de femmes de Salé aurait programmé une séance de projection spéciale pour le film Much loved de Nabil Ayouch, il l’aurait aussi présenté en opening night avec, éventuellement, une rencontre débat autour des images et du discours qu’il véhicule. Mais le monde n’est pas parfait ; il est même imparfait voire mal portant et le festival opte pour la sagesse et se donne une ouverture romantique et mélancolique avec un film sur Ismahane alors que much loved, lui, est toujours interdit de territoire. Il est condamné à vivre en exil en immigré culturel ; même si c’est un exil doré. Le film de Ayouch tel un exilé syrien bénéficie en Europe de toutes les sollicitudes ; passant d’un festival à un autre, glanant des prix, avec la promesse de distributions commerciales ici et là. On parle même d’une possible incursion dans la rive sud de la méditerranée puisqu’il est question de le voir programmé dans les prochaines Journées cinématographiques de Carthage. Cela reste fort probable au moins pour deux raisons. D’abord, Ayouch jouit d’un fort capital de sympathie là-bas pour ses films notamment Ali Zaoua et il est en outre un peu tunisien du côté de sa mère. Ensuite parce que nos frères tunisiens aiment nous taquiner et n’hésitent pas quand ils peuvent à nous tacler…S’ils optent pour Much loved lors des prochaines JCC, ce qui est une bonne chose du point du vue du cinéma et du film, la meilleure façon de leur rendre la monnaie de leur pièce est de diffuser / distribuer la Palme d’or « tunisienne », La vie d’Adèle de Abdellatif Kechiche. Dans son intégralité s’entend. Un film qui avait mis dans l’embarras les autorités tunisiennes ; à la fois disant leur fierté du succès d’un cinéaste qui affiche ses origines tunisiennes mais incapables d’affronter les images d’amours féminines. Il a fallu retoucher le film, « le corriger » du point de vue de la morale dominante pour discuter toute possibilité de le montrer au public, censé être adulte et vacciné !

Much loved se situe un peu dans le sillage de La vie d’Adèle.  Avec la différence que le film de Kechiche est un scénario français, une histoire de France avec des jeunes d’aujourd’hui. Much loved lui est ancré dans une réalité marocaine, les personnages sont issus de milieu socio-culturel défini comme marocain. Les deux films, dont les versions « piratées » ont bien sûr inondé un marché parallèle florissant et qui se moque bien des décisions des commissions de censure, remettent à l’ordre du jour un débat inachevé et une problématique ouverte.
Le cas des images de Much loved aurait donc mérité d’être étudié et analysé dans un festival où la problématique majeure est en principe la représentation de la femme au cinéma. Mais les images de Much loved dérangent, font peur, je cite la philosophe Marie José Mondzain : « Dans un monde où règne la peur, plus encore où la peur est le règne, les industries de l’image que je préfère nommer industries du visible, sont les ministres et les artisans de la peur ».  En même temps ce sont des images qui fascinent (tous le monde les a vues !). Elles sont l’incarnation d’un double malaise, celui que notre société entretient avec les images en général et avec les images de la femme en particulier.
Le scénario qu’écrit le cinéma marocain n’échappe pas à ce programme. La filmographie marocaine trahit d’une manière directe ou en filigrane de son propos, ce rapport problématique. C’est en même temps, un atout et un handicap. Filmer la femme est le test de passage vers la création et la créativité. Des films ont su porter leur voix (image) singulière, d’autres se sont contentés de reproduire la doxa.
La représentation de la femme navigue alors entre des images contrastées. Marquée par une certaine récurrence, très tôt le cinéma marocain à l’instar de l’ensemble du cinéma africain, a trouvé dans la figure de la femme un moteur dramatique essentiel. Tout un  cinéma a fait de l’image de la femme un vecteur narratif. Le bilan passe alors d’une utilisation qui relève du stéréotype à d’une forte charge symbolique. Des figures simplistes figées frisant la caricature (grosso modo dans le cinéma commercial) ou inscrite dans une fonction métaphorique transcendant la fable(le cinéma d’auteur à partir des années 70).
Cette récurrence peut-être constatée à partir d’un survol historique de la filmographie marocaine riche de quelques trois cents films à partir d’une entrée simple. Celle du titre des films. On distingue ainsi des films qui portent directement un prénom féminin inscrivant la femme d’emblée dans le statut du protagoniste principal. Il faut attendre ainsi 1980 pour voir un prénom féminin à l’affiche avec Amina de Mohamed B.A Tazi. Un film qui apparaît aujourd’hui moderne dans sa démarche, celle de mettre en scène un personnage nouveau dans l’échiquier dramatique (l’étudiante célibataire) et prémonitoire dans sa thématique sociale (la grossesse hors mariage). Sur un registre tout à fait différent, un autre prénom  fait son apparition c’est celui de Hadda (1984) dans l’énigmatique film de Mohamed Abou Alwakar, co-écrit avec Tijani Chrigui. Les deux auteurs viennent de la peinture abstraite et n’ont pas hésité à donner à leur film une dimension picturale et symbolique pour dire la même violence qui s’exerce sur le corps féminin, métonymique d’un corps social empêtré dans ses contradictions (Amina) ou victime d’un pouvoir patriarcal quasi féodal (Hadda).
Entre les deux films, j’aurai pu citer le premier film de Driss Mrini, Bamou (1983) qui a inscrit le récit de son film dans la période de la lutte pour l’indépendance en mettant en avant l’héroïsme d’un couple issu du petit peuple et confronté à des événements d’envergure. Lalla Chafia (1982) joue sur la symbolique de ce prénom issu de la mythologie populaire pour offrir une radioscopie de la femme rurale ouvrant la voie à une figure qui va s’imposer comme l’un des stéréotypes inhérents à la représentation de la femme, la paysanne en l’occurrence à la fois dans sa dimension visuelle, y compris au niveau des comédiennes qu’on va retrouver dans ce rôle (Souad Saber, Rachida Machnoue…) ou dans son potentiel narratif. 
Des prénoms d’inspiration diverses vont venir enrichir ce tableau indicatif et non exhaustif. La comédie sociale Lalla Hobi de Abderrahmane Tazi,  Rahma de Omar Chraibi, Sara de Said Naciri ; le drame historique Mouna Saber de Abdelhay Laraki, Jawhara de Saad Chraib, Juanita de Farida Belyazid… les personnages historiques avec Zayneb de Farida Bourquia ; kharboucha de Hamid Zoughi. Des prénoms inspirées de la mythologie Andromane de Alaoui Mharzi ; Yakout de Jamal Belmejdoub ; Kandisah de Jérôme-Cohen Olivar . Le drame social Yasmine et les hommes de A. Lagtaâ, Malaka de Abdeslam Kelaï…les contes amazighes avec Tilila de Mohamed Mernich ; Itto titrit de Mohamed Abbazi.   Taounza de Malika Almanoug…
D’autres films ont choisi de faire un clin d’œil indirect ou d’une manière imagéeà la présence de la femme dans le récit ou à l’inscription de leur film sous le signe d’une figure féminine. Le plus beau choix dans ce sens est celui de Mostafa Derkaoui avec Les beaux jours de Shéhérazade (1982). L’histoire d’une rose de Majid Rchich, femme et femmes de Saad Chraibi, Femme écrite de Lahcen Zinoun, L’amante du rif voire Les yeux secs de Narjiss Nejjari, Adieu mères de Mohamed Ismail, Deux femmes sur la route ou encore sous un registre très poétique, Le cri de jeunes filles des hirondelles de Moumen Smihi
On peut parler alors d’une véritable consistance référentielle. D’une omniprésence. Cette présence multiforme autorise à formuler une première hypothèse à savoir que la représentation de la femme dans le cinéma marocain apparaît comme un terrain d’investigation propice afin d’approffondir certaines notions dramatiques dont le développement confine au stéréotype. Le stéréotype étant perçu non pas dans un sens négatif mais comme agissant comme fondement narratif, comme une méta-catégorie se présentant sous plusieurs aspects. Nous sommes ainsi face à un corpus où il s’agit grosso modo d’un regard résolument masculin où la femme est assignée à des fonctions dramatiques déterminées, récurrentes voire figées. J’en ai relevé quatre : l’épouse soumise, la mère dévouée, la jeune femme rebelle et la prostituée. 



Regard féminin
Quand des femmes filment des femmes, au cinéma, cela ouvre-t-il sur des images spécifiques ? En d’autres termes, l’image de la femme dans le cinéma fait par des femmes se distinguent-ils par des spécificités que l’on ne retrouve pas dans les films portés par un regard masculin ? On peut lancer une boutade pour résumer autrement la problématique : y a-t-il des personnages féminins méchants dans des films réalisés par des femmes ? Certainement. Mais la question ne se réduit pas au système des personnages qui fondent une dramaturgie mais touche à l’ensemble de l’esthétique. Le rendu d’un directeur de photo dirigé par une femme se distingue-t-il de celui dirigé par un homme ? Y a –t-il une touche féminine dans le traitement de l’image de la femme ? Très tôt la question a été abordée.
 Et la réponse qui nous vient de l’histoire du cinéma nous dit que le regard le plus chargé d’empathie pour la femme est signé…de Bergman, Fellini, Truffaut…des hommes qui ont si bien rendu le moment intime ou tout simplement si bien  éclairer un visage féminin d’une manière sublime et qui transcende la distinction de genre (Inoubliable gros plans de Renée Falconetti incarnant Jeanne d’Arc de Dreyer). Margareth Von Trotta, la cinéaste allemande, l’une des cinéastes qui ont su justement adopter un tempo original quand il s’agit de filmer des causes féminines avoue sa dette à…Bergman qui l’a mise sur la voie de la création artistique : « "Ce cinéaste est mon maître absolu. C’est vraiment avec ses films que je me suis éveillée au cinéma et que mon désir d’en faire a pris forme ». En 1983, elle obtient la consécration suprême à Venise pour Les années de plomb où elle met face à face deux sœurs, l’une journaliste, l’autre terroriste. « Deux personnages peuvent être nécessaires pour décrire une seule personne. Pour faire voir toutes les contradictions d’une personnalité, on peut la dédoubler au cinéma ( …) C’est un thème classique de la littérature romantique », précise-t-elle. En termes de choix esthétiques, c’est dans le rythme et le montage des séquences qu’une femme ressent et expriment le rapport au temps : filmer le gestuel d’éplucher des pommes est ainsi un choix de montage qui dit un regard.
Au Maroc, deux films offrent une synthèse magnifique de la gestion du temps féminin dans un cinéma féminin. C’est L’enfant endormi de Yasmin Kessari et Sur la planche de Leila Kilani. Deux longs métrages parmi les plus forts de la filmographie marocaine. En fait j’aurai aimé aussi y ajouter un court métrage fort prometteur, Leur nuit de Narrimane Yamna Faqir (2013). Trois films, trois figures féminines radicales : Halima (Rachida Brakni) ; Badia (Sofia Issami) et Rkya (Amale Alatrach)


Badia, la protagoniste de Sur la planche a fait irruption dans notre paysage cinématographique comme une météorite. A elle seule, elle est tout un programme dramatique et esthétique. Avec ses trois autres amies, elles nous offrent une image d’une rare violence, donc d’une rare vérité sur l’état de notre fausse modernité (il y a un trafic de Smartphones en arrière fond du drame) ;  dans un prégénérique lapidaire, elle se charge  d'énoncer, face caméra, en gros plan, leurs cinq commandements : "Je ne vole pas : je me rembourse. Je ne cambriole pas : je récupère. Je ne trafique pas : je commerce. Je ne me prostitue pas : je m'invite. Je ne mens pas : je suis déjà ce que je serai. Je suis juste en avance sur la vérité : la mienne."
Yasmine Kessari, Laila Kilani, Narrimane Faqir, trois regards, trois mises en scène du regard dans un temps propre. Un temps féminin comme le décrit Barthes dans Fragment d'un discours amoureux. Un temps immobile ou répétitif.
 Le temps immobile de l’absence dans L’enfant endormi ; Zineb et Halima confrontées à la séparation (conséquence de l’immigration masculine) sont filmées au quotidien. Le corps reclus face à un espace désertique. La caméra de Yasmine Kessari capte les détails qui disent la blessure intérieure avant que le corps déclenche sa propre révolte (les crises de Halima)
 Le temps dichotomique de Badia dans Sur la planche. Une vie en deux temps : le temps du jour, à l’usine, en plan large parmi les crevettes ; le temps de nuit, celui de la ville western, en plan serré.  Et enfin le temps dilaté et brisé par la rupture de Rkia, l’héroïne du court métrage Leur nuit où nous retrouvons une Amale Al Atrach comme jamais filmée. Un regard féminin ?



Albachado de Hassan Aourid

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