vendredi 21 avril 2017

Syd Field, les problèmes liés à l’écriture de scénario





  Il y a beaucoup de technique dans l’écriture de scénario, mais c’est aussi un exercice qui relève de l’art. Mon hypothèse à ce sujet est que s’il y a des principes à connaître, ils ne suffisent pas pour assurer la performance. Un professeur de scénario n’est pas, automatiquement, un bon scénariste. Comme un professionnel de l’écriture ne peut former forcément des auteurs.
Il y a fondamentalement des fonctions, distinctes. Celle d’écrire est primordiale. Mais il y a à côté toute une machine, toute une structure qui contribue à façonner le script, à le conduire sous bonne escorte (c’est en général la fonction dévolue à la production), à la station d’arrivée, celle du découpage technique prise en charge par le réalisateur. Le scénario n’est plus alors qu’un lointain souvenir. Faut-il rappeler qu’en tant que texte, sa durée de vie est éphémère.

Rappelons la définition du scénario telle qu’elle est résumée par Syd Field : «Un scénario est une histoire racontée en images, faites de dialogues et de descriptions, et placée dans une situation dramatique». Cependant, il y a une phase essentielle dans ce processus, celui mis en avant à Hollywood et qui consiste à apporter des régulations constantes à l’écriture du scénario notamment par le biais de la technique dite de la résolution de problèmes, «la résolution des problèmes fait partie du processus créatif». C’est une opération qui peut être menée par l’auteur lui-même ou être confiée par la production à ce que les Américains appellent un script doctor. Le livre de Syd Field, Comment reconnaître, identifier et définir les problèmes liés à l’écriture de scénario est destiné aux jeunes scénaristes pour leur donner des grilles susceptibles de les aider à cerner là où ils sentent que leur texte ne convainc pas, que leur histoire piétine. En fait ce n’est pas seulement un problème de débutant. Tel qu’il est conçu le livre de Field est pratiquement un aide-mémoire mettant à la disposition  de tout scénariste des outils méthodologiques de révision et d’affinement. Et cela se résume la plupart du temps à rappeler des évidences que l’on omet dans le feu…de l’écriture. Par exemple, savoir résoudre des problèmes, c’est savoir les reconnaître : «Si vous sentez qu’il y a un problème, dites-vous que le scénario est peut-être trop long, trop bavard ou que les personnages sont faibles ou inconsistants. Que pensez-vous faire pour arranger cela ?»  En  bon pédagogue, Field met l’accent sur la fonction de la question. Le tout est de savoir en effet se poser la bonne question. A ce propos, la grande tendance veut que l’on se mette souvent à réfléchir devant un problème à partir de la question «Pourquoi». C’est faux, nous dit Field, «vous devez impérativement commencer chaque question par le mot «comment». «Pourquoi» peut amener plus de trente six réponses qui paraîtront plus ou moins correctes. Par contre quand on structure sa question par le mot comment, on s’impose une réponse précise, celle justement qu’on doit chercher.

dimanche 16 avril 2017

Entretien inédit avec Driss Alaoui Mdaghri


Investir davantage dans l’art et a culture !


Driss Alaoui Mdaghri qui vient d’être nommé président de la commission d’aide à la production cinématographique nationale est un grand cinéphile ; citoyen moderne il est très impliqué dans la vie de la cité : son credo : la culture et l’art pour assurer un développement social cohérent. Appelé à assumer des fonctions politiques, il a été notamment  ministre de la communication et porte parole du gouvernement de 1995 à 1998. En 2003, il a présidé le comité d’organisation de la 6ème édition du festival national du film.
En 2013, il m’accorda un long et riche entretien exclusif resté jusqu’ici inédit. Je pense que l’occasion aujourd’hui est opportune pour en publier de larges extraits pour encore mieux connaître ce Grand Monsieur et cet intellectuel imprégné de l’esprit du temps, engagé au service de on pays.
Comment vivez-vous la ville de Casablanca dans ses multiples mutations
Une ville est un lieu vivant en perpétuelle métamorphose à des rythmes variables. Casablanca fait partie de ces villes dont la métamorphose est particulièrement rapide. Quand on pense que ce n'était qu'un village de pêcheurs à l'orée du vingtième siècle avec à peine vingt mille habitants, on mesure la rapidité et l'ampleur de cette métamorphose. J'aime cette ville pour toutes sortes de raisons ou de déraisons. J'ai même eu dans le passé la joie de produire un ouvrage avec un texte et des photos, c'était en 1989, qui essayait de rendre compte de cet attachement. Au cours de ces trois dernières années, j'ai parcouru la ville en long et en large avec un groupe d'amis, d'ici et d'ailleurs, et nous avons pris un nombre incalculable de photos pour une possible réédition du livre. C'est vous dire que l'intérêt est manifeste et toujours là. Maintenant, les affres de la circulation avant que le tout nouveau tramway, espérons-le, ne produise des effets positifs sur ce plan, m'agacent comme ils agacent de nombreux citadins. Pour faire le lien avec la culture et l'art, il faut souligner que "Les Villes Créatives"' ainsi que l'explique avec brio l'urbaniste américain Richard Florida, réussissent mieux que d'autres à attirer les investisseurs et les talents. A Casablanca, on devrait investir davantage dans l'art et la culture.

J’aimerai maintenant m’adresser au cinéphile : quels sont vos rapports au cinéma ? Quels sont vos souvenirs d’enfance ? Aviez-vous un rapport privilégié avec une salle de cinéma en particulier ?
Des rapports continus, étroits et de fascination pour le cinéma qui raconte des histoires bien léchées qu'il s'agisse de comédies, de films d'action ou de science fiction, pour citer quelques genres que j'apprécie particulièrement. Qu'ils soient porteurs de messages engagés ou teintés de réflexion philosophique et sociale ne me dérange pas et peut même me parler parfois grandement. Mais pour les films à message, il faut beaucoup de talent, voire du génie, pour qu'ils ne versent pas dans les clichés, les facilités et les manipulations. Autant dire que ce qui importe en premier, à mes yeux, c'est l'histoire, si vous préférez l'aventure, racontée.  Une salle de cinéma dont j'ai gardé un souvenir vivace, c'est le cinéma Rex au Maarif, rue du Jura, où il y avait plusieurs salles qui passaient deux films à la suite. J'ai plein d'images dans les yeux que je captais, adolescent, sur l'écran ou en observant parfois les spectateurs. Idem pour les cinémas Vox et Apollo au cœur du Casablanca des années soixante et soixante dix. Bien sur. Le cinéma aura compté dans ma formation bien avant les journaux, la télévision, puis plus tard Internet, car la formation se doit d'être permanente. Que de souvenirs de mes années d'étudiant à Rabat avec des films comme "West Side Story" que j'ai vu au cinéma Renaissance. Plus tard "2001, Odyssée de l'Espace" à Casablanca ou "Solaris" à Alger m'ont fait rêver. Mon goût pour l'ailleurs, assurément  issu des mes lectures, mais probablement aussi du cinéma. Il m'arrive souvent d'utiliser des extraits de films dans mes enseignements. C'est le cas de "Douze  hommes en colère" de Sydney Lumet, que j'ai commencé à utiliser à l'ISCAE dans les années soixante dix dans des séminaires de communication et de négociation.
Vous avez été ministre de la communication, c’est-à-dire le département en charge du cinéma pendant une phase essentielle de son évolution (1995-1998) ; quels sont vos souvenirs de cette période notamment par rapport à l’expérience du fonds d’aide qui a connu des changements importants sous votre direction ?

Ils sont nombreux et intenses. Alors, trois exemples. Le déblocage et la relance des tournages de films étrangers au Maroc qui n'a pu se faire qu'après quelques interventions décisives. La refonte des conditions d'aide à la production audiovisuelle, notamment cinématographique, auront été également des mesures utiles. C'est dans ce sillage  qu'il faut placer la dynamique des festivals du cinéma au Maroc. Enfin, il y a eu le sauvetage réussi de la Chaîne 2M, qui rendait l'âme financièrement à l'époque, avec comme choix d'encourager la coproduction cinématographique et de documentaires. Tout cela découlait certes du hasard des calendriers, mais aussi d'une conviction qui était, je le dis modestement, la mienne en tant que ministre de la communication, que la promotion du cinéma est importante pour notre pays.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution de ce cinéma ?
Il est positif. Mais je rêve d'une production cinématographique marocaine plus riche en quantité et en qualité avec des acteurs et des personnages populaires connus et reconnus ici et ailleurs. Je sais que cela est lié à de nombreux facteurs humains, éducatifs, culturels et financiers qu'il n'est pas facile de réunir. Une attention plus grande portée au cinéma d'animation en images de synthèse, par exemple, serait la bienvenue.
Certains films ont suscité des polémiques voire des interventions de personnalités politiques; d’autres films ont été retirés des salles sous la pression du public ; notre société a –t- elle régressé ou  bien c’est notre cinéma qui est allé très loin ?

Si personnellement je n'approuve pas les provocations qui me semblent souvent dérisoires, certaines régressions dans notre société me semblent regrettables. . Jusqu'où faut-il aller pour ce qui est des actes de transgression salvateurs ? C'est  à la loi de définir les règles et aux auteurs de se fixer des limites. Les sociétés bougent et progressent aussi grâce aux transgressions.  Le Maroc est un pays ouvert et doit le demeurer.

samedi 15 avril 2017

L’affranchi de notre cinéma !



"photo dossier de presse du film Black screen de Nadia Larguet"
Chaque  film de Mostafa Derkaoui est un moment qui interpelle notre cinéma, et offre une opportunité de discuter, de débattre sur ce qui est une constante de son travail : la problématique du projet cinématographique. Parce que justement Mostafa Derkaoui est un cinéaste habité par un projet. Son parcours se présente dans ce sens comme un itinéraire, à l’image du voyage odysséen pour user d’une image qu’il affectionne quand il parle de scénario. Sa filmographie est un scénario ouvert sans cesse revu, remanié, revécu dans l’angoisse des interrogations de l’écriture. En 1974 il réalise Quelques événements sans significations où il met en jeu une équipe de cinéastes à la recherche du fil conducteur pour monter un film. D’emblée, c’est un synopsis programme: le cinéma de Mostafa Derkaoui, c’est fondamentalement du méta-cinéma. Partir des mots et des morphèmes pour forger une syntaxe à partir d’une grammaire aux antipodes de l’énonciation classique. C’est un débat qui s’adresse à l’ensemble des acteurs du paysage cinématographique. Face au cinéma narratif de grande consommation issu de Hollywood, le Caire, Bombay et au moment où des Marocains veulent faire du cinéma pour les Marocains, ce premier film de Derkaoui invite tout simplement à réfléchir. Cela suppose un environnement culturel et professionnel propice. Cela suppose une logistique de résistance qui ne se cantonne pas au ghetto. C’est-à-dire des réseaux parallèles de distribution des espaces d’accueil autres que le minuscule circuit de distribution commerciale. Le projet portait donc déjà les limites de l’époque qui l’a vu naître: le rêve confinait à l’utopie. Mais cela n’a pas empêché Derkaoui de continuer à nager à contre-courant, proposant une certaine constance dans sa démarche globale marquée par une fragmentation du récit, un éclatement du système des personnages, un travail pointu sur l’image avec le recours (risqué d’un point de vue de la réception) aux images nocturnes, et un  découpage polyphonique de l’espace narratif. Polyphonie conviendrait d’ailleurs comme un titre générique de l’œuvre de Derkaoui. Avec je (u) au passé, présenté lors du festival national du film de Tanger en 1995, le cinéaste offre une figure de paroxysme à ce travail autour du Moi cinématographique. Fidèle à lui-même, Derkaoui propose un film qui n’obéit à aucune logique de genre échappant à toute canonisation. C’est une œuvre affranchie au sens où l’on dit un Affranchi chez les Grecs de l’antiquité.  Encore une fois, une construction polyphonique qui rappelle l’opéra. Le récit revisite une multitudes de lieux, convoques de langues et mobilise des signes dans un drame ouvert sur l’infini du sens.
Avec La Grande allégorie, le cinéaste énonce un message global: il confirme son refus du réalisme, mais laisse ouverte la question principale: le refus de toute compromission avec l’énonciation classique, transparente et linéaire, le refus du mimétisme introduit une difficulté de structure: comment assurer une cohérence au film, sur quelle structure s’appuyer pour assurer la communication filmique? Le cinéma de la modernité dont se réclame les films de Derkaoui instaure (cf. Godard, Oliveira, Straub...) un système de référence à la littérature, à la peinture, au théâtre qui lui assure une légitimité artistique et une forme de lisibilité (en liaison avec un contexte culturel favorable). Le pari de Derkaoui est d’assurer cette cohérence par les seules vertus du langage cinématographique; le coût est alors énorme. Nous assistons dans ses films à une inflation de discontinu qui va de pair avec une perte d’unité du film et une dissolution du sujet.
Cette question du sujet se trouve maintenant centrale dans le premier film « grad public » de Derkaoui, Les Amours de Hadj Soldi. Déjà dans le titre tout laisse croire à une unité retrouvée, fondée sur une figure « classique » essentielle, le héros en quelque sorte. Idée renforcée par une tête d’affiche venue directement du box-office, Bachir Skiredj. Illusion ; car très vite on s’aperçoit que le film se construit sur la permanence de l’éclatement et de la verticalité. On ne peut pas se hasarder à lire la présence d’une grande star comme une concession de la part de Derkaoui au star-system: c’est un emploi judicieux; une récupération au sens artisanal. Il exploite le filon d’or à l’instar d’un certain cinéma. Un signe qu’il faut relever: Hadj Soldi possède une bijouterie, un clin d’œil à Hadj Benmoussa de A la recherche du mari de ma femme. On entend aussi cette réplique: “Tu es revenu riche du nord”; phrase ambiguë qui renvoie au passé de l’acteur dans d’autres rôles.
On aimerait aussi proposer de s’arrêter aux deux scènes fortes qui terminent le film. C’est un film qui offre en effet deux fins: une fin diégétique, en liaison avec l’évolution du récit et une fin filmique, une sorte de conclusion voulue par le cinéaste. La première offre l’occasion au personnage Lahbib Rabeh ‘Rchid El Ouali) de liquider physiquement le personnage de Hadj Soldi: le geste offre au minimum trois lectures: un niveau actantiel: le bon élimine le méchant; un niveau psychanalytique: tuer le père; un niveau de la symbolique du cinéma : la nouvelle génération du cinéma se débarrasse de l’ancienne génération, et prend sa place.
L’autre fin est un clin d’œil humoristique sur le commerce; une anticipation sur les critique futures. Derkaoui semble nous dire: vous dites que mon film est commercial, eh bien moi aussi je fais mon shopping et je baisse le rideau. Salu maître.
 


mardi 4 avril 2017

Cheval de vent de Daoud Aoulad Syad

Une idée de cinéma

Cheval  de vent de Daoud Aoulad Syad s'inscrit dans une temporalité spécifique; voir la scène d'ouverture qui propose d'emblée le tempo, avec deux rythmes opposés, le train qui passe à vive allure et une barque qui traverse une rivière...
 C’est un cinéma qui restitue un univers traversé d’ombres et de souvenirs ; de corps fatigués, de décombres. C’est un cinéma qui nous dit cette part de nous-mêmes réduite au silence ; le silence de ses plans parle éloquemment sur l’absence qui habite notre mémoire ou notre horizon. C’est parce que c’est aussi un cinéma qui part d’une écriture solide, le scénario de Cheval de vent est signé par un poète, Ahmed Bouanani, ce nomade qui nous revient du pays des mirages. Une écriture de complicité avec Youssef Fadel qui sait traduire les silences dans des répliques où l’économie du signifiant  s’ouvre sur l’incomplétude du signifié. C’est le récit de deux hommes qui partent à la poursuite d’un vague souvenir. Une tragi-comédie sur les retrouvailles, car nos deux héros reviennent  de loin. Les décombres du passé finissent par obstruer leur avenir;  comme dans Adieu Forain la quête telle l’attente se révèlent vaines. Les personnages  se retournent enfin vers eux-mêmes pour découvrir que le chemin parcouru n’est pas du temps perdu. L’interprétation est formidable avec un Mohammed Majd grand dans ses silences, dans le détail de ses gestes et un Faouzi Bensaïdi toujours authentique et généreux. Latéfa Ahrrare se découvre dans un mouvement qui nous éblouit, soulignant cet immense talent encore en friche…Un film qui propose un rythme particulier, celui qui respecte l’intelligence du récepteur et l’invite à réfléchir. Une idée de cinéma pour un beau film.

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...