mardi 31 janvier 2017

Bouanani et les précurseurs célébrés à la Berlinale

Le Maroc, un autre cinéma


C’est un hommage de choix que le festival de Berlin rend au cinéma marocain. Le festival, appelé aussi La Berlinale, dont la 69ème édition se tient cette année du 9 au 19 février 2017, accueille dans sa section Forum de la Berlinale 2017 un spécial Maroc, intitulé « Autour de Bouanani, anothor Morrocan Cinema ». Organisée en partenariat avec le  Centre cinématographique marocain, cette programmation est un hommage au cinéma d’auteur marocain et à  la génération des précurseurs dont la figure emblématique est le cinéma de Bouanani.
Les films proposés comportent trois longs métrages représentatifs de la tendance qui avait marqué le cinéma marocain des années 1970 et 1980. Il s’agit  de  Wachma (Traces) de Hamid Bennani (1970), film inaugural et véritable film culte de la cinéphilie marocaine. Assarab (Mirage) de Ahmed Bouanani (1979), film synthèse d’une approche du cinéma ancré dans son histoire et sa culture ; Hallak derb alfoukra (Le coiffeur du quartier des pauvres) de feu Mohamed Reggab (1982), inscrit dans la douloureuse quête d’une nouvelle grammaire du cinéma au service des gens de la marge et des sans-voix, avec une interprétation inoubliable de Mohamed Habachi.
Les courts métrages proposés sont de véritables titres de l’âge d’or du court métrage marocain : De chair et d’acier de Mohamed Afifi (1957) ; Tarfaya ou la marche d’un poète, premier court métrage de Ahmed Bouanani (1966) ; Retour en Agadir de Mohamed Afifi (1967) ; Six et douze de M.A. Tazi, M. Rchich, A. Bouanani (1968) ; Mémoire 14 de Ahmed Bouanani (1971) ; Alborak de Majid Rechich (1973) ; Les quatre sources de Ahmed Bouanani (1978). Des films portés par un souffle poétique et une quête d’un nouveau langage cinématographique, loin des schémas du cinéma commercial dominant. De véritables auteurs engagés dans des formes nouvelles d’expression.
Tous les films de cet hommage inédit seront projetés deux fois dans le cadre du festival (les salles Arsenal et Delphi).  


dimanche 29 janvier 2017

Hicham Lasri à Berlin


Sur « Un coup de tête »

Le nouveau film de Hicham Lasri, Hedbang Lullaby, sera projeté en avant-première mondiale à Berlin au Panorama du cinéma international. C’est pour la troisième fois successive que Hicham Lasri bénéfice de cette vitrine que lui offre l’un des plus grands festivals du monde. Déjà The se ais behind et Srave yourdog ont été accueillis au Panorama.

Ce nouvel opus de Hicham Lasri, cinéaste qui a instauré un mode de production original avec un rythme régulier, peut être considéré comme une nouvelle composante de sa radioscopie de l’ère Hassan2. Quelque chose que nous avons intitulé, un cinéma post-apocalyptique, avec des personnages désaxés qui gère des tragi-comédies ; plus proche de la tragédie que de la comédie : tel ce flic (Aziz Hattab) du nouveau film chargé de surveiller un pont en attendant le passage du cortège officiel. « En attendant » cela nous met déjà dans un horizon d’attente beckettien, sauf que Godot ici est explicite…maintenant, il s’agit d’attedre  le film au Maroc, perhaps in Tangier…à suivre

mardi 17 janvier 2017

La bataille de la burqa aura-t-elle lieu ?


L’habit  ne fait pas  le moine

Après l’été burkini français, voici l’hiver de la burqa au Maroc ! Les polémiques se suivent et se ressemblent, dévoilant, cette fois au figuré, la misère symbolique et politique de notre époque. Il est très révélateur de noter que c’est la femme, le corps de la femme, qui cristallise cette crise des valeurs que connaissent les sociétés modernes.
Aujourd’hui, les hostilités sont ouvertes à partir de ce que l’on rapporte ici et là, dans quelques villes du pays sur une interdiction du port de la burqa par les femmes. Consigne a été donnée, en amont, aux couturier et autres marchands de vêtements féminins pour ne pas proposer cet uniforme qui cache tout le corps de  la femme. Un produit, si ce n’est une mode vestimentaire livrée dans un kit global (qui touche aussi les hommes) avec l’arrivée dans notre pays de la vague d’un « islam asiatique », afghan, pour ne pas dire du Peshawar…Mode et rites qui n’ont rien  à voir avec la tradition marocaine en la matière. Plusieurs éminents cheiks salafistes ont ainsi précisé que ce sont des pratiques « importées ». « A l’instar de la mini-jupe », ajoutent-ils, renvoyant dos à dos ce qu’ils considèrent comme des hérésies. C’est dans ce sens qu’il fallait lancer le débat. En effet, face aux dérives extrémistes et fanatiques qui s’expriment dans l’espace public par des gestes et comportements communautaires exclusifs, la réponse ne devrait pas passer par des mesures administratives ou sécuritaires. La riposte au fanatisme devrait être de nature politique dans le cadre d’un vaste projet de longue haleine culturel et pédagogique.
Le port de la burqa ne répond ni à un dogme religieux ni reprend une tradition marocaine. C’est une séquence d’un moment global de reconstruction du religieux dans le champ politique sur la base d’un islam globalisé. Il est révélateur de constater que ce sont des hommes qui sont les plus virulents dans leur prise de parole allant même jusqu’à  proposer de produire eux-mêmes l’uniforme interdit pour  le « distribuer à nos sœurs à qui nous apprendrons à le coudre elles-mêmes ». De quoi interpeller le mouvement féminin « laïc » qui devrait s’intéresser davantage à des questions concrètes du genre : pourquoi des femmes instruites acceptent la polygamie (l’affaire Choubani) ? Pourquoi des femmes acceptent de s’enfermer volontairement derrière cette prison ambulante dite « burqua » ?
Une femme qui porte le voile, le hijab, ou même la burqa…n’est pas toujours une femme soumise, subissant un diktat machiste ou misogyne. C’est pour de nombreuses femmes, instruites voire carrément ministres ou parlementaires (suivez mon regard) une manière de sauvegarder leur féminité dans un espace public devenu hostile et agressif. Il faut se rendre à l’évidence, triste pour le mouvement féminin soi-disant moderniste : le repli de nombreuses femmes pour ses formes vestimentaires particulières est une forme de refuge, un rempart pour pouvoir assumer les difficultés de la vie active. Il est quasiment impossible pour une jeune femme habitant la banlieue ou les quartiers populaires de sortir en jupe ou en robe courte. Elles ne peuvent pas faire cent pas sans qu’une meute de désœuvrés   ne vienne  les  harceler sous prétexte de leur faire la leçon. On connaît tous cette image, celle de la femme qui quitte sa maison en djellaba ; une fois dans le taxi, ou dans l’ascenseur…elle se remet à l’habit moderne, exigé parfois par son patron…
Il ne faut pas se tromper d’enjeu et imposer à la société des combats inutiles et auxquelles elle n’est pas encore prête. Le vrai combat à mener d’urgence est pour une société apaisée qui réduit les risques de fracture et d’exclusion…pour un système éducatif performant qui produit des gens cultivés et non des pseudo-instruits. Le combat se trouve donc ailleurs
Lé régime nasserien en egypte était allé très loin dans une lutte féroce contre la mouvance des frères musulmans au point de pendre une de leur figure historique. Mais en même temps ses universités et son système éducatif reproduisaient leur idéologie contribuant ainsi à leur former des cadres (médecins, ingénieurs, avocats…) qui vont finir par s’accaparer la société par un formidable travail de réseaux et récolteront le fruit mur une fois des élections libres organisées (la victoire de Morsi).
En Tunisie Bourguiba et Benali ont imposé une forme de laïcité administrative dans l’espace public. Une fois  que ce carcan a implosé avec la révolution de 2011, on a découvert une Tunisie profonde qui n’avait rien à voir avec celle européanisée de l’avenue Bourguiba !!!
Nous avons la chance historique de vivre dans un système politique où le référentiel religieux est garanti par l’existence de l’institution d’amir al mouminine légitimée de surcroit par l’ascendance chérifienne du souverain ; une sorte de parapluie qui couvre la diversité des pratiques religieuses en cohérence avec l’unité de la oumma marocaine. Une diversité dans l’unité qui favorise l’émergence d’une pratique de la religion dans la sérénité. L’apparition ici et là de formes qui paraissent extrêmes ne font que conforter cet esprit de tolérance et d’exercice de l’altérité. L’acceptation de signes religieux dans l’espace public est la meilleure manière de contrer l’influence des fondamentalistes.


jeudi 12 janvier 2017

Basta de Hassan Dahani par Bakrim

Ça suffit !
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Plusieurs raisons ont nourri ma motivation pour aller voir le film de Hassan Dahani, Basta, actuellement à l’affiche sur les écrans du Royaume.




Certes, cela s’inscrit dans la logique des choses, une évidence pour un critique de cinéma de suivre les sorties et les nouveautés. C’est sa manière à lui d’être à jour… Néanmoins dans ce cas de figure précis, la motivation est portée par d’autres considérations, j’en cite trois. C’est le premier long métrage de Hassan Dahani dont je connaissais les courts métrages notamment un certain Le pain amer qui avait instauré une sorte d’attente par les promesses qui le traversaient, la ligne socio-morale choisie par le réalisateur, son souci de respect pour les comédiens…C’était court mais ouvert sur de grandes possibilités.
Deuxième raison, le réalisateur de Basta est aussi enseignant de cinéma ; il n’hésitait pas par exemple à venir dans un festival de cinéma accompagné de ses étudiants. Voir son premier long métrage c’est une manière de vivre le passage de la théorie à la pratique. Cela ne veut rien dire, il y a des centaines de professeurs de danse qui ne pratiquent pas cet art comme il y a des centaines d’enseignants de scénarios qui n’en ont jamais écrit un. Il n’empêche que cela ne manque pas d’intérêt de voir  un théoricien passer à la pratique. D’autant plus que  Dahani lui-même avait suivi un enseignement de cinéma au pays  du cinéma par excellence, les USA.
Le film fait partie en  outre des rares films  recalés lors de la sélection opérée pour le festival national du film de Tanger, édition 2016. J’ai été curieux alors d’aller découvrir un film refusé, ayant déjà ma tête, pour les avoir déjà vus, le souvenir de la qualité à peine moyenne sinon médiocre des films retenus pour la compétition officielle 2016. Edition qui avait consacré le film A mile in my shoes de Said Khallaf, (un autre anglo-saxon !) dont Basta de Hassan Dahani est un cousin très proche en termes d’écriture et de choix esthétiques.
Bref…C’est pendant le week end que je suis allé voir le film, dans une belle salle de Casablanca, une salle qui fait encore de la résistance. C’était la séance de 17 heures, moment idéal pour une soirée cinéma surtout par un samedi froid.  Première impression : les lieux sont déserts, la salle quasiment vide. A qui la faute ? Aucun de travail de promotion n’accompagne le film (en dehors des spots télévisés noyés dans un tunnel de pub). L’affiche du film est peut-être aussi à incriminer : elle n’est ni lisible, ni visible. Que sont devenus les temps où la sortie de chaque film marocain était vécue comme une fête ? Nous sommes en train de vivre la fin du cinéma comme rite social collectif ; peut-être même la fin du cinéma tout court. Et tout simplement.

Et pourtant…Basta est porté par plusieurs ambitions. D’abord, le pari de réussir un film choral ; polyphonique ; en effet,  le scénario fait croiser plusieurs destins :  Naoufel, jeune versé dans la délinquance ;  sa famille ; leur voisin, le policier ; les voisines de celui-ci notamment Selma l’activiste d’un mouvement social (le 20 février ?) ; le baron, quasiment mafieux d’un trafic clandestin ; la petite amie de Naoufel, Souad et sa famille au bidonville…Il y a du Paul Haggis (masterclasse à Marrakech 2016), celui de Collision et sa narration éclatée dans le film de Hassan Dahani : des accidents, des délinquants, des trafics…Il y a aussi de L’immeuble Yakoubian de Marwa Hamed : la quasi majorité des personnages de l’histoire habitent le même immeuble.
Bien sûr, pour un cinéphile local, la scène d’ouverture avec le guet apens tendu par la jeune fille qui drague un adulte ne peut ne pas rappeler Zéro de Lakhmari comme la scène de la course poursuite nocturne moto-auto des enfants de la bourgeoisie ne peut ne pas rappeler Marock de Laila Marrakchi.
Comment Hassan Dahani a géré ce patchwork ? Très vite, on sent un penchant- une  influence de la formation américaine ?- à filmer les grands espaces, les extérieurs, les voitures. Mais  tout ce programme souffre de l’absence d’une vision cohérente pour l’ensemble. !  Un exemple qui trahit les sous-entendus contradictoires de cette démarche. Tout cinéaste est confronté au dilemme permanent : que montrer ? Que ne pas montrer ? Dahani a fait le choix de montrer les images de violence et de zapper les scènes intimes. Dans la gestion des images du couple Naoufel-Souad on voit Naoufel frapper violemment son amie mais on ne les voit jamais se toucher ou faire l’amour ou être ensemble au lit. Dès qu’il s’approche d’elle, la caméra choisit de prendre de l’air. La grossesse et l’enfant qui vont suivre sont laissés à l’imagination du spectateur ! Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais une fois qu’elle est inscrite dans une logique d’ensemble.
Je n’aime pas refaire le film ; c’est un exercice que j’abhorre. Mais ici je suis tenté de dire que Dahani est passé à côté d’une excellente idée autour de la réconciliation du père et du fils. Ce road movie original de Rabat à Dakhla en voiture aurait été l’occasion d’une redécouverte de cette filiation ratée (un très beau plan à la station d’essence nous montre le père regarder Naoufel, son fils comme s’il le découvre pour la première fois) ; le moment d’une rédemption et in fine d’une réconciliation une fois arrivée chez cette sympathique famille sahraouie et le cérémonial délicieux du thé.  Quelle belle métaphore de faire de la ville emblématique de la réconciliation du Maroc avec son sud retrouvé, le lieu des retrouvailles entre le père et le fils…

A défaut de réussir un Paul Haggis, il n’y a pas mieux qu’un Frank Capra !
Mais le scénario a choisi une autre voie, celle d’épouser la tendance en vogue au sein du cinéma marocain ; celle de l’impasse (du bocage ?) entre les générations et du coup le film se termine sur des liquidations physiques, sur de la violence inouïe. Une sorte de sentence morale qui punit et élimine tous les mauvais, tous les méchants ; sans lueur d’espoir…Le scénario nous a refusé l’issue de l’idylle entre  le policier honnête et bénie de sa mère avec sa voisine, la militante du 20 février. Une fête de mariage pour clore ce drame  aurait été un formidable clin d’œil à l’actualité du pays post 2011.

Mais, il y a trop de si….

lundi 9 janvier 2017

cinéma marocain: la question du chef-d'oeuvre

C’est une pratique courante dans les pays où le cinéma obéit à un fonctionnement institutionnel aussi bien au niveau de son industrie que des discours qui l’accompagnent : les fins d’années sont l’occasion d’établir des palmarès, des bilans ; la presse généraliste et spécialisée jouent un rôle majeur dans ce sens en confrontant sans cesse le cinéma à un regard évaluatif à des exercices d’appréciation qui font partie de la règle du jeu. Quel est le meilleur film de l’année ? Quels sont les films marquants de la jeune histoire du cinéma marocain ?...Des interrogations qui sont souvent prétexte à un travail de mémoire, de déchiffrement dont les retombées pédagogiques sont immenses pour un cinéma qui souffre déjà d’un déficit de légitimité culturel.  Cela offre la possibilité aux critiques, aux cinéphiles d’affiner leur approche, de réfléchir en perspective dans une vision analytique.
Peut-on dans ce sens poser la question du chef-d’œuvre au cinéma marocain ? Peut-on parler d’un film – ou des films-  chef (s)-d’œuvre au sein de la filmographie marocaine ? La question est pertinente, elle a été largement abordée sous d’autres cieux, et elle m’a été inspirée par l’appel à contribution lancé par le laboratoire littérature, art et société de la faculté des lettres de Rabat dans la perspective d’un ouvrage collectif co-dirigé par les professeurs Youssef Wahboun et Hassan Moustir.  Une note importante  de présentation préparée par mon ami Wahboun situe la problématique et propose le cap :   « Qu’en est-il du chef-d’œuvre dans la culture artistique et littéraire marocaine ? Il est à la fois tentant, ambitieux et légitime de poser la question, plus en vue d’inviter à considérer la création au Maroc à l’aune du « grand contexte » qu’en raison d’un souci de valoriser la production intellectuelle nationale ou d’un désir de primauté au sein d’une question à ce jour jamais formulée scientifiquement ».
Pour le cinéma, la problématique est on ne peut plus pertinente eu égard justement à ce que Kudera cité par Wahboun appelle « le grand contexte ». Il est vrai que le cinéma développe autour de lui un discours inflationniste qui s’accapare souvent l’espace public. Il n’y a rien à dire le cinéma est omniprésent même sous des formules chaotiques. On lui reconnaît même la primauté d’avoir abordé certains sujets tabous et avoir suscité des polémiques. Et en toute objectivité, on peut relever  que durant les deux dernières décennies, le cinéma est devenu la première forme d’expression artistique de l’imaginaire collectif de la société marocaine.
Ce cinéma a-t-il alors produit son chef-d’œuvre ?  Y a- t-il un FILM marocain qui réunit autour de lui un large consensus ?
Pour enrichir le débat et l’élargir je n’ai pas hésité à impliquer dix de mes amis critiques et cinéphiles pour leur demander quels étaient les cinq meilleurs films, de leur point de vue, du cinéma marocain et quel était LE FILM qu’ils considèrent comme le chef-d’œuvre. Les résultats de l’enquête sont édifiants…mais je ne vais pas les divulguer tout de suite. Il y a d’abord quelques préliminaires méthodologiques à régler. Au niveau sémantique d’abord : la notion de « chef-d’œuvre »  ne brille pas par sa précision ; elle est plutôt d’une grande élasticité qui ne facilité pas la tâche d’une catégorisation dans un domaine aussi complexe que celui de la production artistique et notamment cinématographique. Même le recours au dictionnaire n’est pas d’u grand secours. À l’origine, chef-d’œuvre renvoie à un ouvrage que devait réaliser un artisan pour recevoir la maîtrise de sa corporation. J’aime bien cette définition et il y a des mots à souligner : « artisan », « maîtrise », « corporation ». donc la finalité de l’ouvrage est une reconnaissance des pairs.
Il y a aussi l’usage courant où la notion renvoie à une œuvre d’art, littéraire ou non qui touche à la perfection. Là on passe à un niveau de jugement subjectif. Victor parle à propos de la cathédrale d’Amiens de « chef-d’œuvre  prodigieux ».
A partir de là et par extension, « chef-d’œuvre »  laisse comprendre à propos d’un œuvre  d’un travail, ce qui est parfait en son genre; ce qui témoigne d’une parfaite réussite.

Dans sa note de présentation Youssef Wahboun cite les équivalences du  vocable « chef-d’œuvre  » dans les autres langues européennes : masterpiece, capolavoro,  obramaestra…quid de la langue arabe ? J’ai beau chercher, il n’y a pas un équivalent dans la langue arabe littéraire. Cette absence ou ce silence est déjà révélateur… Par contre dans le parler marocain, il y a une expression composée qui peut signifier chef-d’œuvre « rass-souk », littéralement : « le top du marché ». C’est une expression qui illustre très bien qui sous-tend la notion de chef-d’œuvre à savoir la perfection, la rareté, la valeur exclusive. Mais trouver le mot ne résout pas l’équation : quels sont les critères pour désigner une œuvre comme chef-d’œuvre comme le top du marché ? à suivre…

mercredi 4 janvier 2017

cinéma marocain : le palmarès 2016

Podium 2016

1)      Le film de l’année Strave your dog de Hicham Lasri


une première place du podium pour son originalité et pour le confirmation d’une démarche cohérence dans son mode de production et dans sa rhétorique aux antipodes du storyelling.
2)      La comédienne de l’année :

Elle était la révélation de Tanger 2016, Lanaya a porté son rôle dans Petits bonheurs avec charme et intelligence face à une pléiade de comédiennes de talent
3)      Le comédien de l’année

Il incarne Driss Basri dans Starve your dog ; tout un programme un pari sur lequel pèse un sur-moi politique et esthétique. Benaissa s’en tire avec brio
4)      La promesse 2017


Tala Hadid  revient avec un documentaire époustouflant sur un village du Haut Atlas :   Tamazgha a son grand film de cinéma. La belle promesse de 2017




cinéma: bilan 2016

2016 : la défaite de l’intelligence
Sur quel bilan nous fêtons un nouvel an ? Peut-on  concentrer le rituel flashback de fin d’année sur le cinéma en dehors du climat général qui règne dans le pays et dans le monde ? Ne s’agit-il pas d’un même circuit d’images ? Celles du cinéma se nourrissant et réfléchissant les images du monde ? Ce ne sont plus alors des images innocentes. L’un des livres marquants que j’ai lus l’année écoulée et l’opus du cinéaste Jean-Louis Comolli intitulé justement Daech, le cinéma et la mort. La violence de quelques images a fini par contaminer toutes les images ; voir la violence hyperstylisée de deux films marocains sortis en 2016 : les larmes de Satan et a mile in my shoes. On n’est plus dans le cinéma mais dans la repoduction d’un « certain cinéma » du monde
  Je suis tenté dans cette perspective de rejoindre le constat établi  par nos confrères des Cahiers du cinéma, la revue parisienne qui relève sous la plume de son directeur  de rédaction : « nous sommes meurtris, car c’est la défaite de l’intelligence ».  Un simple tour d’horizon nous montre que 2016 s’en va, nous léguant un champ de ruines. De grands cinéastes américains se disent atterrés par les résultats des élections présidentielles de leur pays qui ont mis à la tête de la plus grande puissance militaire du monde un businessman sans expérience ni dimension intellectuelle. Chez nous la classe politique offre un sinistre spectacle autour de la formation d’un nouveau gouvernement rendant dérisoire la réussite de l’exercice démocratique du 7 octobre.
Ici et là, des événements, des comportements mettent à nu les limites de nouvelles élites incapables d’offrir autre chose que la course au succès facile, à la posture et à la mise en valeur de l’égo. Au point qu’un philosophe canadien a rédigé un livre pour décrire la médiocrité généralisée qui sévit partout : les médiocres ont pris le pouvoir dit-il, dans la politique, l‘entreprise….A méditer.
C’est pour dire que le cinéma, tout compte fait, n’évolue pas dans un écosystème favorable. Au Maroc, la dépendance de plus en plus directe de l’organisme du cinéma (le CCM) du département de tutelle, à savoir le ministère de la communication s’avère désormais un handicap majeur. Il se trouve que le bilan de cette année écoulée coïncide aussi avec la fin du mandat de l’ex-ministre de la communication. Ces années  ne sont pas des années glorieuses pour cinéma marocain. Il n’est pas étonnant qu’il ait été élu dans une région où il n’y a plus de salles de cinéma depuis belle lurette. Déjà les professionnels du secteur regrettent ses prédécesseurs.
Mais au-delà du cadre politique, l’année 2016 a démontré d’autres lacunes du cinéma marocain. Le fonds d’aide et l’avance sur recettes sont dévoyés de leur objectif initial. Les festivals de cinéma dont la multiplication avait fait, un certain instant, illusion, traversent pour la plupart une crise structurelle grave qui appelle un tri et une nouvelle approche de la subvention publique. L’augmentation du nombre des festivals, perçue au départ comme un vecteur de cinéphilie s’est révélée dans sa progression inversement proportionnel du public du cinéma. Les festivals ne dopent pas la culture de cinéma car ils n’ont pas réussi à construire leur propre public.
Sur le plan du cinéma stricto sensu, l’année 2016 n’ pas été celle de grandes révélations ni de révélations tout court. Le court métrage s’enlise dans une médiocrité et le long métrage cède à la tentation populiste et démagogique. Le palmarès du festival national du film en février 2016 a été dans ce sens un constat accablant en mettant en avant un cinéma tape à l’œil : prépondérance de l’image travaillée pour elle-même au détriment du plan ; le recours au montage « attraction » pour neutraliser toute velléité de distanciation chez le spectateur.  On est passé d’un cinéma d’auteur, dont le référent est la cinémathèque à un cinéma de faiseur d’images dont le paradigme fondateur est youtube.
Mes coups de cœur  de 2016


1)  Toni Erdman de Maren Ade, film austro-allemand, une brillante comédie sur les mœurs du capitalisme et ses figures modernes, les managers et les coaches. Un père sexagénaire part à la reconquête de sa fille pour la sauver des méandres de sa vie au service de la grand finance. Un parcours de redécouverte mutuelle dans une ambiance de satire et dérision. Une autre raison personnelle de ce coup de cœur l’héroïne s’appelle Inès… comme ma fille qui s’apprête elle aussi à embrasser la carrière de consultante financière. Elu meilleur film de l’année, Toni Erdman a été plébiscité également par la critique internationale.  Il devrait être visionné cent fois par certains de nos cinéastes…


2)  Starve your dog de Hicham Lasri. Le film le plus politique de notre filmographie…sans avoir pour sujet la politique. oui, il s’agit de Driss Basri mais le film n’est pas une biopic ; filmé en surimpression avec un regard sur le réel sans cesse biaisé par l’irruption de l’irréel.    
3)  The donor de Zang Qiwu, Chine. Une leçon de mise en scène ou comment le mélodrame est sublimé par le regard d’un cinéaste attentif aux mutations d’une urbanité qui écrase les sentiments humains.
4)  Mimosas, la voie de l’atlas de Oliver Laxe, Espagne-Maroc : un voyage mystique, contemplatif, ludique dans un Haut-Atlas inédit.
5)  3000 layal de Mai Masri, Palestine. Une prison israélienne, des prisonnières politiques palestiniennes, des détenues israéliennes de droit commun et un enfant palestinien qui naît dans cet univers clos. Maï Masri confirme.


Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...