Du cinéma, du réel et du rêve
·
Mohammed Bakrim
Le Haut Atlas est toujours là,
bienveillant, et le festival lui est dédié. Les sept Saints, gardiens de
l’imaginaire de la capitale almoravide ont adopté le septième art. Et un vent,
presque plutôt une brise d’espoir a fini par se lever à l’est. Prions le bon Dieu clément que cela dure et…
pour de la pluie ! Oh que nos stars sont belles quand elles arrivent sous
cette eau bénie. La 20ème édition du FIFM commence alors sous le
signe de grandes espérances.
Quelle première lecture s’offre à
nous à partir du programme proposé et à partir du discours d’escorte qui
l’accompagne ? J’ai envie de résumer cela en deux mots, en paraphrasant
une tendance dans l’écriture du scénario : une édition ordinaire dans un
contexte extraordinaire.
Le contexte est extraordinaire parce
que le monde est en ébullition. La violence multiforme marque ses relations.
Violence armée (guerre, guérilla…), violence sociale (la lutte de classes
reprend de plus belle !) le cinéma et les scénaristes ont de la matière
pour cent ans (s’ils sont encore là). Et c’est une édition ordinaire parce que
le festival a trouvé sa voie. La nouvelle édition reprend pour les confirmer et
les renforcer les choix stratégiques qui ont présidé à sa naissance ; à
savoir un festival professionnel, cinéphile et populaire.
Une configuration qui n’est pas née
ex nihilo. Le festival est né entre de bonnes mains qui maintiennent le cap initial.
Les choix sont affinés au fur et à mesure ; révisés et réadaptés en tenant
compte du feedback qui émane de la pratique. Des réajustements (suppression de
certaines sections, réintroductions de nouvelles) et des innovations avec le
souci majeur de maintenir la qualité de haut niveau d’organisation, avec de
plus en plus la présence de l’expertise marocaine y compris dans certains
départements sensibles (la scénographie, la projection…).
Reste ce qui fait la raison d’être de
tout festival qui se respecte, à savoir une programmation cinématographique
originale et pertinente. On retrouve ainsi une grande diversité esthétique et
culturelle émane de zones géographiques différentes. Les chiffres de cette
année sont dans la moyenne d’un festival qui reste à échelle humaine. 75 films
émanant de 36 pays alimentent les différentes sections du festival. La plus
prestigieuse d’entre elles, la compétition officielle, compte cette année 14
films ; documentaire et fiction ce qui est une bonne chose car c’est du
cinéma loin des étiquettes. Deux films sont inscrits au nom du pays hôte. Les
décideurs artistiques maintiennent, le choix très discutable, de réserver la
compétition officielle aux réalisateurs dont c’est le premier ou le deuxième
film. L’argument avancé, promouvoir une politique de découvertes de jeunes
talents, est certes séduisant mais peu convaincant. Je rappelle que, à
plusieurs reprises, j’ai fait part de mes réserves à cet égard. Non pas sur le
fait du choix lui-même mais principalement sur le fait de l’inscrire dans le
marbre, dans le règlement du festival. Il ne fallait pas en faire une loi. Je
rappelle aussi (j’ai eu le plaisir d’accompagner, parfois l’intérieur, le
festival depuis sa première édition) que ce choix est venu suite à un long
cheminement. C’est ainsi qu’après un certain cafouillage, les premières années,
le festival a forgé petit à petit, son identité artistique, notamment à partir
de 2004, se traduisant entre autres dans le choix de privilégier les premières
et les secondes œuvres. L’occasion pour moi de plaider une nouvelle fois pour
la suppression de cette clause. Dans tous les secteurs, le festival gagne à
ouvrir et non à verrouiller. Ce n’est
pas l’âge biologique/chronologique qui fait l’âge artistique.
Ai-je besoin de rappeler que les
films les plus importants de la deuxième partie de l’année 2023, voire de toute
l’année sinon de toute la décennie, sont l’œuvre de « jeunes » qui
ont une moyenne d’âge qui tourne autour de 80 ans ! :
·
Killers of the flower moon de Martin Scorsese, âge 80
ans
·
Le garçon et le héron de Hayao Miyazaki, âge 82 ans
·
L’enlèvement de Marco Bellocchio, âge 83 ans
·
The Old Oak Ken Loach, âge 87 ans
L’origine des films programmés offre également
des indications intéressantes. Révélatrices de ce qui est en train de bouger
dans le monde du cinéma. La géographie du cinéma n’épouse que partiellement la
géographique physique : c’est quoi aujourd’hui la nationalité d’un
film ? la mondialisation des systèmes de financement a reconfiguré la
carte du cinéma. Que nous dit la compétions officielle dans ce sens. Si nous
reprenons un schéma classique pour lire l’origine des 14 film en lice pour l’Etoile d’or, nous
obtenons une liste de 13 pays avec le Maroc deux films, l’Afrique quatre films
(dont le Maroc), l’Amérique latine trois films et le reste du monde six films.
Mais si nous affinons l’analyse au-delà d’une lecture géopolitique pour lire le
générique des films on relève un constat qui confirme une tendance lourde des
dernières années avec l’émergence de nouvelles puissances financières cinématographiques. Le Qatar est ainsi présent dans cinq films,
huit si on élargit à l’ensemble de la sélection officielle. A noter la présence
en force d’un nouvel arrivant, l’Arabie Saoudite avec deux films en compétition
officielle. Un festival, Djeddah, symbolise cette offensive éclipsant des
festivals historiques de la région, Abu Dhabi, Doha, Dubaï et qui ont disparu
de la carte après avoir longtemps concurrencé Marrakech non sans une certaine
pression pour lui imposer certains choix (au niveau du calendrier).
Outre la compétition officielle, très
jeune (10 premiers films) très féminine (8 films sont réalisés par des femmes),
le FIFM table sur son cachet cinéphile en organisant notamment le désormais
rituel « Conversation avec… » qui accueille des noms prestigieux du
cinéma, des monuments d’intelligence de culture et d’humanisme. Je peux dire
mes choix : Faouzi Bensaïdi, Naomi Kawaze, Tilda Swinton.
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