lundi 5 mai 2014

le documentaire à Agadir


Etre et ne pas avoir
« Quelque chose fait peur dans l’exercice du documentaire »
J-L. Comolli
C’est parti pour la sixième édition du festival international du film documentaire d’Agadir (du 28 avril au 4 mai). Des signes extérieurs  l’attestent : les principales artères de la ville sont pavoisées aux couleurs du plus grand rendez-vous marocain dédié au documentaire. L’étiquette, légitime, est alléchante même si les moyens ne suivent pas…Etre sur la carte, et ne pas avoir les outils de travail…Le documentaire ne bénéficie pas du soutien qu’il mérite. Est-ce parce qu’il s’agit d’un genre indomptable ? Son rapport au réel qu’il interroge et libère de l’emprise du spectacle bouscule les habitudes établies. Il brouille les cartes et ouvre sur l’incertain…on le cantonne alors dans la marge. La subvention émanant de la commission du ministère de la communication  est dérisoire (250 mille dirhams !) eu égard aux ambitions affichées du festival et à son positionnement international. Il est hautement symbolique de relever et de signaler à ce propos que la première personnalité rencontrée dans le hall de l’hôtel qui abrite le comité d’organisation n’est autre que Nicolas Philibert, l’une des figures de proue du documentaire contemporain, non seulement dans son pays, la France, mais également sur le plan international. Il est tout autant symbolique de voir combien est grand l’engouement des jeunes étudiants venus nombreux bénéficier de la formation pour ce genre cinématographique que se soit en assistant aux projections, aux masters class ou à la ruche documentaire, une case que le festival organise pour détecter les projets les plus fiables pour soutenir leurs auteurs via un réseau international… Des étudiants du Maroc dans toute sa diversité, de Ouarzazate à Tétouan en passant par Marrakech, Casablanca et Rabat…Des étudiants des écoles de cinéma, des autodidactes ou tout simplement des passionnés, des militants du documentaire. Oui, il y a une dimension cinéphile indéniable à défendre le documentaire aujourd’hui, il y a aussi une dimension militante et je dirai franchement citoyenne à vouloir promouvoir, et encourager le documentaire. Le contexte général s’il n’est pas hostile n’en demeure pas moins ardu…Les moyens ne suivent pas et plus grave encore, la logistique de base fait de plus en plus défaut,  notamment en termes d’infrastructure. Est-il concevable qu’une ville, Agadir, joyau urbain et véritable image du Maroc qui bouge ne soit pas dotée de salles à même d’accueillir les projections dans des conditions correctes et qui respectent les normes du cinéma. Immense déception le premier jour à l’occasion de la première projection du festival, à la fois chez les organisateurs, chez les cinéphiles et chez les professionnels dont le cinéaste auteur du film qui n’a pas manqué d’ailleurs de le signaler lors de la présentation de son film. il s’agit de Nicolas Philibert lors de la présentation de son film à l’Institut français d’Agadir.
Etre et avoir


Ceci dit et rappelé, le festival est sur les rails grâce à l’abnégation de ceux qui le portent dans eur cœur ; grâce à ses nombreux amis et le documentaire a son festival…L’événement phare de cette édition est certainement la carte blanche dédiée au cinéaste français Nicholas Philibert, son film le plus célèbre Etre et avoir a été présenté aux étudiants de cinéma et à un public cinéphile lors de la journée de lundi. Produit il y a plus de dix ans ; c’est un film de 2002, Etre et avoir a gardé toute sa force d’expression et la charge d’émotion qu’il dégage. Le film avait fait l’actualité à sa sortie, d’abord par le grand accueil public qui avait fait de lui le film documentaire qui a drainé le plus de public en salles (plus de  2 millions de spectateurs). Sélectionné à Cannes, son réalisateur avait également obtenu le césar du meilleur montage. Il a eu également un immense succès international. Un succès qui a provoqué une immense polémique puisque l’instituteur que le film suit pendant une année scolaire dans soin travail avec des enfants scolarisés en milieu rural avait poursuivi le cinéaste réclamant des droits relatifs à son image et au contenu de son cours. La justice à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire ne l’a pas suivi.
Le film demeure en soi une leçon de cinéma par ses qualités intrinsèques notamment dans la gestion du temps. En présentant son film à Agadir, Nicholas Philibert a rappelé la durée du suivi de son sujet et la durée du tournage. Premier constat : le documentaire a besoin de temps. Une belle image nous est offerte d’ailleurs en ouverture du film instaurant une sorte de pacte temporel avec le spectateur. A la deuxième scène du film on découvre en effet, dans ce qu’on va découvrir après comme une salle de classe, deux tortues qui avancent. Le film prend le temps de les filmer invitant son récepteur à une logique temporelle aux antipodes de celle en vigueur dans une fiction américaine ou même dans un reportage de télévision où la tension dramatique est née de la vitesse et de la multiplication de nombre de plans par minute. Etre et avoir nous plonge dans « le rythme de la tortue » celui de l’apprentissage par l’écoute, l’échange et l’empathie.
Dans sa structure dramatique le film est marqué par la figure du montage aussi bien le montage interne à la scène, à la séquence ou le montage entre des séquences entières, un montage parallèle à la Eisenstein ;  par exemple à partir de la scène du troupeau de vaches qui est récurrente.
Une autre figure cinématographique paraît essentielle dans la structuration du film en tant que genre documentaire, c’est celle du regard caméra aussi bien celui, furtif, des petits écoliers ou celui frontal et mis en scène, de l’instituteur lors de son entretien quasi direct face caméra.
Mohammed Bakrim


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