dimanche 12 janvier 2014

cinéma et télévision: la question esthétique


La télévision doublée de nouvelles formes de réception de film a introduit un changement radical dans le dispositif classique du cinéma, illustré par la projection 35mm dans un lieu spécifique, la salle. La caractéristique principale de cette explosion étant l’individuation et la fragmentation de la réception. On passe d’une pratique sociale obéissant un véritable rite, à une consommation de plus en plus domestique. Le film passe de la sphère publique à la sphère privée.

  Mais les enjeux économiques de cette mutation ont entraîné des conséquences sur le cinéma, cette fois en tant que choix artistique, en tant que rapport à l’image, en tant que logique du récit. Les modes de financement ont induit des modes d’écritures. A la mort économique du cinéma (voir le dernier rapport sur les déficits chroniques du cinéma français) succède aujourd’hui la mort du septième art, ou du moins sa métamorphise radicale. La télévision est devenue un monstre : elle tue le cinéma qu’elle génère. « La télévision, premier soutien du cinéma, est anthropophage du cinéma qu’elle produit. Elle est en train de le tuer. La ligne éditoriale des télés n’a plus rien à voir avec la ligne éditoriale des salles… » note un producteur français. Un film est financé par une télé en fonction d’une logique d’antenne, en fonction de la place qui lui est assigné d’avance dans la grille. La logique du final cut inconnue jadis dans la notion du cinéma d’auteur est l’expression du pouvoir exorbitant du directeur de programme qui a un œil sur le script du film qui lui et proposé et un œil sur le relevé quotidien du taux d’audience. « Résultat : ce n’est pas parce qu’un film a un vrai potentiel en salles, et qu’il séduit les exploitants  et les distributeurs, que la télévision va le financer ».

Un grand cinéphile, Serge Daney avait pointé du doigt cette métamorphose du langage cinématographique face au formatage télévisuelle dans un article au titre prémonitoire : « Comme tous les vieux couples, cinéma et télévision finissent par se ressembler ». Dès le début des années 80, avec la mode du tout audiovisuel, il avait relevé ou plutôt « senti » qu’un autre medium, une autre façon de manipuler les images et les sons, est en train de pousser dans les interstices du cinéma. Il établit un parallèle historique entre le sort que le cinéma avait réservé aux formes artistiques qui l’avaient précédé, théâtre, danse, littérature et ce que la télévision lui réserve ; les cinéastes se rendent compte que le cinéma avait perdu d’appétit et « qu’un monstre encore plus vorace est apparu ». Pour rester dans l’esprit de l’analyse de Daney, on peut dire que ce qu’on appelait jadis la dramatique, la vogue des téléfilms et autres unitaires aujourd’hui ont colonisé le cinéma. D’un point de vue esthétique s’entend. Qu’en est-il par exemple de la profondeur de champ qui avait permis au cinéma de pousser très loin la perception de la distance et de construire une configuration narrative et dramatique de l’espace. A la télévision c’est le zoom qui a pris la place. « le zoom n’es plus un art de l’approche mais une gymnastique comparable à celle du boxeur qui danse pour ne pas rencontrer l’adversaire ; le travelling véhiculait du désir, le zoom diffuse la phobie. Le zoom n’a rien à voir avec le regard, c’est une façon de toucher avec l’œil… ». Le cadrage s’adapte à la nouvelle lucarne : peut-on parler de champ et de hors champ à la télévision ? Une dialectique neutralisée par la ligne de fuite réduite par les limites de l’image. Un grand cinéaste John Boorman avoue que dans ses films, de plus en plus,  il mettait en scène l’action au centre de l’image anticipant ainsi son passage à la télévision pour que rien ne se perde. « La télévision c’est le règne du champ unique » ou encore la mise en œuvre de la grammaire de base, le champ contre- champ…

Pour sa part le professeur Alain Bergala élabore une théorie de différenciation à partir d’un constat/exercice auquel nous sommes tous invités : quand je suis devant ma télé et que je zappe, je vois tout de suite si je suis devant un film de télévision ou devant un film de cinéma ». Le critère qui permet la différenciation passe par le jeu des acteurs : à la télévision sont acculés à l’instantanéité des sentiments ; à afficher immédiatement leur rôle : la principale différence n’est pas la lumière ni le découpage mais le jeu. Un téléfilm mise tout sur chaque instant, un cinéaste, encore vierge de la pratique télévisuelle, mise sur le temps.

 

mercredi 8 janvier 2014

le documentaire à la télévision


« Le plus vrai que le vrai, le modèle »

J. Baudrillard

Chaque dimanche, en soirée, la deuxième chaîne de télévision propose à son public, une fenêtre, « une case » dans le jargon du milieu, sur « le documentaire ». Une ouverture tant attendue non seulement par les professionnels et les cinéphiles mais également par une large frange du public de la télévision soucieuse de voir revenir du sens à une programmation tentée de plus en plus par la recherche du sensationnel facile et abêtissant. Autre élément positif, les films proposés sont programmés à une heure, aux alentours de 21H30, potable, susceptible de rencontrer un  véritable public. Il reste maintenant à voir ce qui sera l’angle qui portera cette programmation. L’intitulé choisi « HH : des histoires et des hommes » est suffisamment large pour embrasser un concept élastique. Nous sommes passés dernièrement d’une légère et brillante rétrospective du documentaire marocain des années 60, à un documentaire musical El Gusto de  Safinaz Bousbia, véritable remake algérois de Buena Viesta social club de WIM Wenders, à un documentaire ethnographique, Les chemins de la Baraka de Khamis Mesbah et Manoel Pénicaud. Présenté dimanche dernier, ce film d’une cinquantaine de minutes remonte à l’année 2007, renforce cette tendance de la diversité qui caractérise la programmation actuelle. Le film lui-même est un projet de choix éditorial. Il offre à la chaîne une piste à approfondir, et un catalogue à enrichir par des acquisitions internationales et par de l’autoproduction ; l’ethnographie filmique est un chantier vierge dans le paysage audiovisuel marocain. La chaîne peut ainsi s’offrir une « identité documentaire » à l’instar des télévisions stars en la matière : la 4 Channel en Angleterre qui avait ouvert la voie, la chaîne franco-allemnade, Arte… car l’éclectisme actuel ne peut tenir lieu de ligne éditorial.

En s’offrant cette case dite documentaire, inaugurée ne l’oublions pas par une multitude de reportages allongés, tenant lieu de documentaire, 2M s’est offert une couche de cosmétique culturelle. Mais à quel prix ? Avant même d’interroger le contenu proposé, rappelons que la promotion du documentaire s’est accompagné de la mort du cinéma sur la chaîne. Les grands rendez-vous cinéma qui avaient marqué le démarrage de la chaîne d’Ain Sbaâ et son installation, longtemps confortable dans le PAM, ont disparu progressivement ou ramenés à des moments peu visibles. Cinéstar n’est plus que la copie pale de ses années de gloire. Le grand film d’action du dimanche soir a disparu ainsi que les séances cinéphiles de minuit. Pour couronner ce choix, la chaîne a zappé toute émission destinée à promouvoir la culture cinématographique ou pour le moins à accompagner l’activité cinématographique dans le pays. C’est un choix ; la case documentaire apparaît alors, hélas, comme un subterfuge, pour camoufler la victime sacrificielle qu’est devenu le cinéma à la télévision. On offre le documentaire comme une composante légitimant une certaine image de la chaîne. Cela peut être une arme à double tranchant. S’il offre à la chaîne la possibilité de s’auto-promouvoir, le documentaire sera très vite le test majeur de sa capacité à tolérer la différence et de sa marge de liberté dans la programmation, au sein d’un environnement culturel où les professionnels des fatwas d’exclusion sont en embuscade, prêts à tirer sur tout ce qui bouge. Le documentaire suppose en effet un haut degré de liberté et de maturité intellectuelle. Il pose non seulement les questions du réel mais aussi la question de la représentation de ce réel.

 

dimanche 5 janvier 2014

le foot, le Raja...un paradigme social


L’avantage avec le football, c’est que chacun peut donner son avis ; Godard aimait d’ailleurs reprendre cette formule à l’envers en l’appliquant au cinéma, tout le monde peut avoir un avis sur un film. Au football,  de surcroit, chacun  peut même jouer à l’expert. L’on se rappelle lors des différents déboires de l’équipe nationale, on découvre que notre pays dispose de 40 millions de directeurs techniques ; chacun ayant son équipe type, sa formule magique pour redresse la barre…

Cependant, ce week-end  grâce au Raja et au mondial des clubs, le football retrouve ses lettres de noblesse et nous rappelle à sa réalité profonde, celle d’un phénomène de société ; aux dimensions multiples, sportives bien sûr mais aussi économiques, sociales, symboliques, et comme on vient d’en avoir une nouvelle preuve, psychologiques. Il y a comme un vent d’optimisme qui souffle sur le pays ; d’autant plus que la performance du club vert de Casablanca vient dans un contexte terrible vécu par le football marocain à tous les niveaux. Un championnat qui tarde à prendre de l’allure, une équipe nationale cantonnée dans une série de déboires et une gestion calamiteuse à tous les échelons de la hiérarchie fédérale. A cela s’ajoute un climat général morose, accentué par la sécheresse, devenue le titre générique de l’étape… La magie du football, c’est de créer des moments qui transcendent le conjoncturel au bénéfice d’une nouvelle configuration des rapports sociaux marqués de joie, de convivialité et de liesse collective qui relève du rituel de consécration et de célébration comme les sociétés savent en inventer, d’une manière cyclique, pour conjurer le mauvais sort.

Mais il s’agit de savoir raison garder. Il faut éviter de surcharger une victoire sportive, tentation facile encouragée par l’illusion lyrique née des ivresses des soirées de victoire. En d’autres termes, résister à la surinterprétation et proposer une lecture sereine qui saisit effectivement tout l’impact social et culturel d’une compétition sportive, en l’occurrence, le mondial des clubs, dans un contexte spécifique qui est celui de la société marocaine à un moment décisif de la refondation de son contrat social. Sous l’effet de la médiatisation, le football, est devenu un lieu d’investissement symbolique où se reflètent les images, les représentations et les interrogations qui traversent l’imaginaire collectif. Face à un résultat sportif, c’est l’ensemble du corps social qui laisse libre cours à ses réactions profondes. Les reportages télé qui ont fait suite à la victoire du Raja, samedi dernier, ont montré que ce résultat a été rapidement intégré à une reconstruction du moi social « ce n’est pas le raja qui a gagné, c’est le Maroc » ; « tous les Marocains sont rajaouis »…le tout renforcé par l’exhibition du drapeau national. La scène sportive devient alors le lieu de la mise en scène de représentations qui confinent à l’idéologique.

Le football reste in fine, une pratique sportive dont les performances sont tributaires de schémas et de politiques. Il y a aussi une grande marge qui dépend de l’aléatoire. Le scénario que vient d’écrire le club du Feu père Jégo est instructif à cet égard. Voilà une équipe qui perd une finale de coupe ; sort vaincue de ses dernières confrontations…et à quelques jours du grand événement mondial, s’offre le luxe de  limoger son entraineur ; celui-là même qui a balisé le chemin pour parvenir au mondial. Pour ceux qui connaissent un peu l’histoire du grand club casablancais, ne sont pas en fait surpris…le Raja  a toujours été un club qui ne s’enferme pas trop dans le rationnel…Longtemps le Raja a été l’équipe qui pratiquait le football le plus séduisant, grâce à des joueurs hyper doués, sans se soucier ni des résultats ni des titres. Il a fallu le tournant managérial qui a marqué notre époque pour voir le Raja sortir enfin de son « populisme » pour aspirer au statut de club professionnel. Ayant accédé maintenant à l’étage des demi-finales, les verts sont libérés de toute pression. Désormais tout est bénéfice pour eux. Ils devraient jouer à leur guise, pratiquer un football plaisant inscrit dans le code génétique de leur équipe. D’autant plus que le hasard les a mis face à une équipe brésilienne ; une école de football dont le Raja a été longtemps le digne représentant. Bon vent alors…

Rachid Elouali et l'esprit du temps


« Sois belle et tais-toi », la formule immortalisée par le film de Marc Allégret et la Chanson de Serge Gainsbourg…a fonctionné également comme code non écrit régissant les rapports entre les stars et l’espace public, dans le contexte américain d’une certaine époque ; elle  fut en quelque sorte la règle d’or du star system que des producteurs mythiques ont imposé à l’industrie hollywoodienne. Cela n’empêcha pas cependant l’émergence d’une opinion publique très forte au sein de la profession prenant position autour d’un tel sujet ou tel autre. Des prises de poitions estampillées « libérales » au sens américain du mot, c’et-à-dire progressiste ou carrément de gauche. La maccarthysme, cette ignominie de l’histoire, profitant du climat tendu de la guerre froide pour  régler ses comptes avec le sens de l’engagement chez les professionnels du cinéma américain qui étaient majoritairement pour l paix et le progrès social. Le courant conservateur surfant sur l’esprit patriotique, en fait chauvin, pour ériger des obstacles et dicter une série de règles à suivre pour produire un art « puritain », « propre » comme dirait nos conservateurs aujourd’hui. Des commission d’enquête furent montées, un climat de suspicion et de délation régna sur Hollywood, des carrières, des vies furent brisées…de la résistance aussi s’organisa pour rendre au cinéma sa liberté ; car il n’y a pas d’art sans liberté…Aux Usa comme… au pays qui fut le premier à reconnaitre leur indépendance, je veux dire le Maroc.

Nous n’avons pas encore de star system et notre industrie cinématographique est embryonnaire, donc fragile,  mais nous avons un cinéma qui bouge…qui fait parler de lui car inscrit par ses thèmes et ses sujets dans notre imaginaire… et surtout ramène du public dans les salles grâce à des films qui répondent à quelque chose dans l’horizon d’attente du spectateur. Rachid Elouali, comédien, a accompagné cette relance qui a démarré grosso modo à partir des années 90. Il était, alors jeune lauréat, l’une des têtes d’affiche du film qui ouvrit la voix du box office devant  le cinéma marocain, Un amour à Casablanca de Abdelkader Lagtaâ. Un film urbain, casablancais, donc porté par  une forme d’expression du vécu qui ne manque pas de panache. Rachid Elouali s’y amuse, le personnage qu’il interprète est un jeune de son époque, proposant des « joints » à ses conquêtes féminines comme…remède au mal de vie qui traverse l’univers du film. Le film fut une réussite absolue. Rachid Elouali accède alors à une notoriété méritée et fondée sur beaucoup de travail, portée par des rôles diversifiés, notamment avec Hakim Noury. Ce fut sa décennie de gloire réelle. L’image qu’il renvoya était celle d’un homme affable et ouvert, sans a priori. Quand le festival de Marrakech fut lancé au début des années 2000, on pensa en toute légitimité à Rachid El Ouali, comme maître de cérémonie.

Pendant ce temps là, le cinéma marocain continue sa dynamique qui créa de nouveaux rapports de forces et une nouvelle réalité sur le terrain : une nouvelle génération de cinéastes, de nouveaux thèmes, de nouveaux visages…Bref une longue mutation est entamée. Aujourd’hui, celle-ci nous donne une nouvelle configuration. Rachid Elouali a changé de fusil d’épaule. Il passe derrière la caméra, après une expérience de courts métrages, son premier long métrage sort cette semaine sur les écrans du Royaume, Yemma, titre ô combien symptomatique. Le film a bénéficié de l’avance sur recettes. Il affronte désormais la réalité du guichet. On ne peut que lui souhaiter bon vent. Sauf que, c’est le moment que le citoyen Rachid Elouali choisit pour accompagner la sortie de son film par un discours qui relève du prêche et de la prédication. Dans le quotidien Attajdid, il livre une série de fatwas sur ce que devrait être le cinéma, tire gratuitement sur le festival de Marrakech ; il s’instaure comme le nouveau maître à penser, imprégné de l’esprit du temps, celui du retour du désenchantement. Rachid Elouali, le citoyen est libre de ses choix qu’il peut exhiber en fonction des saisons, mais pourquoi cherche-t-il à tracer aux autres  la voie à suivre ; chose  que lui-même a tant refusé ? Tactique politique ou stratégie de marketing ? Ou ce n’est qu’un rôle dans un scénario éphémère ? Espérons que pour  le cinéma marocain ce sera pas « nhar dwa tfa dow », pour paraphraser le titre de l’un de ses films où il est lui-même et son double. C’est-à-dire personne.

 

histoire globale et longue durée


La chaîne européenne d’information continue, Euronews, a consacré l’ouverture de ses journaux de la nuit du 31 au 1er à la présentation de la célébration de l’arrivée du nouvel an à travers les quatre coins de la planète. Images éloquentes, présentées en boucle jusqu’à satiété selon la logique propre à une chaîne d’info. Eloquentes à double titre ; à un niveau référentiel, direct, celui de capter un moment dans la vie des grandes capitales ; la joie commune des populations sous des latitudes différentes. Mais l’autre information dans l’information transcende le factuel pour nous dire autre chose sur la carte d’un monde, disons –le d’emblée, à la fois globalisé et multipolaire. En passant de Sidney à New York, la chaîne des festivités montre que l’humanité ne règle plus sa montre à la même enseigne. La fameuse tour Big Ben et son horloge qui était la référence majeure et qui dictait le timing de l’évolution du monde, est devenue un indicateur parmi d’autres. Dans les salles de rédaction des grands médias, dans les banques, les bourses…il y a désormais une multitude de cadrans qui renvoient à l’heure qu’il fait, là où se prennent désormais les décisions majeures, en liaison avec les mouvements de capitaux : Dubaï, Shanghai, Tokyo…

En fait, nous assistons à un nouveau redéploiement épistémologique qui remet en question la lecture installée à la fois de la carte et de l’histoire du monde. La revue parisienne Esprit, a consacré son dossier du numéro de décembre à « Comment faire l’histoire du monde ». Le monde dans sa pluralité advient à la face de ce qui était jusqu’à présent « le monde » à savoir l’occident en général et l’Europe en particulier qui se sont octroyés le « droit » de parler au nom du monde et surtout de placer les normes qui leur sont propres comme lé référence unique du développement, de la civilisation…. Désormais, un peu partout, le modèle européen est battu en brèche : sur le plan économique, avec les pays émergents et leur chef de file la Chine qui vole à la rescousse d’une économie fatiguée du vieux continent ; culturellement par l’irruption de  phénomènes extrêmes dont la figure symbolique reste la destruction des Tours du World Trade Center.

Les chercheurs en sciences humaines et les historiens en particuliers sont interpellés par ce nouvel état du monde. Leurs travaux nous permettent de saisir et de comprendre que nous ne sommes pas devant un fait passager mais devant une tendance lourde. Tendance qui était là en filigrane mais occultée par la myopie intellectuelle qui a obstrué l’horizon de la pensée devenue « pensée unique », celle du centre européen. L’histoire comme discipline ouverte et pluridisciplinaire a retrouvé ses droits. Face à la vague des écoles à la mode inspirées par l’histoire des annales et des microcosmes sociaux et géographiques, une discipline solide revient au devant de la scène scientifique, celle de l’histoire de longue durée. On parle désormais de l’histoire globale et sur de longues périodes.

A l’instar de ce qui se passe dans de nombreuses disciplines relevant des sciences sociales, c’est en Amériques que des chercheurs ont réinvesti ce champ prometteur pour une meilleure compréhension d’un monde désormais multidimensionnel. Aux USA, on désigne cette démarche par World/ global history. Résumant les thèses de cette école, le professeur et historien Michel Minard nous dit que cette histoire globale vise un triple déplacement. D’abord dans l’espace puisque c’est une histoire qui s’ouvre à des régions et à des contrées longtemps ignorées par les historiens occidentaux. Un déplacement dans le temps, ensuite, en élargissant « le spectre chronologique séculaire » pour intégrer des phénomènes de plus longue durée. Et il s’agit enfin de sortir des entités limitées géographiquement, par exemple les Etats, pour enjamber les frontières, souvent arbitraires (voir le cas de l’Afrique) et s’ouvrir plutôt sur des entités plus larges, culturelles et/ou civilisationnelles.

Les conséquences méthodologiques sont immenses. On ne regarde plus le parcours historique de l’humanité à l’aune de la seule civilisation occidentale, « l’histoire du monde se réduisait à l’ascension de l’occident et à l’occidentalisation du reste ».

Le Jt d’Euronews, peut-être malgré lui, nous met en situation de sortir du récit exclusif de la globalisation, pour nous inviter à embrasser le monde dans la pluralité et la diversité de ses récits.

 

la commission de l'avance sur recettes


En rendant le verdict de sa troisième session au titre de l’année 2013, la commission d’aide à la production cinématographique nationale, appelée depuis 2014, avance sur recettes, a bouclé ses deux années statutaires. Alors que le délai pour la nouvelle session de 2014 est le 5 janvier, rien n’a filtré sur la nomination de la nouvelle commission. Des sources proches du ministère de la communication parlent d’une reconduite de l’actuelle équipe présidée par le dramaturge Abdelkrim Berrechid (qui a succédé en cours de mandat à Feu Driss Benali). Rien dans les textes n’interdit une telle éventualité. Le ministre dispose de cette prérogative ; et l’actuelle commission peut-être amenée à exercer pour une troisième année successive. Mais est-ce opportun d’un point de vue professionnel ? Je rappelle qu’un précédent a eu lieu lorsque M. Laabi a été reconduit pour un nouveau mandat à la présidence d’une précédente commission.

 La commission, composée de 12 membres, issus du monde du cinéma des arts et de la culture,  nommés par le ministre de la communication, se réunit trois fois l’an. La commission est autonome et souveraine; en principe car la perfection n’est pas de ce monde. le Centre cinématographique marocain assure la logistique pour les travaux de la commission et le suivi de l’application de ses décision. Au sein de la commission elle-même, et contrairement à une légende fort répandue, le CCM ne jouit que d’une seule voix par l’intermédiaire de son représentant à l’instar des autres départements ministériels : les finances, la culture (depuis la dernière réforme) et la communication. Il arrive même que le représentant du ministère de la communication exerce plus d’influence du fait même du pouvoir de nomination du ministre de tutelle. Mais c’est une question de rapports de forces qui se crée au fur et à mesure de l’évolution des travaux de la commission. La première session d’une commission nouvellement installée ne ressemble jamais à celle qui clôt le mandat…conséquence de l’expérience acquise par les uns, des affinités mutuelles nées chez d’autres.

Au début de chaque session, la commission est informée par le secrétariat du montant alloué par le ministère des finances : en moyenne 20 millions de dirhams  étant donné que l’enveloppe annuelle est de l’ordre de 60 millions de dirhams. Les textes prévoient que les premières demandes servies sont celles émanant des films déjà réalisés. Un producteur (marocain) peut en effet postuler à l’avance sur recettes soit en présentant un scénario avec un budget estimatif que la commission va lire et évaluer, soit un film que la commission, visionne et lui accorde une avance sur recette. Le montant ne dépasse jamais les deux tiers du budget global. Cet aspect est abordé par une sous-commission formée généralement des producteurs membres de la commission, et des représentants des finances et du CCM.

En moyenne la commission choisit quatre à cinq projets de long métrage, deux à trois courts métrages et de temps en temps des films soutenus après production. La moyenne octroyée pour le long métrage oscille ces dernières années autour des 3,5 millions de dirhams. Le Pic étant cinq millions de dirhams. Dans les annales de la commission, une seule fois, il y a eu la session Zéro, c’est-à-dire qu’aucun projet n’a été soutenu ! Je reviendrai un jour sur le scénario de ce fait demeuré jusqu’à présent inédit.

Aujourd’hui, le fait de reconduire la même commission pour une autre année, permettra certainement aux décideurs, à la lumière du livre blanc et des remarques des uns et des autres, de revoir les textes de l’avance sur recettes pour pallier aux insuffisances qui ont été surtout dévoilées avec l’actuelle commission, l’une des « spéciales » de l’histoire du fonds d’aide. Wait and see

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

cinéma et télévision: la question esthétique


La télévision doublée de nouvelles formes de réception de film a introduit un changement radical dans le dispositif classique du cinéma, illustré par la projection 35mm dans un lieu spécifique, la salle. La caractéristique principale de cette explosion étant l’individuation et la fragmentation de la réception. On passe d’une pratique sociale obéissant un véritable rite, à une consommation de plus en plus domestique. Le film passe de la sphère publique à la sphère privée.

  Mais les enjeux économiques de cette mutation ont entraîné des conséquences sur le cinéma, cette fois en tant que choix artistique, en tant que rapport à l’image, en tant que logique du récit. Les modes de financement ont induit des modes d’écritures. A la mort économique du cinéma (voir le dernier rapport sur les déficits chroniques du cinéma français) succède aujourd’hui la mort du septième art, ou du moins sa métamorphise radicale. La télévision est devenue un monstre : elle tue le cinéma qu’elle génère. « La télévision, premier soutien du cinéma, est anthropophage du cinéma qu’elle produit. Elle est en train de le tuer. La ligne éditoriale des télés n’a plus rien à voir avec la ligne éditoriale des salles… » note un producteur français. Un film est financé par une télé en fonction d’une logique d’antenne, en fonction de la place qui lui est assigné d’avance dans la grille. La logique du final cut inconnue jadis dans la notion du cinéma d’auteur est l’expression du pouvoir exorbitant du directeur de programme qui a un œil sur le script du film qui lui et proposé et un œil sur le relevé quotidien du taux d’audience. « Résultat : ce n’est pas parce qu’un film a un vrai potentiel en salles, et qu’il séduit les exploitants  et les distributeurs, que la télévision va le financer ».

Un grand cinéphile, Serge Daney avait pointé du doigt cette métamorphose du langage cinématographique face au formatage télévisuelle dans un article au titre prémonitoire : « Comme tous les vieux couples, cinéma et télévision finissent par se ressembler ». Dès le début des années 80, avec la mode du tout audiovisuel, il avait relevé ou plutôt « senti » qu’un autre medium, une autre façon de manipuler les images et les sons, est en train de pousser dans les interstices du cinéma. Il établit un parallèle historique entre le sort que le cinéma avait réservé aux formes artistiques qui l’avaient précédé, théâtre, danse, littérature et ce que la télévision lui réserve ; les cinéastes se rendent compte que le cinéma avait perdu d’appétit et « qu’un monstre encore plus vorace est apparu ». Pour rester dans l’esprit de l’analyse de Daney, on peut dire que ce qu’on appelait jadis la dramatique, la vogue des téléfilms et autres unitaires aujourd’hui ont colonisé le cinéma. D’un point de vue esthétique s’entend. Qu’en est-il par exemple de la profondeur de champ qui avait permis au cinéma de pousser très loin la perception de la distance et de construire une configuration narrative et dramatique de l’espace. A la télévision c’est le zoom qui a pris la place. « le zoom n’es plus un art de l’approche mais une gymnastique comparable à celle du boxeur qui danse pour ne pas rencontrer l’adversaire ; le travelling véhiculait du désir, le zoom diffuse la phobie. Le zoom n’a rien à voir avec le regard, c’est une façon de toucher avec l’œil… ». Le cadrage s’adapte à la nouvelle lucarne : peut-on parler de champ et de hors champ à la télévision ? Une dialectique neutralisée par la ligne de fuite réduite par les limites de l’image. Un grand cinéaste John Boorman avoue que dans ses films, de plus en plus,  il mettait en scène l’action au centre de l’image anticipant ainsi son passage à la télévision pour que rien ne se perde. « La télévision c’est le règne du champ unique » ou encore la mise en œuvre de la grammaire de base, le champ contre- champ…

Pour sa part le professeur Alain Bergala élabore une théorie de différenciation à partir d’un constat/exercice auquel nous sommes tous invités : quand je suis devant ma télé et que je zappe, je vois tout de suite si je suis devant un film de télévision ou devant un film de cinéma ». Le critère qui permet la différenciation passe par le jeu des acteurs : à la télévision sont acculés à l’instantanéité des sentiments ; à afficher immédiatement leur rôle : la principale différence n’est pas la lumière ni le découpage mais le jeu. Un téléfilm mise tout sur chaque instant, un cinéaste, encore vierge de la pratique télévisuelle, mise sur le temps.

 

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...