lundi 5 mai 2014

l'oued l'oued et les autres

Le réel dans tous ses états

Démarrage de la compétition officielle de la sixième édition du festival international du film documentaire d’Agadir avec l’entrée en lice de films venant de zones géographiques et esthétiques différentes mais inscrits tous dans le souci de témoigner, de dire le monde dans sa diversité et sa complexité. Auparavant les festivaliers et surtout les étudiants de cinéma avaient rendez-vous avec la leçon de cinéma présentée par Nicolas Philibert auteur entre autres du célébrissime Etre et avoir, documentaire qui avait bousculé le box office à sa sortie en drainant des millions de spectateurs pour une histoire qui se passe dans salle de lasse dans la France profonde, sans stars ni budget colossal. Seul le réel ; pour son master class le cinéaste invité a préféré opter pour un échange direct avec les étudiants. Ceux-ci ont en profité pour poser toutes les questions qui leur semblent obstruer l’horizon de leur jeune pratique cinématographique. Se prêtant généreusement à l’exercice, plus de trois heures de débat, Nicolas Philibert a notamment insisté sur le fait que dans le rapport au sujet et concernant la place de la caméra, il ne s’agit pas de chercher à « tricher » en essayant de camoufler le dispositif cinématographique qui préside au tournage du film. Au contraire, il s’agit d’assumer des choix de la part des deux partenaires du projet, « le filmeur et le filmé ».
La suite de la programmation a permis en quelque sorte de mettre en pratique certaines thèses avancées lors du master class et de les confronter à des choix filmiques notamment autour de cette question fondatrice, qu’est-ce qui fait qu’un documentaire relève du cinéma ? Une composante implicite d’une grille de lecture nécessairement ouverte face à l’offre multiple qui caractérise l’offre documentaire. Le premier film présenté dans le cadre de la compétition officielle est L’oued, l’oued, de l’Algérien de Abdennour Zahzah. A partir d’une idée simple, suivre le parcours d’un fleuve de sa naissance dans les hauteurs de l’Atlas à l’embouchure sur la méditerranée, pas loin d’Alger, capter les signes qui meublent ses rives. Le bilan est un constat accablant sur l’Etat d’un pays délabré. Il n’y a pas de sujet à proprement parler sauf peut être le fleuve lui –même qui apparaît comme le personnage principal. Dans son cheminement sinueux il charrie les débris d’une société aux abois. Ses eaux troubles n’en sont pas moins le miroir limpide d’un désarroi livrée à travers une parole libérée ; une parole sous la double contrainte d’un passé tragique et d’un avenir incertain. La caméra de Zahzah promène son regard avec la distance juste, souvent en plan fixe pour clore ce drame avec un plan large sur l’horizon d’une mer sereine.
Autre registre, autre regard avec le film ne me quitte pas (Belgique-Pays Bas) ; ici on passe en quelque sorte de la sociologie à la psychologie, de la caméra qui enregistre à la caméra qui colle au sujet qui n’est plus le contexte mais le moral et le corps. Deux personnages aux profils opposés mais qui forment un couple face aux drames familiaux et personnels qui les accablent. L’atmosphère est noire froide. Les deux personnages sont forts et émouvants ; s’il y a un  prix d’interprétation dans un festival de documentaire, les deux protagonistes de Ne me quitte pas le mérite largement.
Dans le cadre de la carte blanche de Rasha Salti, le public a eu  à découvrir deux films du moyen orient, le libanais Mon père est toujours communiste de Ahmed Ghossein et C’est quoi ton histoire du palestinien Jamal Khalaie. Les deux films ont un point commun dans leur démarche est qu’ils ouvrent le documentaire sur la voie expérimentale. L’image n’est plus portée par un référent situé dans le monde, mais elle se réfère à elle-même avec un travail plastique qui lui confère un statut esthétique autonome, renforcé par une bande son omniprésente.
Mohammed Bakrim


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