mercredi 31 décembre 2014

Mounia Layadi, professionnelle de l'année

Un homme a interdit le film,
une femme l' a défendu
Son nom a fait le tour des grands médias nationaux et internationaux, Mounia Layadi Benkiran a pourtant toujours travaillé dans l’ombre. Elle a  préfère exprimer sa passion pour le cinéma dans la gestion efficace, avec son mari Mohamed Layadi, de la salle Colisée à Marrakech qui est devenue en quelques années un haut lieu de la cinéphile et l’animation de projets transnationaux pour dans le cadre d’Euromedaudiovisuel…c’est sa société de distribution qui a ramené Exodus au Maroc ; elle a défendu jusqu’au bout, dans la légalité et le resl’Etat de droit le droit de son public à voir le film.
Retenons bien ce symbole fort de cette année : c’est un homme qui a interdit le film ; c’est une femme qui a mené la résistance. Femmes de mon pays, nos libertés sont entre vos mains !

vendredi 26 décembre 2014

Mouftakir, Lagtaâ, Tala Hadid... à Marrakech

Variété thématique et diversité esthétique
« Un film nul, je ne vois pas où est le problème »
Gilles Deleuze

Cinq films marocains ont été présentés lors de la dernière édition du festival de Marrakech. Ils ont été programmés quasiment en exclusivité ; le public du festival a eu ainsi la primeur de la découverte ; c’est d’autant plus passionnant que, chacun selon son contexte, c’étaient des films attendus. D’abord parce qu’il s’agit pour Tala Hadid et Yassine Fennane de leur premier long métrage, après une brillante carrière, dans le court métrage pour l’une, et à la télévision pour l’autre ; pour Mouftakir et Karrat, dont c’est le deuxième long métrage, il s’agit de confirmer ou d’infirmer le programme annoncé lors de leur premier film. Pour Lagtaâ, il s’agissait  d’un retour  attendu avec beaucoup de curiosité après une longue absence, Yasmine et les hommes remontent à 2007 et surtout eu égard à la nature du sujet abordé par son film.  Tels quels, les cinq films expriment à leur manière la richesse, la diversité du cinéma marocain aujourd’hui. Ils ont suscité de l’intérêt, provoquer des polémiques et ont surtout entraîné l’adhésion du large public qui a applaudi, ri, pleuré et a exprimé son émotion, son plaisir…bref le premier succès de ces films est qu’ils n’ont pas laissé indifférents.

L’autofiction de Mohammed Mouftakir.


L’orchestre des aveugles de Mohamed Mouftakir a été le film le plus attendu. En toute logique car il figure en compétition officielle où il était en course avec des films et des cinéastes venus des quatre coins de la planète ; attendu aussi parce que Mohamed Mouftakir n’est pas un anonyme. C’est déjà un nom dans notre cinématographique, « jeune espoir prometteur » comme l’on dit dans le jargon footballistique, il a réussi une brillante carrière de court métrage et il a réalisé une excellente entrée dans le long métrage avec Pégase qui, rappelons-le, avait obtenu le Grand prix du festival national et l’Etalon d’or du Fespaco (ils ne sont que trois marocains, jusqu’à présent, à avoir décroché ce prestigieux trophée africain, Souheil Benbarka, Nabil Ayouch et…Mouftakir).
L’orchestre des aveugles, je le dis d’emblée, a bousculé l’horizon d’attente de ceux qui voulaient aborder le film à partir d’a priori ou selon une grille de lecture établie d’avance. Erreur fatale d’une réception paresseuse car chaque film propose son programme de lecture ; et le film réussi et celui qui crée cet écart avec les préjugés. C’est le cas du deuxième long métrage de Mouftakir. Je pose rapidement (en attendant d’y revenir en détail) comme hypothèse de lecture qu’avec L’orchestre des aveugles, Mouftakir aborde d’une manière personnelle une équation encore en friche dans le cinéma marocain, celle de proposer un cinéma d’auteur ouvert sur le grand public ; ou dit autrement, un cinéma grand public qui ne renonce pas à ses ambitions artistiques, restant fidèle à une conception « auteuriste » du cinéma. Cette stratégie d’ensemble ou cette finalité non écrite se décline à travers des moyens et des procédés. Le film en effet s’inscrit dans une démarche d’écriture que l’on qualifierait d’autofiction (concept emprunté à Serge Dobrovsky). Le drame, le contenu scénaristique, se réfère à des éléments d’autobiographie…Sauf que l’autofiction ne se réduit pas au simple de récit de vie. C’est l’autobiographie marquée par le discours, portée par le langage choisi par l’auteur en l’occurrence, ici, le langage du cinéma. Mouftakir fait du Proust avec les moyens du cinéma. Il rejoint ainsi un autre auteur « cérébral » de notre cinéma, Moumen Smihi qui a entamé un vaste projet d’autofiction.
A contenu nouveau, forme nouvelle, semble être le credo qui a mené le travail de Mouftakir pour son deuxième long métrage. Ce retour à un passé biographique est organisé non pas selon un découpage dicté par la mémoire mais selon les codes narratifs d’un cinéma que l’on qualifierait de postmoderne. Postmodernité qui transparaît dans les références cinéphiliques qui marquent L’orchestre des aveugles, dans l’éclectisme des modes narratifs choisis. Le poétique alterne avec le réaliste ; l’épique avec le comique. Le genre autofictionnel répond, en outre, à un traumatisme originel qui traverse  tous les films de Mouftakir mais abordé d’une manière explicite dans son deuxième long métrage, à savoir la disparition précoce du père. Cette mort non annoncée va marquer l’enfant Mimou et ouvrira la  voie à une crise identitaire qui se révélera à un double niveau : celui du sujet/narrateur ; celui du texte/narré produit par le sujet. Une crise d’identité textuelle à travers un moi morcelé et un récit fragmenté…d’où le malaise chez une partie des récepteurs. Dans L’orchestre des aveugles, le caractère fragmenté du récit est porté par le recours à la figure centrale du montage et à la multiplication des références visuelles : images plastiques et poétiques des lieux supérieurs (les rencontres avec Shama dans les terrasses) versus des images d’un réalisme quasi tragique dans les milieux d’en bas (chambres sombres du rez de chaussée). Le haut et le bas en alternance et fonctionnant comme vecteur d’une tension qui marquera le sujet. Le lieu du récit, une véritable grande maison au sens de Mohamed Dib, est filmé comme un vaste huis clos en fait ; les contraintes de la reconstitution historique ont relativement réduit et limité tout recours à un contre-champ spatial (à de rares exceptions près : l’école, le commissariat…); le drame est centré alors sur un jeu entre la verticalité, indice du rêve et du désir (lieu de rencontre avec l’objet du désir) et l’horizontalité, espace de l’interdit, de la violence, du faux et de l’usage du faux (la note de l’école falsifiée, l’orchestre des aveugles qui n’en est pas un…). Il y a toute une poétique de l’espace/actant à développer par rapport à l’évolution personnage principal.  Nous y reviendrons.

Le come-back de Lagtaâ


La moitié du ciel a été présenté dans la section coup de cœur et pour de nombreux festivaliers ce fut un vrai coup de cœur. Le meilleur hommage à ce retour réussi de Abdelkader Lagtaâ  ce sont les applaudissements nourris qui ont accompagné le déroulement du récit y compris de la part d’une jeune génération qui n’a pas connu les affres de cette période douloureuse de l’histoire contemporaine du pays. Le film adapté du récit de Jocelyne Laabi, est porté par un point de vue original, celui de ceux qui sont restés « dehors » ; ceux qui ont échappé au vaste filet d’arrestation et d’enlèvement qui a marqué ce que l’on appelle les années de plomb.  Et comme, le montre si bien le film, ce sont beaucoup de femmes : des épouses, à l’image de l’héroïne du film, des mères, des sœurs…Le film se révèle un hommage à celles-ci, à leur courage et à leur espoir qui a fait déchirer le linceul du silence. Ce point de vue s’est révélé fécond. Le film en outre évite deux écueils ; celui de montrer la torture : filmer la torture c’est la banaliser ; elle est exprimée autrement. Il ne verse pas dans la caricature et la démagogie ; la forte charge émotionnelle qu’il dégage émane d’une construction dramatique sobre et efficace portée notamment par la formidable interprétation de Sonia Okacha.

Divertissement assumé
Deux films inscrits délibérément, mais différemment, dans le cinéma de l’Entertainment. Mohamed Karrat confirme un choix qu’il a déjà fait lors de son premier long métrage et qu’il assume ici avec Un patri pimenté, tout à fait à l’aise et y réussit très bien. Le film propose un divertissement sur la base d’une comédie de situation doublée d’une parodie de films d’action avec une très belle séquence d’arts martiaux qui se lit comme une bande annonce de que le cinéaste peut encore aborder et où s’est illustrée la bellissime Asmae Khamlichi. Une métaphore pour aborder le film, il propose en ouverture générique une scène de préparation d’une recette de pâtisserie. Une manière de dire que le film lui-même est une mise  en application d’une recette ; force est de reconnaître qu’elle tient la route.
Pour son premier long métrage, Yassine Fennane, surfe également sur le genre comique mais dans sa version radicale au point de bouleverser les attentes du public. Pour Bollywood dream, Fennane a puisé dans les codes d’un genre qui a fait ses preuves en littérature, le grotesque ; cela donne un cinéma de la démesure à plusieurs niveaux : la langue des dialogues (ici, Casanegra apparaît comme une version light), le mélange de styles, le kitch des décors, le jeu des comédiens avec notamment un Adil  Abatourab époustouflant. Si en littérature, ce genre a donné des chefs d’œuvre  (de Rabelais à Mohamed Choukri…), le cinéma aussi a connu des titres cultes qui vont dans le sens de la métamorphose du burlesque, cette approche de la misère dans le film de Fennane n’est pas sans rappeler Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola. Avec la bénédiction de Paolo Pasolini. C’est dans cette perspective qu’il faut recevoir le film…ce que les âmes hypocrites ont complètement raté. Le film dérange ; Karian Bollywood est un véritable coup de poing à la face des « arbitres du goût » et des nouveaux Ayatollahs de  l’ordre moral.
L’image-temps de Tala Hadid

Le film est passé comme un OVNI dans le ciel serein du festival de Marrakech, son titre en anglais, avec une traduction timide en arabe, The narrow frame of midnight (Itar el-Layl), sa structure narrative particulière…ont certainement rebuté plus d’un. Le premier long métrage de Tala Hadid est pourtant un film de notre temps. Il est le plus inscrit dans l’actualité : n’aborde-t-il pas à sa manière le départ des jeunes pour rejoindre les guerres du moyen orient ? Mais il le fait par les moyens du cinéma, par le biais d’une narration non linéaire ; un récit éclaté, polyphonique. Un film choral qui dit la complexité du monde ; on y retrouve les thématiques et les figures chères à Hadid : la quête, le travelling d’accompagnement, l’image de l’enfance…pour accéder à cet OVNI, il faudra certainement passer par Gilles Deleuze : à l’image mouvement du cinéma dominant, Tala Hadid oppose l’image temps : « des personnages pris dans des situations optiques ou sonores, se trouvent condamnés à l’errance ou à la balade ». 

Critique de cinéma...version Maroc

Critique de cinéma 
C’est le plus beau métier du monde ! Être critique de cinéma, dans le contexte d’une cinématographie avancée, c’est être payé pour voir des films ! Quelle veine ! Ailleurs, chez nous par exemple, c’est plutôt la boutade de Truffaut qui convient pour décrire le paysage : « chacun à deux métiers…le sien et critique de cinéma » à lire in Les films de ma vie, Flammarion, 1975, page 19. Hypothèse que je vérifie, chaque matin ou à chaque occasion : mon voisin de palier, mon coiffeur…entre deux remarques sur la dernière prestation du Raja, on glisse des flèches sur tel ou tel film marocain. Le festival de Marrakech en a fourni un autre exemple grandeur nature. C’est peut-être l’un des rares festivals au monde à se voir bénéficier chez lui d’une « couverture » par une armada de gens qui n’ont que des rapports de bon voisinage avec le cinéma…en fait par des gens qui ont leur propre métier…et à l’occasion du festival de Marrakech se couvrent de la casquette de critique de cinéma, encore Truffaut. Cela donne, in fine, des productions discursives, passionnantes et édifiantes. Dommage que les facultés de lettres ne développent pas des départements de sociologie des médias et d’analyse de discours médiatique…notamment autour du cinéma. Edifiant encore une fois.
Ceci dit, un discours en cache un autre ; si la critique cinématographique au sens professionnel du mot faite encore défaut, une approche cinéphilique du cinéma marocain émerge ici et là à travers des textes bien nourris de la passion du cinéma. Car, le drame de notre cinéma est qu’il est souvent abordé par des gens qui n’ont découvert le cinéma qu’une fois adulte, une fois installé dans leur confort universitaire. Ils plaquent alors sur les films des concepts et des grilles élaborées en dehors du cinéma ;  ou dans le contexte d’une cinématographique profondément ancrée dans l’histoire du cinéma et dans l’histoire tout court…comme lorsqu’on cite Godard ou Tarkovski (la dernière tarte à la crème en vogue) pour parler de Saïd Naciri ! Surréaliste.
Michel Ciment, critique de cinéma français, directeur de la publication de la revue Positif, le contre-champ cinéphilique des Cahiers du cinéma, vient de sortir un livre d’entretiens  sur son expérience de critique. Sa lecture est enrichissante et tonique. Le titre est en soi un programme : Le cinéma en partage. Oui l’amour du cinéma, acquis dès l’enfance se prolonge avec l’acte de partage et de transmettre qui est le fondement éthique en quelque sorte de la fonction critique. Car, c’est quoi la finalité en somme ? C’est partager une passion, transmettre, un savoir pour donner à cette passion une dimension intellectuelle, culturelle et artistique.
En conclusion de son livre, il cite quelques principes fondamentaux qui constituent pour lui, les qualités de base que doit avoir un bon critique. Il les appelle, « les sept vertus cardinales pour celui qui veut devenir critique de cinéma ». Ce n’est pas un programme, ni une grille mais des indications nées d’une riche expérience et d’une longue pratique dans le pays qui reste l’emblème internationale de la cinéphilie. Car, fondamentalement, un critique, c’est aussi le produit d’un environnement. Si j’étais méchant, je dirai qu’en effet, chaque cinéma a la critique qu’elle mérite.


jeudi 18 décembre 2014

Adieu Si Mohamed Bastaoui

De la race des seigneurs !


« Mohamed Bastaoui n’est plus » ; l’information, terrible, est tombée comme un couperet en ce matin d’un froid hivernal. On le savait malade, puis hospitalisé depuis quelques jours, bénéficiant de la haute sollicitude royale, entouré de l’amour des siens et de ses nombreux amis et fans, Si Mohamed Bastaoui a vu hélas son état s’empirer, intégrant les services de réanimation d’un grand hôpital de Rabat. Et puis ce fut l’issue fatale.
 Nous étions plongés dans le festival de Marrakech, les yeux rivés sur les écrans mais nos sens et notre cœur battaient du côté de Rabat,  à l’image de Mohamed Khouyi qui était parmi nous, physiquement, mais quasi absent. Sollicité par  ses nombreux fans pour une photo, Khouyi affichait un sourire de politesse car son cœur était du côté de son ami, son frère, son collègue et compagnon. Celui qui, il y a à peine un an, lui remettait l’étole d’or de l’hommage que le festival de Marrakech lui rendait. Le départ de Bastaoui va laisser un vide énorme que Khouyi va être le premier à ressentir, étant tous les deux ensemble dans les différentes rencontres ou manifestation cinématographique. Mais c’est un vide que toute la sphère artistique va ressentir car Si Mohamed était aimé de tous, l’ami de tous, au service de tous. Il fut un grand comédien ayant réussi cette équation si délicate, celle de réussir un parcours artistique de qualité à travers des œuvres diversifiées et complémentaires au théâtre, au cinéma et à la télévision…un parcours et une carrière qui ont forgé l’image d’une vraie star populaire. Venu des vastes plaines de la région de Khouribga, il a gardé cette touche spontanée, cette sensibilité innée, qu’aucune école de formation ne peut enseigner ; celle de dire le mot vrai, le geste juste qui fait vibrer les foules, s’adressant au cœur et à l’intelligence.
Après une expérience de théâtre lumineuse, auprès de la troupe Masrah Alyoum qui lui a permis de forger ses outils et son style et qui lui a permis surtout de découvrir ses compagnons de route, ses amis et camarades, Khouyi, Touria Jabrane, Ouzri, Khamouli et l’auteur Youssef Fadel…Bastaoui va rencontrer le cinéma d’une manière naturelle et spontanée…et au bon moment, c’est-à-dire au moment où ce cinéma entamait le tournant décisif des années 90, le tournant de la rencontre avec le public. Et Bastaoui va être un des vecteurs de la réussite de cette rencontre, en mettant son talent, sa générosité, sa disponibilité, notamment au service des jeunes cinéastes qui vont marquer la première décennie des années 2000. Ayant déjà joué merveilleusement bien dans  Les trésors de l’Atlas de Mohamed Abbazi (1997), je le découvre avec éblouissement dans Adieu Forain de Daoud Aoulad Syad (1998), ce film beckettien où il incarne le rôle de Larbi, ce fabulateur qui n’a plus que des illusions à vendre ; rendant la réplique au grand et cher disparu Hassan Skali incarnant le rôle de Kassem, un héros d’hier qui gère le récit d’un monde crépusculaire où le rêve, celui de Rabii (incarné par Abdellah Didane) de jouer à Hollywood et le mensonge font figures de palliatifs éphémères. Bastaoui avait livré une prestation  portée par une manière de regarder, une manière de rentrer dans le champ ou de marcher…dignes des plus grandes figures internationales du cinéma. J’avais alors parlé dans mon article de l’époque (1998), d’un comédien issu « de la race des seigneurs ». C’était spontané et sincère. Et Si Mohamed n’avait jamais oublié cela ; et il s’amusait à me le rappeler à chacune de nos nombreuses rencontres. 
Il confirmera très vite cette première impression dans des rôles qui marqueront à jamais la cinématographie marocaine aussi bien avec Faouzi Bensaïdi qu’avec Mohamed Asli ou Daoud Aoulad Syad, Mohamed Ismail, ou Farida Bourquia et Kamal kamal jusqu’à son interprétation dans le deuxième long métrage de Mohamed Mouftakir, L’orchestre des aveugles qui lui a permis d’être présent à Marrakech et d’illuminer l’écran de la grande salle du palais des congrès…
Il était très apprécié des professionnels car il développait un jeu qui dégageait une aura qui faisait de lui un brillant membre de la grande école de Marlon Brando,  prolongée par De Niro et Al Pacino, deux de ses comédiens préférés par ailleurs. Sans aller à New York ou suivre des cours de l’actor’s studio il a saisi par son intelligence et son amour du métier, les principales techniques qui rendaient chaque rôle qu’il incarnait humain et non pas artificiel ; faisant sienne cette injonction d’une théoricienne célèbre « Ne Jouez pas, soyez ! », à l’écran comme sur scène, Bastaoui ne joue pas, il EST. Servi par une forte et impressionnante présence physique, Bastaoui l’accompagnait de mouvements toujours signifiants ; des tics discrets comme par exemple se gratter le bras…ou la main toujours active pour indiquer une nervosité intérieure…suivie souvent d’une explosion qui mobilisait tout son corps: voir son interprétation dans le beau film de Mouftakir, présenté à Marrakech dans le cadre de la compétition officielle, L’orchestre des aveugles. Il jouait aussi sur l’alternance du bruit et du silence laissant le spectateur libre de remplir les trous et de contribuer à la construction du sens. Et c’est à juste titre qu’il fut récompensé à plusieurs reprises et que le festival de Marrakech lui rendit un vibrant hommage en 2011.
C’est cet immense talent que nous perdons aujourd’hui. Une étoile s’est éteinte rendant encore plus sombre les nuits de cet automne languissant ; comme est triste le cœur de ses nombreux admirateurs.

Mais si Mohamed peut se reposer en paix, il était aimé de tous ; ses prestations  réunissaient les âges et les générations, les couches sociales, les cinéphiles et le grand public. Ce matin, ma fille est venue en courant m’apporter la triste nouvelle ; ma pharmacienne, le marchand de menthe, le boulanger…Le peuple est unanime, Si Mohamed,  à te dire : Adieu, nous t’aimons toujours !

dimanche 7 décembre 2014

le festival de Marrakech 2014

Le rêve parce que la vie continue


La ville ocre accueille aujourd’hui la 14ème édition du festival de Marrakech. Malgré un calendrier cinématographique international chargé et une rude concurrence entre plusieurs manifestations cinématographiques qui se bousculent en un laps de temps réduit, notamment dans notre sous-région,  le Caire à peine achevé, Carthage prend le relais et Dubaï démarre la semaine prochaine…le festival de Marrakech a réussi à honorer son contrat et établir une programmation prometteuse à travers ses principales rubriques.  A commencer par la sélection des films. Cette année, 87 films, venant de 22 nationalités, ont été retenus pour les différentes sections du festival à savoir la compétition officielle (15 films), Coup de cœur, hors compétition, les films des hommages et du pays invité. C’est un très bon chiffre qui donne au festival une dimension humaine loin de la boulimie qui caractérise certains festivals, Toronto, plus de 300 films au programme ; avec 87 films, Marrakech place la barre à un très bon niveau permettant à un critique sérieux ou un cinéphile assidu de visionner une bonne trentaine de films avec une moyenne de trois à quatre films par jour.
 Fidèle à une tradition qui s’est avérée avec la pratique comme fructueuse, le festival a sélectionné 13 films relevant de « première œuvre » dont huit en compétition officielle. C’est une tendance  qui marque désormais le festival de Marrakech, devenant une plate-forme de lancement de nouveaux talents : beaucoup de cinéastes ayant démarré à Marrakech ont confirmé par la suite, leur immense talent, la palestinien Hani Abou Assad (Star internationale avec ses  films Paradise Now et surtout  Omar),  le Libanais Ziad Doueri (Grand prix  à Marrakech avec L’Attentat). Des films de grande qualité sont également à l’affiche dans la section Coup de cœur dédiée notamment à des films marocains présentés en exclusivité à Marrakech mais aussi avec des films qui ne manqueront pas de susciter l’intérêt des festivaliers et des cinéphiles ; la section hors compétition est très riche cette année avec des films estampillés grand public dont certains sont candidats à l’Oscar.
Le pays invité cette année, le Japon est une véritable cerise sur le gâteau ; c’est une grande nation de cinéma qui sera présentée au public du festival à Marrakech avec une rétrospective donnant  un large aperçu sur la richesse et la vitalité de ce cinéma qui a donné au cinéma mondial de grands maîtres et de vrais chefs-d’œuvre. Nous aurons ainsi à (re) découvrir toute une panoplie qui va des classiques à la toute nouvelle génération : les maîtres historiques : Ozu, Mizogushi, Naruse, Akira Kurosawa, Shohei Imamura, et des représentants du cinéma d'aujourd'hui reconnu internationalement et incarné par Kore-eda, Kyioshi Kurosawa, Naomi Kawase, Nobu Sawara et Ryuishi Hiroki.
La composition du jury a toujours constitué un des points forts de Marrakech, cette année n’a pas dérogé à la règle avec une présidente qui est une grande dame du cinéma  mondial, la comédienne Isabelle Huppert ; star de l’écran qui allie charme, intelligence et regard malicieux sur le monde. Ses interviews de presse sont d’une grande consistance sémantique. Isabelle Huppert n’a jamais accepté de présider un festival en dehors de Cannes ; sa présence à la tête du jury  de Marrakech 2014 est une véritable première internationale. Elle est accompagnée de personnalités prestigieuses venant des quatre coins de la planète dont le marocain Moumen Smihi, le digne représentant du cinéma d’auteur marocaine et arabe.

Les autres rubriques phares du festival, les masterclass, la compétition Cinécole, les hommages à des personnalités marocaines et internationales contribuent à étoffer une programmation riche et diversifiée. Une programmation qui réussit un dosage pertinent entre les composantes qui forment l’identité du festival : un festival glamour, cinéphile, professionnel et citoyen. Citoyen car le festival de Marrakech initie des actions ouverte sur des populations ciblées comme les non-voyants contribuant ainsi doublement à la santé du regard et à son éducation. Il reste également sensible à son environnement et à ce qui marque l’actualité. En offrant une programmation de qualité, il contribue ainsi à maintenir le désir de rêve dans un environnement de plus en plus dur et complexe. Ses images de vie, d’amour, de tolérance… offrent un contre-champ optimiste aux images sinistres des différents JT. C’est en quelque sorte un patrimoine qu’il porte dans son code génétique ; n’est-il pas né un septembre 2001 quand l’horreur a fait irruption dans l’horizon. Sa première édition maintenue malgré les images de la tragédie a donné le ton. Claude  Lelouch en a rappelé la quintessence lorsqu’il a souligné déjà : « le Festival de Marrakech est très important surtout depuis que le cauchemar  a déclaré la guerre au rêve…Ici à Marrakech, le rêve gagnera la deuxième manche ». Aller à Marrakech aujourd’hui comme en 2001, c’est persister dans la défense de la vie et le droit au rêve…car, surtout, après la pluie, il y a le beau temps !

le festival de Marrakech

Marrakech!
Le festival de Marrakech dont la quatorzième édition se tient du 5 au 13 décembre 2014 occupe désormais une place incontournable non seulement dans le paysage cinématographique mais dans l’ensemble de l’espace social. Le festival certes se présente d’abord comme une manifestation cinématographique d’envergure. Dès le départ, les initiateurs du Festival ont choisi de placer la barre très haute pour s’inscrire dans le sillage des grands rendez-vous cinématographique qui marquent la planète cinéma. Et il faut lui reconnaître que le pari a été tenu avec beaucoup de réussite et d’originalité. Marrakech a réussi en effet à se positionner à partir d’atouts qui relèvent du cinéma et de la culture. Contrairement à d’autres manifestations qui sont nés dans son sillage, l’attrait principal n’est pas les sommes d’argent versés dans les prix accordés mais dans la ligne éditoriale qui conjugue convivialité, esprit festif et cinéphilie.
Mais le festival a d’autres fonctions dans le contexte spécifique qui l’a vu naître. On peut dire pour résumer que ses fonctions sont multiples ; d’abord, il y a des fonctions classiques inhérentes à toute manifestation d’envergure qui relèvent de l’image, de la promotion d’une ville et d’un pays,  de l’industrie culturelle, en l’occurrence l’industrie du cinéma…mais pour notre part nous y ajoutons des fonctions aux vertus pédagogiques indéniables. Une première qui nous semble primordiale, celle de former un public, attentif, organisé, respectueux du protocole d’une projection de cinéma et in fine, un public cinéphile. Dans la population d’un festival, il y a les curieux, les touristes…ceux à la recherche de la villégiature mais il y a un noyau constitué de cette « tribu » cinéphile qui se forge au fur et à mesure que le festival se donne une identité claire et une organisation transparente et pérenne. Ce public et la meilleure  garantie et assurance sur le devenir du festival. Il en constitue l’écosystème qui lui offre un environnement propice à son épanouissement continu.  C’est un travail de longue haleine mais qui se nourrit d’actions quotidiennes au niveau de la programmation, des activités parallèles organisées, des rapports au sein des différents intervenants et de la qualité de l’accueil. Un festival qui ne construit pas son public sur la durée est un festival qui  a raté sa mission de base.

Pédagogique, le festival l’est aussi à l’égard des autres acteurs du domaine notamment ceux qui sont impliqués dans l’organisation de manifestations cinématographiques. Depuis quelques années, celles-ci, on le sait, font florès au Maroc. Leur nombre nous ne pose absolument pas de problème ; il y a longtemps que nous avons appelé à ce que « cent festivals s’épanouissent au Maroc ! » ; slogan paraphrasant celui de nos camarades chinois d’une certaine époque et il faut dire qu’aujourd’hui on n’est pas loin de la centaine puisque en 2014, ce sont près d’une soixantaine de rencontres de cinéma qui sont organisées. Cependant et pour rester dans la métaphore chinoise, « que cent écoles rivalisent », il faut s’interroger en quoi justement ces manifestations cinématographiques rivalisent ? Et à quel point ils ont su bénéficier du savoir-faire et de l’expertise qui leur sont proposés en grandeur nature par le festival de Marrakech ? force est de constater que les échos qui nous parviennent dessinent un triste bilan de la pratique dominante chez nombre de manifestations cinématographiques. A  commencer par cette aberration absurde de mettre en place des « compétitions » tous azimuts sans le minimum de conditions requises pour une projection de cinéma. La course vers la subvention du CCM, la frénésie des catégories instaurées par la commission d’aide aux festivals ont créé un climat malsain  dont la principale victime n’est autre que les films…et le cinéma. En somme, Marrakech a encore du boulot !

Albachado de Hassan Aourid

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