Documentaire et
mémoire oubliée
·
Mohammed Bakrim
Les bruits du
monde comme ses murmures finissent par tisser des pans entiers du scénario des
films du festival. L’horizon est obstrué par les échos des drames quotidiens ou
des tragédies historiques. Les cinéastes s’ingénient à le percer par les moyens
qui sont les leurs. « Je ne suis pas venu au cinéma parce que Truffaut ou
Godard m’ont ébloui, mais à cause de mon histoire » déclare Rithy Panh, le
cinéaste cambodgien qui a consacré son œuvre à restituer la mémoire de la
tragédie que son peuple a vécue à l’époque des Khmers rouges.
Deux
documentaires marocains présentés dans l’actuelle édition du FIFM abordent,
chacun suivant une démarche qui lui est spécifique, des chapitres oubliés de la
mémoire collective du pays. Il s’agit de Mora Youchkad (Mora arrive) de Khalid
Zairi présenté dans le cadre du panorama du cinéma marocain et La mère de tous
les mensonges d’Asmae El Moudir, sélectionné pour la compétition officielle. Les
deux films se nourrissent du même souci : comment rendre partageables les
souvenirs des rescapés des drames de l’histoire. Comment proposer le cinéma
pour résister à l’épreuve de l’oubli.
Le film de Zairi
est un voyage dans la mémoire de la classe ouvrière marocaine et de son
émergence dans le champ social par le fait d’un acte violent, celui de
l’immigration. Mora était un agent des grandes sociétés minières qui étaient
venu, dans les années 1960 principalement, sillonné les campagnes marocaines,
notamment le Souss, pour recruter d’une manière quasi bestiale de la main
d’œuvre bon marché. La mère de tous les mensonges pour sa part revisite une
partie de la mémoire familiale pour finalement rencontrer la mémoire d’un
événement tragique dans l’histoire du pays, les émeutes de juin 1981. Une mémoire tue ici (censure politique), une
mémoire oubliée là (amnésie sociale). Mémoires refoulées. Ici et là, le cinéma
face au devoir de restituer une perte d’image. Une absence d’image ou
« l’image manquante » pour rester dans la conception de Rithy Panh.
Les deux films
empruntent des voies diamétralement opposées pour nous emmener dans ces voyages
mémoriels. Ils ont ce premier avantage de s’inscrire dans le registre de la
création et non du faux reportage. Khalid Zairi opte pour une démarche portée
par un regard marqué par le souvenir d’une blessure, à partir de la rupture
brutale avec un espace d’origine, lieu d’ancrage familial vers un lieu d’exil. La
caméra part de l’ailleurs pour revenir à la source. Le film privilégiant,
l’écoute, le silence et une vision poétique. La démarche d’Asmae El Moudir
choisit l’intimité du « je », avec un récit porté par une voix off
omniprésente. Pour s’insérer dans cette mémoire proche (celle de ses parents)
mais réticente, son film s’inscrit dans le paradigme de l’expérimentation avec recours
aux figurines (d’où notre référence à Rithy Panh dans son film L’image
manquante), une mise en scène quasi théâtrale de séquences de la mémoire,
recours appuyé à la musique…In fine le documentaire n’est plus ici qu’un
horizon de lecture possible. Plutôt une fiction documentée. « Il n’y a pas
plus faux que le documentaire » disait Jean Renoir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire