vendredi 22 décembre 2023

festival international du film de Marrakech (2023)

 

Du cinéma, du réel et du rêve

·         Mohammed Bakrim

 


Le Haut Atlas est toujours là, bienveillant, et le festival lui est dédié. Les sept Saints, gardiens de l’imaginaire de la capitale almoravide ont adopté le septième art. Et un vent, presque plutôt une brise d’espoir a fini par se lever à l’est.   Prions le bon Dieu clément que cela dure et… pour de la pluie ! Oh que nos stars sont belles quand elles arrivent sous cette eau bénie. La 20ème édition du FIFM commence alors sous le signe de grandes espérances.

Quelle première lecture s’offre à nous à partir du programme proposé et à partir du discours d’escorte qui l’accompagne ? J’ai envie de résumer cela en deux mots, en paraphrasant une tendance dans l’écriture du scénario : une édition ordinaire dans un contexte extraordinaire.

Le contexte est extraordinaire parce que le monde est en ébullition. La violence multiforme marque ses relations. Violence armée (guerre, guérilla…), violence sociale (la lutte de classes reprend de plus belle !) le cinéma et les scénaristes ont de la matière pour cent ans (s’ils sont encore là). Et c’est une édition ordinaire parce que le festival a trouvé sa voie. La nouvelle édition reprend pour les confirmer et les renforcer les choix stratégiques qui ont présidé à sa naissance ; à savoir un festival professionnel, cinéphile et populaire.

Une configuration qui n’est pas née ex nihilo. Le festival est né entre de bonnes mains qui maintiennent le cap initial. Les choix sont affinés au fur et à mesure ; révisés et réadaptés en tenant compte du feedback qui émane de la pratique. Des réajustements (suppression de certaines sections, réintroductions de nouvelles) et des innovations avec le souci majeur de maintenir la qualité de haut niveau d’organisation, avec de plus en plus la présence de l’expertise marocaine y compris dans certains départements sensibles (la scénographie, la projection…).

Reste ce qui fait la raison d’être de tout festival qui se respecte, à savoir une programmation cinématographique originale et pertinente. On retrouve ainsi une grande diversité esthétique et culturelle émane de zones géographiques différentes. Les chiffres de cette année sont dans la moyenne d’un festival qui reste à échelle humaine. 75 films émanant de 36 pays alimentent les différentes sections du festival. La plus prestigieuse d’entre elles, la compétition officielle, compte cette année 14 films ; documentaire et fiction ce qui est une bonne chose car c’est du cinéma loin des étiquettes. Deux films sont inscrits au nom du pays hôte. Les décideurs artistiques maintiennent, le choix très discutable, de réserver la compétition officielle aux réalisateurs dont c’est le premier ou le deuxième film. L’argument avancé, promouvoir une politique de découvertes de jeunes talents, est certes séduisant mais peu convaincant. Je rappelle que, à plusieurs reprises, j’ai fait part de mes réserves à cet égard. Non pas sur le fait du choix lui-même mais principalement sur le fait de l’inscrire dans le marbre, dans le règlement du festival. Il ne fallait pas en faire une loi. Je rappelle aussi (j’ai eu le plaisir d’accompagner, parfois l’intérieur, le festival depuis sa première édition) que ce choix est venu suite à un long cheminement. C’est ainsi qu’après un certain cafouillage, les premières années, le festival a forgé petit à petit, son identité artistique, notamment à partir de 2004, se traduisant entre autres dans le choix de privilégier les premières et les secondes œuvres. L’occasion pour moi de plaider une nouvelle fois pour la suppression de cette clause. Dans tous les secteurs, le festival gagne à ouvrir et non à verrouiller.  Ce n’est pas l’âge biologique/chronologique qui fait l’âge artistique.

Ai-je besoin de rappeler que les films les plus importants de la deuxième partie de l’année 2023, voire de toute l’année sinon de toute la décennie, sont l’œuvre de « jeunes » qui ont une moyenne d’âge qui tourne autour de 80 ans ! :

·         Killers of the flower moon de Martin Scorsese, âge 80 ans

·         Le garçon et le héron de Hayao Miyazaki, âge 82 ans

·         L’enlèvement de Marco Bellocchio, âge 83 ans

·         The Old Oak Ken Loach, âge 87 ans

L’origine des films programmés offre également des indications intéressantes. Révélatrices de ce qui est en train de bouger dans le monde du cinéma. La géographie du cinéma n’épouse que partiellement la géographique physique : c’est quoi aujourd’hui la nationalité d’un film ? la mondialisation des systèmes de financement a reconfiguré la carte du cinéma. Que nous dit la compétions officielle dans ce sens. Si nous reprenons un schéma classique pour lire l’origine   des 14 film en lice pour l’Etoile d’or, nous obtenons une liste de 13 pays avec le Maroc deux films, l’Afrique quatre films (dont le Maroc), l’Amérique latine trois films et le reste du monde six films. Mais si nous affinons l’analyse au-delà d’une lecture géopolitique pour lire le générique des films on relève un constat qui confirme une tendance lourde des dernières années avec l’émergence de nouvelles puissances financières cinématographiques.  Le Qatar est ainsi présent dans cinq films, huit si on élargit à l’ensemble de la sélection officielle. A noter la présence en force d’un nouvel arrivant, l’Arabie Saoudite avec deux films en compétition officielle. Un festival, Djeddah, symbolise cette offensive éclipsant des festivals historiques de la région, Abu Dhabi, Doha, Dubaï et qui ont disparu de la carte après avoir longtemps concurrencé Marrakech non sans une certaine pression pour lui imposer certains choix (au niveau du calendrier).

Outre la compétition officielle, très jeune (10 premiers films) très féminine (8 films sont réalisés par des femmes), le FIFM table sur son cachet cinéphile en organisant notamment le désormais rituel « Conversation avec… » qui accueille des noms prestigieux du cinéma, des monuments d’intelligence de culture et d’humanisme. Je peux dire mes choix : Faouzi Bensaïdi, Naomi Kawaze, Tilda Swinton.

 

Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...