samedi 21 février 2009

l'étrange histoire de benjamin button


Un conte à rebours

Nous naissons tous vieux; l'enfance, est-ce un commencement ou c'est déjà la fin? Au-delà de la clause de style, le nouveau film de David Fincher nous offre une variation cinématographique, disons-le d'emblée, ravissante pour le regard et l'esprit, sur cette thématique récurrente qu'est le travail du temps sur la matière, le corps, aussi bien dans des productions littéraires que cinématographiques. D'ailleurs le film de Fincher est une adaptation d'une courte nouvelle de l'écrivain américain Francis Scott Fitzgerald (publiée en 1922). Un premier angle de lecture du film pourrait être une analyse des métamorphoses intervenues lors du transfert du signe scriptural au signe iconique. On se rend compte alors qu'adapter est plus que trahir. Le film en effet puise dans la nouvelle son argument narratif de base, un enfant qui naît vieux et qui remonte le temps dans le sens inverse, il grandit en rajeunissant, pour ensuite se doter de sa propre dramaturgie qui nous offre in fine une œuvre romanesque qui place Fincher dans la lignée des grands classiques de Hollywood. Le dispositif narratif est tout aussi original. Si dans la nouvelle de Fitzgerald, le récit est pris en charge pratiquement du point de vue du père, le récit filmique se développe à partir de la voix off celle de la fille, Daisy, que rencontra Benjamin et bouleversa sa vie pour devenir sa femme. On la découvre vielle, sur un lit d'hôpital livrant à sa fille, Caroline, l'ultime secret de sa vie; lui demandant de lire le carnet et les lettres d'un certain Benjamin Button, la jeune fille finit alors par apprendre la vérité sur son propre père. Le tout dans la ville d'Orléans sur laquelle souffle l'ouragan Catrina. Le film, en effet, est riche de références et d'allusions. Il évolue sur une temporalité qui va du début du siècle précédent jusqu'aux années 90. L'histoire est livrée en blocs narratifs dont certains sont des monuments de grand cinéma. D'abord, la séquence d'ouverture qui met en place l'élément déclencheur: le contexte de l'époque est restitué à travers la fête de la ville pour l'inauguration de la nouvelle gare et fêter la fin de la guerre. Mais élément inédit: l'horloge qui est l'œuvre d'art majeure de la nouvelle gare tourne à l'envers et le maître d'œuvre, l'artiste qui en est le créateur refuse de la réparer; les aiguilles continueront à aller dans l'autre sens en hommage à la mémoire des victimes de la guerre; c'est dans ce contexte que Button un bourgeois de la ville apprend la naissance de son enfant. Se rendant à l'hôpital, il découvre que sa femme est morte en ayant accouché d'un enfant à la physionomie particulière: un bébé dont le corps est celui d'un homme de quatre-vingts ans. Il le prend dans ses bras mais pour tout de suite s'en débarrasser. Le petit Benjamin va découvrir une nouvelle famille dans une maison pour vieillards où il trouvera une mère adoptive, occasion pour le film de proposer un généreux projet d'altérité : Benjamin étant lui-même un cas atypique, il est adopté par une famille noire et évoluera dans un milieu où la mort ne cesse de roder. Son apprentissage se fera dans la douleur. L'apprentissage de la fragilité comme destin de l'humanité, de l'inéluctable travail de sape auquel se livre le temps. Mais où il rencontrera l'amour et prendra conscience de sa différence extrême. On le suit quand il quitte sa mère adoptive pour aller à la découverte de la vie poussé par l'énergie d'un corps qui se renforce au fur et à mesure du passage du temps. Deux séquences se démarquent dans cet édifice romanesque; celle où Benjamin vit une idylle avec l'épouse d'un consul britannique. Une rencontre faite de mouvement des corps et des sens dans le cadre d'un hôtel qui offre un huis clos d'une grande densité. Celle ensuite de l'accident parisien de son amie où le montage nous livre deux versions de l'accident pour mettre en exergue la fatalité de nos gestes quotidiens: il suffit d'un retard, d'une omission pour donner un autre cours aux événements de la vie. Cela est restitué d'une manière cinématographique éloquente.
Pour les cinéphiles, Fincher, c'est Seven où il y avait déjà Brad Pitt (aux côtés d'un inoubliable Morgan Freeman), c'est aussi Zodiac (magnifique structure narrative) et c'est désormais aussi Benjamin Button, un film long, plus de deux heures trente mais c'est un grand film non pas seulement par la prouesse technique (un logiciel spécial a permis de garder les signes physiques de Brad Pitt dans le long processus de décomposition / recomposition du visage du personnage), mais par sa double dimension esthétique et humaniste.

jeudi 12 février 2009

slumdog de Danny Boyle


Une fable de notre temps


C'est un merveilleux spectacle cinématographique à voir "sans modération" comme un spectateur du samedi soir. Danny Boyle nous propose en effet un patchwork où l'émotion est au rendez-vous à chaque scène, voire à chaque plan. Le film fait ainsi un tabac et récolte les prix et caracole à la tête du box office. Danny Boyle est un cinéaste éclectique; il a aligné jusqu'ici une filmographie qui alterne des œuvres fortes qui ont marqué les cinéphiles, je pense en particulier à Trainspotting ou encore des produits qui surfent sur les codes dominants pour offrir un film standard comme La plage. Mais c'est toujours un cinéma percutant où chaque plan fait mouche…cet éclectisme nous semble être sa marque, sa touche d'écriture puisque dans Slumdog millionnaire nous retrouvons un éclectisme esthétique qui passe par des références au néoréalisme dans toute la partie en flashback sur l'enfance de Jamal; des séquences mélodramatiques qui empruntent au cinéma indien et des moments d'action avec suspense, poursuite, règlement de compte et gangstérisme. Mais cette construction protéiforme aboutit in fine à un film spectaculaire certes mais où le cinéma joue pleinement le pari de l'émotion. Une émotion qui rejoint un horizon d'attente chez le spectateur d'aujourd'hui marqué par la crise du capitalisme. Les spectateurs d'aujourd'hui s'y retrouvent donc à travers la fabuleuse histoire de Jamal, cet anonyme qui sort des bas fonds pour gagner des millions mais à travers aussi des signes de notre temps: l'emprise de l'argent, le cynisme des médias, la permanence de l'amour. Cette dimension enferme peut-être le film dans un certain manichéisme où le bine finit par triompher…ce qui n'est pas toujours le cas dans la vie de tous les jours. Mais s'il y a de la réalité dans le cinéma, le cinéma n'est pas la réalité.
Mais de quoi s'agit-il? C'est l'histoire de Jamal, jeune serveur de café dans Mumbay; le hasard l'amène à participer à la fameuse émission "Qui veut gagner des millions". Contre toute attente, et malgré les magouilles d'un animateur cynique Jamal parvient à répondre à toutes les questions; au seuil de l'ultime question qui va lui permettre de toucher une super cagnotte, la police vient l'enlever l'accusant de tricherie. Pour l'establishment médiatique il est impossible qu'un jeune issu des couches populaires, qui n'appartient pas "aux héritiers" au sens que lui donne Bourdieu, c'est-à-dire n'ayant pas acquis le capital culturel transmissible entre les couches dominantes. Cet enlèvement de Jamal et son arrestation par la police va déterminer le dispositif narratif du récit filmique. Acculé par les questions –et la torture- du policier, Jamal va nous livrer son secret que le film va décliner par une série de flashbacks: l'officier va alors jouer de relais du spectateur en relançant à chaque fois l'interrogatoire devenu moteur du récit pour, petit à petit adhérer, à l'image de l'identification et de l'empathie nées chez le spectateur, à la thèse ahurissante dans sa simplicité et sa sincérité que développe Jamal.
Chaque séquence de l'émission correspond à un épisode de la vie d'un jeune pauvre de la banlieue. Chaque question posée par l'animateur réveille chez lui un souvenir de sa jeune et tumultueuse vie. Prétexte enfin pour le film d'offrir une radioscopie des maux de l'urbanisme, des mœurs médiatique et du désir de vie qui anime la jeunesse…
Un message reçu cinq sur cinq grâce à une esthétique captivante : montage alerte et vif : la séquence d'ouverture est dans ce sens emblématique du programme esthétique du film: montage parallèle, plans serrés et rapides, caméra mobile…mais aussi grâce à un cast époustouflant avec Dev Patel dans le rôle de Jamal et la gracieuse Freida Pinto dans le rôle de Latika. A voir absolument sur…grand écran.











vendredi 6 février 2009

cinéma et migrations

Agadir, le dernier maquis

La sixième édition du festival Cinéma et migrations organisée à Agadir du 21 au 24 janvier a été caractérisée cette année par un partenariat actif avec le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger. L'équipe mise n place autour de Driss Elyazami, président du CCME a fourni un excellent travail qui place désormais le festival devant de nouveaux enjeux et de nouvelles ambitions. Changement qualitatif qui s'est traduit par une ampleur illustrée aussi bien par le niveau politique de certains invités, le festival par exemple a accueilli la ministre française Fadela Amara ou encore par la dimension internationale de ses invités à l'image de son président de cette année Said Taghmaoui et aussi par l'engouement des professionnels marocains qui ont répondu massivement à l'invitation du festival. Une nouvelle dimension qui impose un nouveau recadrage du festival pour mettre en congruence la nouvelle ambition artistique/politique et les structures organisationnelles. De l'avis unanime des observateurs, la septième édition, celle de 2010, sera décisive pour le devenir du festival. Dans tous les cas de figure, l'acquis primordial cette année est ce partenariat réalisé avec le CCME. De son évolution dépendra certainement la nature et la qualité des relations avec les autres partenaires.
Un festival légitimé au départ par la pertinence de la rencontre entre une ville, Agadir et un thème, les migrations. Agadir est en effet la capitale d'une région déterminée par les flux migratoires. Souss a été choisie très tôt, dès le début du XXème siècle, par les stratèges de la colonisation comme une zone cible de la quête de la main d'œuvre. Pour Lyautey le seul moyen de "pacifier" ce haut lieu de résistance est d'organiser le départ massif vers la zone industrielle de la région parisienne et les mines de charbon du Nord ; il disait dans ce sens que " un ouvrier Soussi à Gennevilliers, c'est un fusil de moins dans la région du Sud". Tout un programme qui a évolué dans le temps mais qui est resté le même dans ses objectifs. Mais Sous est également une région de mouvement migratoire interne…le cinéma ne pouvait que rencontrer cette axe dramatique d'un scénario toujours d'actualité. Un hasard heureux a voulu que le président d'honneur de cette édition, la star Said Taghmaoui est la figure emblématique de cette tendance caractéristique des Soussi. Il est lui-même originaire de la région, du côté de Haha, et il a prolongé ce départ initial de sa famille vers la France en "immigrant" vers les Usa dessinant une boucle qui dit en fait que la migration, le départ est une composante génétique de l'espèce humaine. Ce n'est pas les flux migratoires qui sont un problème ce sont les frontières. Nos cousins proches, les Touaregs dessinent, dans leur pratique et leurs mœurs, la carte d'un monde utopique de demain, celle d'un monde sans frontières.
Pour le moment, dans un monde complexe, replié sur des choix communautaires et frontaliers c'est le cinéma qui porte cette utopie. Des films présentés à Agadir ont permis à un public spontané et enthousiaste de découvrir des approches plurielles d'une problématique qui le touche de près. Le film d'ouverture a particulièrement marqué les esprits. Le Dernier maquis de Rabeh Ameur-Zaimech est un film inscrit dans l'esprit du temps: il met en jeu de manière frontale l'alliance entre le capital et la religion. C'est presque un huis clos filmé au sein d'une entreprise qui voit la lutte des classes noyée dans le prosélytisme d'un patron. Mao dirige en effet une entreprise de réparations de palettes et de camions poids lourds dans la région parisienne. Il décide de construire une mosquée pour ses ouvriers au sein même de l'usine. Ameur-Zaimech va filmer cette histoire comme une satire sociale dont la forme et les choix esthétiques trahissent en filigrane cette violence symbolique qui caractérise les rapports sociaux. La prédominance du rouge qui annonce la confrontation finale, le rythme quasi documentaire pour saisir les gestes quotidiens de l'univers infernal de l'entreprise, la bande son omniprésente dénonçant le calme factice des relations entre les protagonistes.
Le festival a connu en outre des moments d'une intense émotion avec les hommages rendus à Izza Genini, Hassan Benjelloun, Yamina Benguigui, Mourad Ait-Babbouche.

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...