lundi 29 février 2016

dimanche 28 février 2016

L’hommage de Tanger à Latif Lahlou


Un cinéaste de son temps


La nouvelle édition du festival national du film qui s’ouvre aujourd’hui à Tanger rend un hommage au cinéaste marocain Latif Lahlou. Un hommage mérité, pertinent et opportun. Il vient confirmer, en effet, une caractéristique majeure du cinéma marocain, à savoir sa diversité générationnelle.  Latif Lahlou appartient à la génération des pionniers ; il est lauréat de la célèbre école de cinéma parisienne l’IDHEC, section montage, en 1959. Cela est d’autant plus pertinent que le cinéma de Latif Lahlou offre des constantes et des marques qui en font un corpus cohérent susceptible de constituer une matière d’analyse et une référence aux jeunes cinéastes. C’est un cinéma, à mon sens, qui est marqué par deux phases essentielles que l’on peut résumer rapidement sous forme d’hypothèses, à confirmer par l’analyse. Deux phases qui se succèdent dans le temps et qui portées par des films qui se distinguent par leur format, leur genre, leur thématique et leur univers de référence. On peut parler à ce propos d’une première phase qualifiée de socio-ethngraphique ; celle qui va, grosso modo de 1959 à 1969 ; marquée par la réalisation d’une vingtaine de courts et moyens métrages inscrits dans l’approche de la ruralité et dont l’œuvre emblématique est Sin Agafaye (les deux canaux, en langue amazigh). Ce court métrage de 1967, constituant une œuvre phare de cette période faste du documentaire marocain. Sin agafaye aborde une réalité complexe, celle de restituer un rite ancestral, relatif au partage communautaire de l’eau, en mettant en relief, par le seul travail de l’image, l’apport de l’investissement humain dans le dur labeur qu’imposent les conditions de vie à la campagne.
La seconde phase, peut être qualifiée de socio-psychologique…qui voit la caméra et le regard de Latif Lahlou opérer un redéploiement stratégique et qui commence avec Soleil de printemps, long métrage de fiction (1969). On passe alors à une dramaturgie urbaine, à un recentrage sur les caractères, la psychologie de personnages inscrits, à l’image de la société marocaine, dans un processus de modernité. Les images d’ouverture de Soleil de printemps sont à ce propos éloquentes ; elles disent le nouveau contexte marqué par la verticalité (les fameux immeubles de l’avenue des FAR à Casablanca) en lieu et place de l’horizontalité des plaines du Haouz. Le personnage principal est un petit fonctionnaire, originaire de la campagne comme pour assurer la transition avec les personnages futurs et annoncer le nouveau scénario de la filmographie de Latif Lahlou. Un scénario urbain par excellence.
Le cinéaste va s’atteler en effet à un travail de décryptage des rapports sociaux au sein des nouvelles couches aisées de la société marocaine. La compromission (1986), suit, sur fond de luttes des classes,  l’évolution d’un jeune cadre, architecte de formation. Ses idées généreuses au départ finissent par s’engluer dans une série de compromis. Cette impasse d’une couche sociale sera illustrée métaphoriquement par l’impuissance au double sens du mot du bourgeois rural du film, Les jardins de Samira (2007) en déplaçant le drame vers le lieu de l’intimité, la chambre à coucher, Latif Lahlou dévoile l’hypocrisie, la frustration et le désir de vie qui traversent en filigrane l’univers aux fausses apparences d’une société bloquée.
Blocage qui suppose, pour son dépassement, une énergie nouvelle, celle par exemple que vient prôner le jeune cadre de La grande villa (2009). Fraîchement rentré de son exil doré, Rachid, bute sur des obstacles à la fois de nature bureaucratique et culturelle. Son couple mixte, marié à une européenne,  qui est tout un programme symbolique de symbiose entre ici et ailleurs entre tradition et modernité, tombe à l’eau. « Les poches de résistance » sont hostiles à toute velléité de changement. Le couple lui-même qui offre une métonymie du projet social de Rachid subit les soubresauts de ce blocage.
Le nouvel opus de Latif Lahlou, L’anniversaire (2014) synthétise ce processus, et va plus loin encore en radicalisant certains choix dramatiques au niveau de la responsabilité qu’il fait incomber clairement à certaines couches sociales, les intellectuels notamment. C’est une radioscopie sans concession que nous offre Latif Lahlou de l’élite issue de l’ouverture politique du nouveau régime, à l’orée des années 2000.
M.B



vendredi 26 février 2016

Loubna Abidar et les césars

 Salafistes, Much loved…
Faut-il tout montrer ?
Le hasard du calendrier fait bien les choses : le festival national du film, le plus grand rendez-vous  professionnel du cinéma marocain, démarre ce vendredi au moment où, à Paris, la cérémonie des césars, dédiés au cinéma français (et voisins), décernent ses prix. Deux manières, deux styles et deux formules différentes…mais avec le même objectif, fêter le cinéma. Il s’agit en effet, ici et là, de célébrer les œuvres qui ont marqué l’année ; les hommes et les femmes qui les ont portées. Rares sont les pays du monde qui disposent d’une telle manifestation d’envergure. Dans notre région, le Maroc est pionnier en la matière. Le festival national est inscrit dans la configuration générale du cinéma marocain. Il est à son image. Son histoire, son évolution, son devenir…sont tributaires de ce cinéma. Les césars français connaissent également un grand engouement. Leur formule, distinctions décernées par le vote des professionnels, n’a pas manqué de séduire quelques observateurs marocains. Ils plaident pour la transposition de ce modèle où la consécration des lauréats se déroulent en une seule soirée avec vote des professionnels à la place de la formule marocaine actuelle (une compétition officielle sur une semaine au moins, avec jurys indépendants pour trancher entre les concurrents). L’idée est séduisante dans son apparence mais manquent d’arguments fiables, puisés souvent dans le registre populiste et qui dénotent une méconnaissance des rouages internes aux césars (sur la durée par exemple : si la fête elle-même dure une soirée, sa préparation prend des mois avec un investissement énorme.  Ils évacuent surtout un facteur essentiel à savoir les paramètres socio-historiques inhérents aux deux cinémas.
Mais aujourd’hui l’intérêt marocain pour les césars dépasse leur seule dimension organisationnelle. Les festivaliers de Tanger, pendant la cérémonie d’ouverture, auront un œil sur la scène de la salle Roxy et l’autre œil rivé sur leur Smartphone pour suivre les péripéties de la cérémonie parisienne. Et pour cause, une comédienne marocaine, Loubna Abidar, est en lice pour le prix d’interprétation féminine ; en concurrence directe avec des noms prestigieux des écrans français, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert et d’autres non moins célèbres (Catherine Frot, Cécile de France…). Une nouvelle consécration pour Much loved. Une manière pour les professionnels du cinéma français de prolonger la sympathie qu’ils ont exprimée pour le film de Nabil Ayouch dès l’épisode cannois et son interdiction rocambolesque au Maroc.  
De la part du pays qui a vu naître à la fois la déclaration des droits de l’homme et le cinéma, ce n’est pas une surprise. Sauf que la réalité, le réel…finissent par imposer leur logique qui met à mal les dogmes et les schémas tout tracés. Au moment où la profession du cinéma célèbre un peu partout dans l’Hexagone Much loved et lui ouvre les portes de la distribution, des films français se voient « interdits » de cette même distribution. Je ne reviens pas sur le cas de La vie d’Adèle de Abdellatif Kechiche interdit par décision de justice, mais sur le cas plus récent de deux films rattrapés par la réalité. Made in France et Salafistes. Le premier  a été tout simplement refusé par les exploitants au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre 2015. Motif ? Son intrigue et son affiche étaient trop proches de la réalité. Le film de Nicolas Boukhrief raconte en effet l’infiltration d’une cellule de djihadistes (quatre jeunes musulmans de la région parisienne) qui préparaient des attentats dans tout Paris. Le scénario et la réalité ont fini par se télescoper au point de voir le film interdit par le bas : les propriétaires de salles et les exploitants l’ont refusé. Il sera évacué vers l’e-cinéma. A quelques détails près, ce que dit Nicolas Boukhrief sur made in France peut être repris pour Much loved : « Il faut reconnaître que toute la polémique autour de la sortie du film, complètement involontaire, lui a donné une existence médiatique plus importante sans doute que celle qu'il aurait eu sans les tragédies de janvier et novembre 2015. Le destin étrange de ce film, d'être en quelque sorte puni d'avoir eu raison, est aussi le symptôme d'une frilosité du cinéma français face aux questions politiques. »
L’autre film qui a suscité une vive émotion en France et qui s’est vu également pratiquement « interdit » est le documentaire Salafistes de Lamine Ould Salem et François Margolin. Le film a été  interdit au moins de 18 ans pour motif de faire la part belle aux djihadistes interviewés : leur propos, les images qui les accompagnent ont choqué (je viens d’apprendre que le tribunal administratif de Paris vient de casser cette décision augurant d’un long feuilleton judiciaire).
Au-delà de ces péripéties politico-médiatiques, reste la question cinématographique (donc esthétique et éthique) : que montrer quand je veux filmer le corps intime, le corps social, filmer Daech… quand je veux filmer le visible rendu invisible par le conformisme ? Quel emplacement de la caméra pour assurer au spectateur son libre arbitre, son esprit critique ?


Signature de livre à Tanger

Une initiative de mes amis cinéphiles à Tanger, en marge du festival National du film


lundi 22 février 2016

Umberto Eco, l’intellectuel capteur de signes

Ciao professore !


« Je ne suis pas sûr de dire là une chose originale, mais il me semble que l’un des problèmes majeurs qui se posent à l’être humain est la question de comment affronter la mort », c’est ainsi que l’intellectuel et écrivain italien Umberto Eco, décédé samedi dernier à l’âge de 84 ans, avait entamé une réflexion qui ne manquait pas d’humour sur comment aborder sereinement la mort. C’était en 1997, dans une lettre destinée à un disciple imaginaire et publiée dans l’hebdomadaire l’Espresso qui a eu l’intelligence de la republier au moment où l’éminent philosophe rencontra la mort.
C’est l’une des figures les plus brillantes de la philosophie contemporaine, Umberto Eco est devenu mondialement célèbre à partir de son roman, Le nom de la rose, une intrigue policière médiévale dans les milieux du fanatisme religieux. Tout le récit est mené dans une sorte huis clos, une abbaye, où des meurtres étaient commis, motivés par la quête autour de l’œuvre d’Aristote, la comédie. L’enjeu était comment bannir le rire à partir de motifs religieux. Le roman a été porté à l’écran par J.J Annaud avec Sean Connery dans le rôle de l’ex-inquisiteur, Guillaume de Baskerville, chargé de mener l’enquête. Mais le succès du roman dépasse de loin le film. L’œuvre romanesque d’Umberto Eco se présente en effet comme le prolongement de sa réflexion philosophique par les moyens de la fiction. Le nom de la rose est, dans ce sens, un formidable exercice sémiotique. Le personnage principal est à l’image de l’auteur lui-même ; un éternel capteur de signes. Toute son action consiste à décrypter des signes sur la voie de la vérité. Dans la fiction, pour démasquer le criminel ; et dans l’œuvre de tous les jours, il s’agit de décrypter les signes de la modernité.
Il faut en effet rappeler que si la notoriété médiatique voire populaire d’Umberto Eco est le résultat du succès de son roman, il n’en demeure pas moins qu’il fut un grand philosophe, un  brillant intellectuel qui ne manquait jamais d’humour et un grand sémioticien. Il a développé une  sémiotique conjuguant la théorie et la pratique. Sur le plan théorique, je peux citer des ouvrages qui me paraissent fondamentaux pour comprendre sa démarche. Notamment  L’œuvre ouverte qui a marqué le discours critique contemporain dans son rapport à l’œuvre d’art ; celle-ci est définie comme « un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés en un seul signifiant », faisant appel à la coopération du récepteur dans une démarche d’interprétation qu’il nourrit de son imaginaire. La clôture d’une œuvre n’est jamais achevée, elle est prolongée par le pacte de lecture qu’elle établit implicitement avec son récepteur.
L’autre œuvre  de référence, entre autres bien sûr, est Sémiotique et philosophie du langage. Le livre, très dense et très académique, analyse cinq concepts qui ont dominé tous les débats sémiotiques : signe, signifié, métaphore, symbole et code.
Umberto Eco n’hésitait pas à confronter sa théorie sémiotique à la pratique quotidienne ; il était en quelque sorte un sémioticien bon vivant, traquant dans ses articles pour l’hebdomadaire L’Espresso, les signes derrière les choses, les discours derrière les discours. Articles qu’il réunit dans un livre passionnant, La guerre du faux. Ouvrage qui n’est pas sans rappeler Mythologies de Roland Barthes. Les deux sémiologues nous invitant à saisir du sens là où on serait tenté de ne voir que des faits. Umberto Eco appelait à une guérilla sémiologique pour démasquer les stratégies de manipulation, de l’illusion et du faux. Une analyse pertinente des faits de société : une émission de télévision, le terrorisme, un match de football, le blue-jean un parc d’attractions…l’univers du quotidien magistralement décrypté par un regard pétillant d’intelligence et de malice.
Il aimait dire que la seule vérité qui va demeurer au-delà du réel est la vérité artistique, « dans vingt ans, disait-il, mes petits-enfants oublieront les décapitations opérées par Daech, mais ils n’oublieront pas la mort de Hamlet ».




dimanche 21 février 2016

Aziz Dadas superstar

Dallas de M.A. Majboud sur les écrans


Pour son premier long métrage de cinéma, Mohamed Ali Majboud a choisi de renvoyer au cinéma marocain son image à travers un miroir grossissant.  Celui de la comédie, dans sa variante cinglante la satire. Une satire ? « Une œuvre dans laquelle l’auteur tourne en dérision les défauts et les vices d’une personne ». Chez Majboud, il s’agit des vices et défauts d’une profession, le cinéma et plus précisément le marocain ; à travers ses mœurs, ses personnages haut en couleurs, ses coulisses mais aussi son humanité et sa fragilité. Et le plus important c’est que l’on rit de bon cœur…et sans rancune.
Et, signe des temps, c’est un jeune cinéaste issu de la télévision qui dresse une sorte de diagnostic/constat du cinéma marocain à partir du récit rocambolesque d’un tournage. Mohamed Ali Majboud a fait d’abord ses preuves en tant que réalisateur de la télévision. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, il est venu au cinéma (et à l’audiovisuel) via la cinéphilie.  Après des études universitaires parisiennes ; il suit un cursus de cinéma puis passe à la réalisation de courts métrages. Ils se distinguent très vite par une approche spécifique où domine le travail de l’image et un certain regard porté par la dérision sur les relations sociales. L’œil de verre (2004) peut passer pour le titre emblématique de cette période. Puis ce sera la télévision où il signera, avec son collègue Yassine Fennane, ce qui va constituer la meilleure série de la première chaîne marocaine, Une heure en enfer. Là, c’est le cinéma qui est convioqué au service de la télévision. La série est en effet portée par une grammaire audiovisuelle qui emprunte beaucoup au cinéma moderne, le visuel (des images inédites de Casa) le cadrage, le rythme…autant d’éléments qui puisent dans un large référentiel cinéphilique (Majbud et Fennane sont des enfants de la nouvelle culture urbaine post salle de cinéma) ; et une nouvelle direction d’acteurs qui permet à des noms longtemps cantonnés dans des rôles stéréotypés dans la tradition du théâtre de crever l’écran. Ce sont eux qu’on va retrouver dans Dallas avec notamment Aziz Dadas et Amal Elatrach. Ils livrent une prestation époustouflante confirmant leurs qualités intrinsèques et leur ouvrant la voie d’une consécration, enfin, méritée (Grand prix au festival national du film à Tanger en février 2015).
Dallas fait partit des films inscrits dans le genre méta-cinéma : le film dans le film. Des films qui font leur objet du tournage d’un film. Il joue et gagne par sa forme, son jeu et la générosité de ses deux acteurs principaux, Elatrach et Dadas. L’intrigue en effet est minimaliste : un réalisateur Elhouari alias Dallas vivant un malaise existentiel ; enfermé dans ses souvenirs et ses délires ; cerné par les traites impayés et le manque d’inspiration ; soutenu par une assistante fidèle, Hlima…reçoit un jour un scénario d’un nouveau riche qui veut en fait produire le film de sa vie et rendre hommage à son père qui lui a légué une immense fortune. Après un léger dilemme, Elhouari accepte et engage une équipe de tournage ; celui-ci se déroule dans les studios implantés par les productions internationales dans les environs de Ouarzazate : une manière déjà de critiquer un mode de production plaqué sur un modèle « étranger ». Tous les  clichés inhérents à une production cinématographique sont scénarisés et surjoués : des caprices de stars aux contradictions des équipes techniques sont passés en revue dans un registre comique. Dès l’ouverture, les premières scènes du film nous mettent dans l’ambiance : une atmosphère nocturne, un bar et un cinéaste qui tient un discours qui tourne dans le vide ; la scène suivante, nous retrouvons les bureaux de la production avec une image forte qui dit tous les paradoxes de notre rapport à la modernité ; on découvre en effet la secrétaire qui circule dans les bureaux avec un encensoir pour purifier les lieux et invoquer la baraka des saints ; les lieux sont ornés de portraits de figures célèbres du septième art mondial. Sauf que la fumée qui provient de l’encens qui consume prend des allures d’incendie. D’emblée on est dans une impasse.
Le film de Majboud, après le moment de plaisir généré par les situations rocambolesques, invite à une lecture « sérieuse ». Il est un élément accablant et un argument de poids à verser dans le débat sur le nouveau tournant du cinéma marocain (Voir Brèves notes pour un autre cinéma).
La scène finale s’ouvre sur une lecture plurielle. Le film va être finalement terminé selon les désiratas du cinéaste-« auteur » : on le vend s’enfuir à cheval avec son œuvre ‘les bobines » sous le bras. Mais à quel prix ? La star est réduite à un corps/ cadavre manipulé comme de la pâte à modeler ; les techniciens menés comme des esclaves enchaînés. Non, Dallas nous met sur la piste d’une réflexion pour un autre cinéma. 
Mohammed Bakrim


jeudi 18 février 2016

Che ou la permanence de l'utopie

Che Guevara 





Il n’y a pas une actualité particulière pour parler de Che aujourd’hui. Mais un mythe n’a pas besoin d’une date du calendrier pour revisiter l’imaginaire, pour prolonger sa présence ; ce n’est pas une figure du passé figée dans le rite des cérémonies commémoratives; non, Che offre une autre présence, celle d’un  symbole cristallisant le besoin d’une autre façon de vivre ; Che c’est la permanence de l’utopie. “Mais qu’est le Che devenu ? En quelle sorte de vivant ce mort s’est-il transformé ?”, s’interroge Régis Debray dans le chapitre intitulé Métamorphoses du héros de son livre Croire, voir, faire. Mais son approche est un exercice mediologique, c’est-à-dire s’attacher à percer l’énigme des trajectoires symboliques. Un livre  s’intéresse par contre à Che, l’homme et le mythe pour savoir pourquoi, aujourd’hui encore dans les diverses manifestations du mouvement social ou de la jeunesse, l’image de Che sort plus nette que jamais ; face à la crise générale de sens provoquée par les ravages du libéralisme triomphant, les idées guévaristes progressent en effet dans le monde et se renouvellent à la lumière des questions inédites qui se posent à notre époque. Il s’agit du livre Che Guevara, du mythe à l’homme, aller-retour, de Miguel Benasayag.  Ce n’est pas une biographie de plus, souligne l’auteur d’emblée qui ne manque pas d’ailleurs, par éthique, de rappeler l’existence d’ouvrages de référence sur le sujet, notamment l’excellent ouvrage de Pierre Kalfon, Ernesto Che Guevara une légende du siècle (Seuil 1998). Il nous propose alors une autre démarche, ce qu’il appelle une sorte de voyage autour de cette constellation complexe qui se compose d’attributs personnels et de circonstances historiques et qui fait de Che un emblème de la contestation et un phénomène de référence au magnétisme inégalable. Le livre ne comporte donc ni nouvelles révélations ni récit de quelques épisodes mouvementés, c’est une réflexion qui puise dans une double inspiration : la formation philosophique de l’auteur et son expérience d’ancien combattant guévariste. En somme, c’est le point de vue d’une génération sur une époque et ses turbulences animées par la violence du désir de voir le monde changer. Une violence qui a remporté comme un torrent aveugle des vies auxquelles l’auteur ne manque pas de rendre hommage : “J’ai le sentiment de vivre des heures volées. Je fus comme ébranlé par une sentence de mort et mon âme s’est considérablement assombrie. Tragiquement, le hasard fut beaucoup moins prodigue avec d’autres camarades dont les vies si courtes n’en furent pas moins nobles et courageuses”. Ce faisant, l’analyse renvoie à l’actualité car d’une manière ou d’une autre, le guévarisme est au cœur du débat qui traverse la mouvance altermondialiste, la gauche socialiste. Le guévarisme non pas ramené à son expression caricaturale du guérillero mais comme pensée et pratique portant les prémices d’une nouvelle forme d’exercice ou de “faire de la politique” ; une vision de la politique fondée sur le principe du contre-pouvoir. Les mouvements de gauche animés de la volonté de trouver une alternative au cynisme et au fatalisme des années 80 et 90 s’inspirent de cette démarche pour construire des projets et non seulement des programmes ; le néolibéralisme cesse d’apparaître comme un horizon indépassable. Il est donc réducteur d’enfermer le guévarisme dans une polémique sur les moyens de lutte : élections / lutte armée. Le guévarisme contribue au contraire à clarifier des notions comme celles de pouvoir, d’engagement. En d’autres termes, on peut être réformiste et guévariste, car c’est un positionnement philosophique qui dicte un rapport différent au pouvoir. Celui-ci n’est plus perçu comme une structure mais comme l’ensemble des relations  qui structurent la société. La critique d’inspiration guévariste ne concerne pas un pouvoir mais le pouvoir ; la conséquence d’une telle approche est énorme ; il ne suffit pas de renverser une classe dominante pour voir fleurir la liberté. L’expérience des pays du socialisme soviétique est éloquente à ce sujet.


Autre leçon guévariste, c’est le dépassement de la dichotomie moyens/fins : le changement n’est pas renvoyé au lendemain ; échéance sans cesse refoulée pour multiples raisons. C’est le triomphe du principe de l’immanence. Ce que nous faisons a du sens ici et maintenant. La justesse de l’action ne devra pas être recherchée dans le futur, mais dans son caractère juste au présent. La révolution n’est pas un point d’arrivée mais un devenir ; elle n’est pas l’objectif de l’acte révolutionnaire, mais l’acte lui-même, “inexorable et interminable”.

lundi 15 février 2016

Dans le jardin de l’ogre de Leila Slimani


La vie d’Adèle… la nymphomane


Le clin d’œil à l’autre Adèle, celle du film d’Abdel Kechiche est plausible. En effet,  au-delà de l’homonymie des personnages du roman de Leila Slimani, Dans le jardin de l’ogre et du film La vie d’Adèle du cinéaste franco-tunisien, il y a matière à mener un parallèle. D’abord au niveau des auteurs ; nous sommes en présence de deux « beurs » qui ne mettent pas en scène d’autres beurs. Ni parlent de l’immigration. Ensuite, ils s’attèlent à disséquer non pas l’extériorité des relations mais l’intériorité de deux personnages puisés dans lé géographie profonde de la France d’aujourd’hui. Abdel Kechiche cerne au plus près la passion amoureuse d’une lycéenne au point de placer  sa caméra au cœur de son expérience amoureuse dans sa phase érotique la plus intime, exposant aux regards de longues séquences privée. Alors que Leila Slimani aborde la passion de son Adèle cette fois sous sa forme intime aussi mais dans une version physique, sexuelle au premier degré ; son héroïne étant une « toxicomane du sexe ». Dans les deux œuvres enfin nous assistons à la mise en scène d’une construction (Adèle/Kechiche), et destruction (Adèle/Slimani)  de sujets puisés dans une société dite moderne mais en proie à un malaise existentiel.
Un parallèle,  en entrée, pour dire que le roman de Leila Slimani, son premier, est déjà un événement, littéraire certes il a reçu un formidable accueil public et critique, mais aussi culturel puisqu’il contribue à sa manière, en confrontant l’identité de l’auteur et l’identité du sujet, à dessiner la nouvelle configuration des rapports  interculturels. Un exercice réussi d’altérité. Même si en fait, Adèle, l’héroïne de son récit n’est pas  un modèle sociologique ; elle est davantage « un caractère ». Un profil psychologique qui transcendé les frontières culturelles pour s’inscrire dans  une sorte d’archéologie de l’âme et du corps. Ou plutôt du cops et de l’âme. Slimani nous propose plus qu’un un portrait ; on sait qu’Adèle est journaliste, mariée à un médecin, Richard… qui n’est pas sans rappeler un Charles, nouveau style. Adèle, une Madame Bovary des temps modernes ? Sauf que, à la différence du romantisme maladif d’Emma, Adèle « ne pense qu’à ça ». Le sexe toujours et partout. Et avec tout le monde. Certes, elle aime Richard. Certes, elle aime Lucien…mais face à la présence d’un homme…elle passe à l’acte. Lors d’un dîner, dans la rue, au bureau ; dans un voyage de travail…C’est cru, parfois violent. Mais ce n’est pas du porno. Slimani gère bien le regard qui porte les descriptions.
Car, il ne s’agit pas d’être dupe. On n’est pas dans le réalisme ; encore moins le naturalisme dont se réclame Much loved. Le style de Slimani est moderne, il laisse une large part à l’ambiguïté. La ligne de démarcation est ténue entre le réel du personnage et ses fantasmes. Je penche d’ailleurs davantage pour cette lecture, Dans le jardin de l’ogre est le récit de fantasme d’une femme sous influence. Je me réfère à la scène du train quand Adèle voyage seul pour assister aux funérailles de son père…et commence à fantasmer sur son corps dans un récit qui reste en suspens entre l’imagination et le rêve éveillé ou un souvenir enfoui…Cette inflation de sexualité débridée se laisse d’ailleurs lire sur un registre métaphorique comme une radioscopie des sociétés contemporaines où le sujet est condamné à un vide qu’il cherche à combler par l’excès de consumérisme.
Pour approcher Adèle, la scène fondatrice est un souvenir d’enfance avec une scène (page 124) portée par une démarche d’intertextualité avec la découverte précoce du livre de Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être qui ouvre à la jeune femme les voies de l’érotisme romancée. Des flashbacks qui offrent des indications narratives mais tracent des pistes pour expliquer et pourquoi pas excuser…et finalement sympathiser avec Adèle. Dans cette fouille, émerge la figure du père dont Adèle était proche. Elle est la fille d’une synthèse qui s’est faite par l’effacement d’un élément de l’équation. Kader a suivi Simone en effaçant son identité. A sa mort, Adèle  d’ailleurs reprocher à sa mère l’incinération du corps «  ce n’est pas peut être une pratique courante chez les m… », le mot ne sera pas prononcé car Slimani veille à neutraliser tout ancrage culturaliste de son récit.
Je préfère parler de récit car on n’est pas dans la densité d’un roman, style XIXème siècle avec sa foule de personnages, des intrigues enchevêtrées…Ici, l’intrigue est réduite au minimum. On reste focalisé sur Adèle. La structure permet un autre parallèle avec le cinéma. Dans le jardin de l’ogre, avec son minimalisme, s’apparente à une esthétique nouvelle vague, écriture transparente, limpide…un dispositif narratif aux antipodes du récit hyper chargé de Hollywood. Le récit de Slimani progresse en multipliant des micro-séquences. C’est très découpé, comme on dit dans le langage du montage cinématographique. Ce qui lui donne  du rythme, un dynamisme… et in fine un récit qui se lit d’un trait.


dimanche 14 février 2016

les intellectuels face à la violence


La conscience et la raison


Amnesty Maroc lance une initiative pour une implication des intellectuels face à la déferlante terroriste. C’est une initiative opportune et pertinente. Elle répond à une nécessité de salubrité publique. Elle vient rompre une sorte d’omerta implicite qui marque l’espace public au Maroc quant aux grandes tragédies qui secouent le monde. L’impression générale qui se dégage en effet est que les intellectuels ont évacué (certains parlent de désertion) le champ du débat public autour de grandes questions de société et notamment celle du terrorisme.
Certes, l’ampleur de la violence qui marque certains faits de l’actualité et la nature de la contre-violence du discours des politiques incitent certains intellectuels à la prudence. Une violence en appelle une autre. A la violence de l’acte terroriste répond en contre-champ  la violence des anathèmes et des amalgames dans la dénonciation, en principe légitime car elle émane du camp des victimes. Le rôle des intellectuels est justement d’intervenir au sens noble du mot pour dire la raison contre la passion. Pour dire la justice contre la vengeance. Hannah Arendt enseignait que la tâche de l’intellectuel « est de penser l’événement pour ne pas succomber à l’actualité ». Aujourd’hui, des intellectuels marocains s’apprêtent à prendre une initiative à partir de Casablanca pour « un front de la culture contre la haine et la violence ». C’est une prise de conscience salutaire…elle doit être menée avec sérénité et  lucidité. Du coup, nous formulons une première remarque au niveau de l’intitulé choisi. Parler de « front », c’est s’inscrire dans une logique de guerre. C’est reprendre la logique des terroristes. Le terrorisme est un piège qui est tendu à la démocratie. Restreindre les libertés dans une perspective sécuritaire étroite en est un exemple. Puiser dans son champ sémantique, c’est être prisonnier de sa rhétorique ; c’est épouser sa logique guerrière …

Le sursaut des intellectuels face la violence est un appel à réhabiliter la pensée ; à réveiller les consciences ; à ouvrir les yeux sur les multiples fractures qui nourrissent les radicalisations meurtrières. Cette violence qui hante notre horizon n’est pas une malédiction ; elle n’est pas tombée du ciel. Elle est l’émanation d’un dysfonctionnement de nos sociétés. Elle est l’expression de l’exclusion et de la domination. C’est l’irruption de la marge qui vient investir le centre.

Procès et césars pour Much loved

Procès ici, césars là-bas

Enfin une bonne nouvelle dans le triste feuilleton qui a fait suite à l’interdiction du film de Nabil Ayouch, Much loved. Un tribunal marrakchi a débouté une soi-disant association de défense des citoyens qui avait décidé ( ?) de poursuivre le film pour « atteinte à l’image du Maroc ». La justice ne l’a pas suivie sur cette piste dangereuse pour une raison simple et évidente : déjà ladite association ne jouit pas de statut d’utilité publique qui pourrait lui donner une certaine légitimité pour intervenir dans le débat public. Maintenant que la justice a tranché, cette fameuse association se retrouve hors-jeu ; déclarée « d’inutilité publique » et en toute logique devrait être poursuivie en justice pour « atteinte à l’image du Maroc ». Car rien ne peut nuire au Maroc qu’un tribunal qui sanctionne un artiste ou une comédienne. Sur ce banc d’accusé, on devrait aussi retrouver ceux qui ont été derrière ce tapage inutile et ont fourni au nostalgique d’exotisme cette occasion de se payer la Maroc : l’épisode du passage de Loubna Abidar dans Le petit journal (effectivement très petit ce soir-là) était risible de par son ridicule, le manque d’informations du petit journaliste qui l’anime et le français très approximatif, (du marocain traduit : « rire sur moi ») de Loubna Abidar, pourtant signataire d’un article dans le très sérieux Le Monde.

Je suis sûr que ceux qui sont derrière cette mascarade sont en train de se mordre les doigts tant ils ont péché par manque de professionnalisme et de sens politique tout simplement. Mais que faire quand on est mal inspiré, mal conseillé. 

jeudi 11 février 2016

La gauche, le PJD, le combat d’idées, l’hégémonie culturelle…


A demain Gramsci !

Le constat est quasi banal ; c’est devenu une évidence universelle : la gauche aujourd’hui a mal. La gauche va mal. Au grand désarroi des militants qui  oscillent entre désillusion, résignation et amertume. D’abord en termes de performances électorales, à quelques exceptions près, les grands partis de gauche connaissent un repli. Certains d’entre eux qui, au milieu du siècle dernier, étaient parvenus à frôler le quart des suffrages exprimés, sont aujourd’hui non  seulement en perte de vitesse mais risquent de disparaître des écrans électoraux…D’autres ont choisi, suite à des revers politiques successifs, à se disloquer en fusionnant avec d’autres courants ou de se métamorphoser en nouvelles entités…en vain.
Mais au-delà de cette contre performance dans la compétition démocratique, le plus grave revers que subit la gauche réside dans son déclin idéologique et culturel. Amer, le secrétaire général du parti socialiste français, J.-C. Cambadélis l’a reconnu en juin dernier, lors du dernier congrès national de son parti : « La gauche, dit-il, n’est plus en situation d’hégémonie culturelle ». Au nord comme au sud, la gauche a perdu la bataille des idées. En Europe, avec l’avancée foudroyante des thèses de l’extrême droite, belliqueuses, xénophobes, et carrément racistes. Au sud, avec le triomphe des courants conservateurs illustré par la victoire des partis d’obédience islamiste lors des premiers scrutions libres organisés dans le monde arabe.
Enfin, une forme de pensée unique fait de la démocratie libérale et du marché l’horizon indépassable de l’action politique. Toute visée alternative, émancipatrice est reléguée aux rangs des chimères, considérée désormais comme une vue de l’esprit. C’est dans ce contexte que sort un livre qui ouvre une brèche dans le linceul de résignation qui transforme cet état de délabrement idéologique en fatalité. Il s’agit de l’essai publié par le politologue Gaël Brustier, A demain Gramsci (Paris, le Cerf, 2015). La thèse du livre sonne comme un rappel à l’ordre. Ni l’ampleur de la mondialisation, ni l’irruption de la violence djihadiste, ni la profondeur de la fracture sociale et communautaire…n’ont été anticipées par la gauche, quelles que soient ses variantes : radicales, socio-libérales. Pour l’auteur, au moment où la gauche se focalisait sur ses scores électoraux, la droite occupait le terrain idéologique et s’emparait du pouvoir essentiel, celui des idées. La conclusion qui s’impose en toute logique consiste à réhabiliter le penseur qui a théorisé la notion de l’hégémonie culturelle et l’avait posée comme prélude à la prise de pouvoir politique, à savoir Antonio Gramsci.
C’est une  des figures intellectuelles qui ne cessent de nourrir la réflexion des militants de gauche  et dont l’apport théorique et intellectuel a été longtemps mis au ban de la réflexion par les tenants du dogmatisme et qui a été durant sa vie, la cible principale des force de la réaction et du fascisme rompant. Il a été arrêté en 1926 ; il meurt en prison. Lors de son procès, le procureur de l’Etat fasciste avait dit à son égard « il faut empêcher ce cerveau de réfléchir pour vingt ans »
Qu’est ce qui fait que cet  intellectuel est encore plus contemporain que jamais ?
D’abord par le fait même qu’il n’hésita pas à retourner l’outil critique contre sa propre expérience. Il effectua en effet un retour critique sur ses positions antérieure pour mieux appréhender la situation qu’il analysait ; celle marquée par la défaite de la révolution en Occident. Gramsci avait salué le triomphe de la révolution bolchévique mais en même temps il avait entamé une réflexion judicieuse sur la nature désormais spécifique du changement dans le cadre des pays démocratiques. Il prit acte de la stabilisation du capitalisme. Une leçon pour aujourd’hui encore où ce système malgré les crises qui le secouent et les horreurs qu’il engendre parvient à se régénérer.
Pour l’auteur des Cahiers de prison aucune domination politique ne peut advenir sans une  hégémonie culturelle. Le front des idées est tout aussi important que le front politique, économique et social. Une illustration éloquente nous est fournie par le cas marocain. Les succès électoraux du PJD (novembre 2011, septembre 2015…) sont la traduction politique d’une hégémonie culturelle. Les islamistes récoltent électoralement les fruits d’un champ déjà labouré par un immense travail socio-culturel. L’hégémonie est la capacité nous apprend Gramsci à créer un univers d’idées, de symboles et d’images dans lesquels un peuple se reconnaît. Les succès d’Abdelilah Benkirane ne sont pas la conséquence d’un travail de quelques conseillers en communication. Il n’en a pas besoin. Il puise dans le référentiel culturel (sémantique et lexical) qu’il partage avec son auditoire et dont il est issu.  C’est ce qui a fait dire à un intellectuel marocain, Mohamed El Gahs que le PJD a lu Gramsci ! Avec les islamistes, en effet, les conseillers en communication et en marketing politique seraient plutôt inspirés de s’inscrire à l’ANAPEC. Le peuple ne signe jamais un contrat dans lequel il ne croit pas. Pendant longtemps son adhésion était le résultat d’une domination par la coercition (épisode Basri). Aujourd’hui, pour la première fois nous assistons à l’articulation du pouvoir politique à une hégémonie culturelle. Pour rester dans le paradigme gramscien, nous assistons à la réunion de la société politique et de la société civile.
C’est ce que le PPS a très bien saisi dans son analyse de la situation politique  post 2011. En faisant le choix de s’allier au PJD, il contribue à la création de conditions pour la convergence entre le système socio-politique et les représentations collectives exprimées démocratiquement. Le PPS agit ainsi pour l’émergence du bloc historique qui n’est rien d’autres que « l’adhésion des classes sociales différentes à un projet politique correspondant à un niveau d’évolution donné de la société ». Ce faisant,  il souhait convaincre les autres composantes de la gauche qui ont tout à gagner à rejoindre « le sens commun » des gens et en négociant un large compromis historique avec le PJD. Sur  cette voie, le PPS reste animé par un autre principe de Gramsci : pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté !


lundi 8 février 2016

Décès de Tayeb Seddiki, témoignage de Bakrim

Tayeb Seddiki, l'artiste multidimensionnel
Témoignage de Bakrim

Une étoile s’éteint mais son aura continue à illuminer le firmament, tel est Tayeb Saddiki : une star éternelle dont le génie créateur brillera longtemps au sein du panthéon de notre mémoire artistique. Tous les qualificatifs s’avèrent impuissants pour décrire les qualités multiples et immenses de ce grand artiste ; comment dire notre tristesse et notre affliction face à cette perte qui nous laisse abasourdi tant un vide abyssal va marquer notre scène artistique, notre paysage culturel et intellectuel. Nous venons de perdre notre Orson Welles…tout simplement.

Tayeb Saddiki est un artiste complet. Bien sûr il a forgé une brillante carrière nationale et internationale en tant qu’homme de théâtre où il était comédien, metteur en scène et auteur mais il fut aussi un cinéaste, un peintre, un calligraphe, un poète, un écrivain et…Un grand Monsieur.
Au cinéma, il a commencé très jeune à jouer dans des films inscrits dans le sillage de ce que j’ai qualifié de cinéma post-colonial c’est-à-dire ces films réalisés par des Français qui ont continué à travailler au Maroc après  la fin officielle du protectorat. Il a même commencé un peu avant puisque on le retrouve dans le célèbre sketch filmé, Le poulet réalisé par Jean Fléchet en 1954. Avec le même Jean Fléchet, Tayeb Saddiki participera aux côtés d’une pléiade de grands comédiens locaux à un petit bijou de cette période, Brahim ou le collier de beignets, film de 1957 et qui représentera officiellement le Maroc au festival de Berlin.


En 1959, il joue dans Pour une bouchée de pain de Larbi Bennani, un docu-fiction sur la promotion de la consommation de la sardine et auquel Saddiki donnera une dimension chaplinesque indéniable, faisant preuve d’une aisance dans le jeu et d’une grande maîtrise du comique de situation, mettant en œuvre des mouvements agiles et cohérents et un jeu facial expressif sans verser dans la bouffonnerie. Cette aisance et cette maestria on les retrouve également en 1962, dans son interprétation dans le film de Jean Severac, Les enfants du soleil. Des productions  internationales tournées au Maroc feront appel à lui notamment Lawrence d’Arabie (1962) de David Lean et dans le chef d’œuvre de Mostafa Akkad, Le Message, Arrissala (1977).
Des cinéastes marocains auront recours à ses immenses talents, lui-même finira par passer derrière la caméra réalisant des courts métrages, des reportages de commande, des documentaires sur des sujets qui lui tenaient à cœur (la peinture, les arts populaires…), des téléfilms et un chef d’œuvre qui mérite d’être réhabilité aujourd’hui, Ezzeft (1984). Dans une discussion avec des amis à propos du cinéma de Hicham Lasri, j’ai avancé l’hypothèse que c’est un cinéma qui se situe dans la tradition ouverte par un film comme Ezzeft de Saddiki.

Au théâtre, Tayeb Saddiki, va laisser éclater toute la plénitude de son immense talent. C’est là où il a été un des rares à réussir à résoudre l’équation qui hante l’imaginaire de  tout artiste rénovateur, celle d’innover sans se couper du public. En somme il a réussi il à faire du théâtre d’auteur… populaire. Il a adapté des chefs d’œuvre du répertoire universel mais il s’est également réapproprié magistralement et intelligemment tout l’héritage de la culture populaire en matière de spectacle collectif. Revoir aujourd’hui Alharraz montre l’immensité du travail de création réalisé. Les mauvaises langues, et ceux qui étaient écrasés par son talent ont tenté de le dénigrer. Il les ridiculisait en les pastichant sur scène ; il suffisait de décrypter les signes qu’il distillait dans les répliques ou les situations. : Tout son théâtre est inscrit dans une modernité engagée au service des grands idéaux ; sans slogan ni mot d’ordre. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur d’un magnifique projet intitulé Le théâtre ouvrier, dès la fin des années 50. Des représentations étaient organisées en partenariat avec la grande centrale syndicale, l’UMT. Un artiste organique, comme dirait Gramsci.
Et puis toute cette intelligence était également mobilisée au service d’un verbe fin, d’un savoir vivre et d’une élégance de tous les instants. Il n’avait pas son pareil pour réussir un jeu de mots. Une fois il m’avait appelé au téléphone et après une petite discussion, il m’avait invité à venir chez lui. Je lui dis alors que je viendrais « avec plaisir », sa réplique fut instantanée : « non, viens tout seul ! ». Sacré Tayeb !!!

dimanche 7 février 2016

Pour un autre cinéma...

Manifeste pour un autre cinéma (Suite)
Rappel. Une lecture sereine et attentive des différents chiffres qui concernent le bilan général du cinéma marocain invite à repenser l’ensemble du mode de production et d’écriture qui a présidé jusqu’ici à l’éclosion de ce qui est tout de même les prémices d’un cinéma marocain. Les chiffres dressent en effet un constat accablant ; celui en particulier qui a tout mis à nu est relatif au nombre d’entrées ; celles-ci ayant franchi, dans le mauvais sens, la barre fatidique du million d’entrées pour l’année 2015. C’est à partir de là que nous avons considéré qu’il était temps de sortir d’une hypocrisie ambiante et affronter la dure image que nous renvoie la cruauté du miroir des chiffres. Il nous a semblé alors utile de relancer l’idée que nous avons énoncée à l’occasion du festival national à Tanger en janvier 2015, celle d’appeler à un autre cinéma qui rompt avec les formes actuelles de financement, de gestion de la production, d’écriture et de rapport à la société. Pour un cinéma pauvre, populaire, politique et porté par une approche documentaire
De quelques principes. Les chiffres continuent à parler appuyant notre thèse consistant à dire que désormais quelque chose est en train de changer sous nos yeux : notre rapport au cinéma n’est plus le même. Alors que nous continuons à penser et à faire du cinéma selon d’anciens paramètres, un autre rapport au cinéma / aux images a déjà pris le pouvoir. Le dernier chiffre en date concerne le nombre de salles encore en activités. Selon le dernier communiqué de la commission d’aide à la numérisation des salles de cinéma, le Maroc ne compte plus que 31 salles en activité contre 39 en 2012, réfutant ainsi le discours du ministère de la communication qui s’enorgueillit dans ses documents officiels (y compris devant les parlementaires) qu’aucune salle n’a été fermée depuis…2012. Le constat est encore plus éloquent quand le communiqué précise que 30% de ses salles se concentrent à Casablanca et que plus de la moitié se trouvent dans trois villes (Marrakech, Tanger, Rabat). Cela confirme encore le postulat qui a présidé au lancement de notre appel à savoir que le cinéma en tant que pratique sociale est en train de disparaître de notre paysage urbain. Le geste fondateur d’une certaine urbanité, celui de la sortie pour une séance de cinéma relève désormais des antiquités. Des villes sans cinéma, c’est triste. Le cinéma comme activité sociale donne sens à la vie communautaire. Un spectateur de cinéma est un citoyen en puissance car en faisant le geste d’aller dans une salle de cinéma, il participe à une activité collective qui donne sens à la vie urbaine. A la cité.
Il ne suffit pas/plus de crier au loup : la piraterie, le téléchargement, la concurrence des nouvelles formes de circulation des images, désormais chacun porte avec lui sa cinémathèque idéale dans sa tablette ou Smartphone…Non, il s’agit d’opérer une révision copernicienne de notre rapport au cinéma. De produire le cinéma. De distribuer le cinéma D’écrire le cinéma. Le Centre cinématographique du cinéma et les professionnels du secteur ont produit toute une riche littérature sur la question des salles avec des propositions concrètes. Avec à la clé tout un projet, bien ficelé, pour relancer, rénover le parc de l’exploitation. La balle est dans le camp des décideurs politiques. A eux de dire s’ils veulent voir encore des salles de cinéma dans nos villes.

Toute réponse à ce (seul) niveau ne serait d’ailleurs que partielle. Il y a certes urgences à ce que ce programme de sauvetage soit entamé mais la nature du mal est telle qu’il ne faut plus des palliatifs mais une véritable intervention radicale. Une nouvelle culture qui réponde à la nature de nouveaux enjeux. Il y a un nouveau public qui arrive au commande ;  ce sont les enfants du numérique et des Playstations ; désormais toute réflexion doit prendre cette donne en compte. A commencer par une révision du mode de production de nos films, de leur circuit et supports de distribution et leur rapport à l’imaginaire collectif de la société (leur scénario). Nous sommes pour un autre cinéma adapté à la réalité économique du pays, adapté aux enjeux culturels qui le traversent et en adéquation avec les possibilités qu’offre la révolution technologique. Si le public ne vient plus au cinéma ; c’est au cinéma d’aller vers lui par un changement radical de son support de diffusion et de son modèle dramatique.

samedi 6 février 2016

Hommage à Tayeb Saddiki à Sidi Bernoussi

                                             
Soixante ans d’indépendance, soixante ans de cinéma
1956-2016

Notre amie l’école de Larbi Benchekroun
                                                


(Court métrage, 1956, N.B, 11, mn)
Le premier octobre 1956, c’est le grand jour de la rentrée des classes, dans la ferveur de l’indépendance retrouvée, les enfants s’apprêtent avec enthousiasme à retrouver les bancs de l’école. Sauf Mahmoud qui n’a pas trop envie…




Hommage à Tayeb Seddiki


              

                         Brahim ou le collier de beignets de Jean Fléchet

Moyen métrage, 1957, N.B, 45 mn) 
Les premiers jours de l’indépendance, Brahim, jeune chômeur se met à la recherche du travail, c’est tout le pays qui se mobilise…Avec Hassan Skali, Tayeb Seddiki, Fatima Abdelmalek




Pour une bouchée de pain de Larbi Bennani ( 1959,N.B, 20 mn)

Un jeune chômeur aux prises avec les difficultés du quotidien ; heureusement, il y a la sardine…







                                                        
المنتدى الثقافي السينمائي ينظم بمناسبة الذكرى الستون للاستقلال لقاء سينمائي  
ا
بعرض الأفلام التالية
صديقتنا المدرسة
اخراج العربي بنشقرون (1956 ’ 11 دقيقة)
وثائقي روائي
ابراهيم
اخراج جان فليشي ( 1957 ’ 45 دقيقة)
روائي
من بطولة حسن الصقلي , الطيب الصديقي,,,
شارك في مهرجان برلين 1957
من أجل لقمة عيش
 العربي بناني (1959, 20 دقيقة)
من بطولة الطيب الصديقي,  فاطمة الركراكي....
Complexe culturel Hassan Skalli
Sidi Bernoussi, Vendredi 19 février 2016 à partir de 17H.


jeudi 4 février 2016

Hassan Aourid décrypte l’islamise marocain


Chronique d’une métamorphose annoncée

Les livres de Hassan Aourid interpellent, suscitent l’intérêt et souvent séduisent. Ils interpellent d’abord parce que tout simplement c’est Hassan Aourid. La signature ne passe pas inaperçue, le nom de l’auteur renvoie à une séquence très proche de l’actualité politique du pays. Un nom qui ne laisse pas indifférent, un peu, comme dirait l’autre, « à l’insu de son plein gré ». On n’échappe pas à sa biographie. Mais au-delà, les livres du professeur interpellent par leur thématique, les sujets abordés qui à travers la variété des genres (essais, fictions…) enrichissent la panoplie des réflexions qui  font honneur à un espace public souvent apathique. Et ce sont des livres qui séduisent par leur qualité intrinsèque ; comme textes procurant du plaisir. Ses chroniques dans la revue Zamane sont un délice et son roman Le Morisque se lit d’un trait ; il constitue par ailleurs un scénario d’inspiration historique qui permettrait une intéressante adaptation cinématographique.
Bref, nous sommes en présence d’un intellectuel moderne, nourri de l’esprit du temps, attaché à ses racines amazighes et qui s’engage dans les grands débats de notre société. Le livre qu’il vient de sortir en est une nouvelle illustration. L’impasse de l’islamisme, cas du Maroc (Rabat, 2015) aborde un sujet non seulement d’actualité (brûlante j’ai envie de dire, presque au sens propre) mais qui est devenu quasiment universel : l’islamise est à l’ordre du jour des politiques, des sécuritaires et des académiciens de New York à Djakarta en passant par Rabat, Paris. L’islam politique voire l’islam tout court est devenu la question politique et philosophique  fondamentale de notre époque. C’est dans ce contexte que Hassan Aourid intervient dans le débat avec un livre au titre qui peut paraître paradoxal ou en contradiction avec ce que rapportent les médias. Au moment où partout on parle de la déferlante islamiste en termes de scores électoraux comme en termes d’occupation de l’espace public, lui choisit de parler « d’impasse ». C’est dans ce « paradoxe » que réside la thèse qui oriente le livre et lui donne sa consistance intellectuelle et politique : ce triomphe est –aussi-  en somme un chant de cygne d’une certaine variante de l’islamisme. C’est ce que je propose d’appeler, si j’ai bien compris cette thèse, la métamorphose de l’islamisme, sa mue. Elle est la résultante de l’implication des islamistes dans la chose politique au sens de la gestion des affaires publiques. Pour bâtir sa thèse, Hassan Aourid se réfère aux travaux de Marcel Gauchet, notamment son livre Le désenchantement du monde où il développe l’idée de « la sortie de la religion de la sphère publique ». Hassan Aourid, après une fine et riche analyse du cas marocain, dans son contexte arabo-musulman et international, arrive à la même conclusion et en transpose la logique au Maroc et au monde musulman. « Les convulsions que nous vivons, symptomatiques d’une imbrication du religieux et du temporel, sont certainement les prémices d’un mouvement de « sortie » de la religion de la sphère publique ». Attention : quand on parle ici de sortie de la religion, il ne s’agit pas des croyances des personnes, cela concerne la manière d’être de la société, le comportement des acteurs dans la sphère publique. Cette analyse constitue la charpente du livre qui, rappelons-le trouve sa genèse dans la conférence présentée par l’auteur dans le cadre des jeudis de l’IMA à Paris. Un premier chapitre permet de placer le décor, une scène d’exposition en quelque sorte puisqu’elle restitue l’historique de l’évolution du champ religieux à partir du rapport au concept clé de notre pensée contemporaine, la tradition. On sait comment ce concept a fonctionné comme trame narrative d’une œuvre féconde, celle d’Abdellah Laroui dont s’inspire par ailleurs Hassan Aourid. C’est alors un récit passionnant dans les arcanes du système politique marocains avec feu Hassan 2 qui œuvra à développer un rapport spécifique à la tradition (de l’invention de la tradition à la tradition rénovée). Le livre aborde ensuite le comportement des principaux acteurs de l’islamisme politique dans le chapitre « islamiser la modernité » avec le cas d’Aladl wa al ihssane et du PJD ; avant d’aborder le cas très spécifique du mouvement salafiste avec ses variantes notamment la mouvance traditionnelle, liée au wahhabisme et la variante djihadiste. Celle-ci ayant subi également un mouvement, en cours, de mutation.

Dans tous ces développement, l’analyse se nourrit de références historiques, de réflexions théoriques (le livre est très didactique), avec parfois des dérives polémistes notamment dans le chapitre consacré au PJD, et d’éléments puisés dans l’actualité. La vision alterne entre un point de vue d’Etat major, l’auteur ayant été familier des arcanes du pouvoir et des principaux acteurs cités et le point de vue du fantassin, celui de l’intellectuel engagé dans le combat d’idées. Avec humilité et lucidité. J’aime bien conclure en le citant dans ce sens : « Face à tout messianisme, il faut laisser parler la réalité, même si elle tarde à le faire » (Page 79). Une lecture tonique qui réhabilité l’intelligence.

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...