Les dupes…
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Mohammed Bakrim
On célèbre les
90 ans du Prix Albert Londres ; du nom du père du journalisme
d’investigation et la figure historique d’une certaine éthique de la pratique
journalistique. Il me semble que l’une de ces citations célèbres conviendrait
également au monde de la critique cinématographique. A méditer donc :
« notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort.
Il est de porter la plume dans la plaie en mettant dans la balance son crédit,
son honneur, sa vie ».
Parler des
films, écrire sur le cinéma ne se conçoit pas sans une culture de prise de
risque. Afficher son avis. Pour ma part, je plaide pour une posture d’humilité
face aux films. Eviter le discours sentencieux, définitif. Un critique n’est
pas Zorro. Ni un imam prêchant la bonne image. Afficher mon point de vue, le
défendre avec le maximum de « passion et de lucidité ».
Que pourrait-on
dire aujourd’hui au moment où le FIFM vogue suivant son cap et retrouvant sa
vitesse de croisière et au moment où la compétition officielle boucle sa
quatrième journée. Très vite une certaine tendance s’est dégagée traversant en
filigrane une bonne partie des films présentés. Des jeunes sortant de
l’adolescence et se confrontant aux désirs du corps et la complexité des
relations intimes horizontalement adolescents entre eux ou verticalement les
relations avec les parents, les adultes en général. Le ton a été donné d’emblée
avec le film bosniaque, Excursion qui nous plonge dans l’univers intime d’une
jeune lycéenne confrontée à ses autres camardes et trouve dans la fabulation
une voie vers une certaine reconnaissance sociale. Le cout sera élevé avec au
bout de lourdes tensions. Le cinéaste turc Nehir Tuna avec Dormitory reste dans
l’univers scolaire en confrontant deux institutions emblématiques de la Turquie
moderne : une institution religieuse qui donne son titre au film où les
jeunes sont initiés aux préceptes de l’islam et une école laïque où les jeunes
apprennent l’anglais comme voie d’accès à une certaine modernité. Le jeune Ahmet
va être tiraillé entre ces deux mondes sous l’emprise de son père qui rêve de
le voir ecclésiastique. Le film construit son originalité par le dispositif
esthétique qui l’a choisi pour son film en exprimant cette dichotomie
culturelle que vit le héros en usant du noir et blanc dans une bonne partie du
récit et de la couleur dans le dernier tiers. Un passage qui se fait d’une
manière fluide sans une signification explicite en rapport avec le temps par exemple
(le passé et le présent) ; c’est plus une manière d’exprimer une
métamorphose du héros qui commence à y voir plus clair dans ses propres
sentiments…même si ses tentatives de révolte demeurent sans issue. Dans mon
classement provisoire que j’effectue au fur et à mesure du déroulement de la
compétition officielle, le film turc arrive aujourd’hui en haut du tableau. Il
a ainsi détrôné le film de Kamal Lazrak, Les meutes, qui a séduit d’emblée par
la galerie des personnages qu’il fait évoluer dans un Casablanca des bas-fonds.
Mais séduire n’est pas convaincre. Le film s’est très vite enfermé dans une
logique qu’il a installé d’emblée, celle de faire défiler des gueules qui sont
des prototypes. Kamal Lazrak entre dans le champ en « imagier » ou
« imagiste » pour user de concepts de Serge daney. Une scène en ouverture du film donne le
ton : cela se passe dans un quartier populaire, le jeune Issam qui avec
son père Hassan va vont former le duo dramatique du récit arrive dans un café
salle billard. Un jeune, portant costume et cravate, entre au café et annonce
qu’il n’pas été reçu pour in travail dans un centre d’appel parce que « ne
parlant pas bien le français ». Un habitué du coin lui répond qu’il se
trompe qu’il ne s’agit pas d’un problème de langue « mais de gueule ;
tu n’as pas la gueule pour le poste ».
Toute la suite va démontrer que le film prend cette remarque pour
lui-même et en a fait son programme : des gueules, des images. Des images
qui finissent par tourner à vide. Or le cinéma est une affaire d’esthétique et
d’éthique. Le cinéma c’est construire du temps et de la durée. Bien filmer la
misère, la détresse en les enfermant dans les codes d’un genre n’est pas la
garantie d’un grand film. Cela doit s’accompagner d’une éthique. Comme disait
l’autre, « le travelling est une affaire de morale ». Affaire à
suivre.
Mais à
Marrakech, il n’y a pas que la compétition officielle. Des sections parallèles
sont le lieu d’un bonheur cinéphilique. C’est le cas de la section, très
cinéphile, le 11ème continent, il a permis de voir par exemple Les
herbes sèches du cinéaste turc, figure emblématique de la planète cinéphile,
Nuri Bilge Ceylan. Film d’une durée exceptionnelle, plus de trois heures. Le
film nous transpose dans les merveilleux paysages d’Anatolie pour un récit de
réflexion et de méditations. C’était un test pour le public et pour le
festival. Et ce fut un texte réussi à merveille. La salle était archi-comble,
un public attentif dans un silence quasi religieux et un accueil enthousiaste
te chaleureux ici et là des petits groupes se formaient spontanément pour
prolonger le plaisir dans une effusion de sentiments et d’émotion. Avec, ce
public, le FIFM a réussi son pari : disposer d’un noyau dur pour garantir
un avenir ouvert, tolérant.
Un moment de
nostalgie cinéphilique chargé de symboles et de référence. Le festival a en
effet programmé le film de Tawfiq Salah, Les dupes (1972). Un choix pertinent à
maints égards du fait des événements dramatiques en cours en Palestine qui lui
donne une nouvelle actualité ; du fait ensuite de la proposition
cinématographique qu’il développe et qui en fait non pas seulement un film
militant pour une cause juste mais le lieu d’un point de vue. Le film est une
adaptation du récit Des hommes dans le soleil de l’écrivain et intellectuel
palestinien Ghasan Kanafani. Tawfiq Salah a réalisé un film personnel et non
une illustration des propos du romancier. Cinéaste en exil en Syrie après des
ennuis avec la bureaucratie du régime nassérien dans son pays, il a bénéficié
d’un soutien mitigé mais qui lui a permis de dire sa perception de la Nakba et
de la tragédie palestinienne à travers le récit de trois palestiniens de
générations différentes. Ils vivaient en Irak et ils cherchaient à rejoindre le
Koweït, EL Dorado de l’époque. Mais pour passer d’un pays arabe à un autre, on
ne peut le faire qu’en clandestin. D’où la séquence finale du film, un climax
d’une grande portée tragique. Et que le cinéaste a filmé différemment du texte
source. Un final qui nous parle, nous interpelle aujourd’hui que les
Palestiniens continuent à frapper sur le mur de l’inconscience du monde.
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