Le cinéma, pour un monde meilleur
·
Mohammed Bakrim
« Quand la réalité est projetée à l'écran, elle scintille
et signifie »
Que peut le cinéma face aux bruits du
monde ? Le bel horizon qui se dessine en perspective à Marrakech offre une
esquisse de réponse. La ville et son festival de cinéma sont portés par le même
credo : espoir et résilience. La ville vient de sortir avec sérénité
et dignité d’une terrible épreuve, septembre dernier. Et le festival en a vu
tant ; n’est-il pas lui né un certain septembre (2001) quand le monde
était secoué par un séisme d’une autre nature ? Il était ainsi écrit que
Marrakech et le cinéma allaient se rencontrer. La magie de la lumière naturelle
de la ville ocre se conjugue en une parfaite symbiose avec la lumière magique
de l’écran. Un foisonnement de sons et
de lumières (la définition même de la célèbre place marrakchie) qui offre au
regard et à l’esprit un univers féerique où l’homme se réconcilie avec
lui-même. Abordant le monde autrement.
C’est le philosophe américain,
Stanley Cavell (1926-2018) qui avait posé la question : Le cinéma nous
rend-il meilleurs ? ; il en a fait l’intitulé de son livre publié en
2003 ; livre où il met en pratique sa conception du cinéma et de l’apport de
celui-ci à la philosophie. Aujourd’hui avec le démarrage de la nouvelle édition
du festival international du film de Marrakech, dans un contexte très
particulier, la question du rapport du cinéma aux bruits du monde s’impose
comme une question non pas (seulement) politique mais philosophique. Notre
rapport au cinéma nous renseigne sur notre rapport au monde. D’où le retour à
Stanley Cavell qui a fait de cette interrogation le moteur de sa riche
réflexion qui a constitué une contribution originale, d’abord à la pensée
philosophique, stricto sensu en l’ouvrant sur d’autres champs, et aussi au
cinéma dont le statut n’est pas réduit, de son point de vue, à une simple
illustration de concepts philosophiques. Il fut le premier à introduire
l’analyse de films dans les études philosophiques. Sur un pied d’égalité, si
j’ose dire. Sur cette voie, il avait croisé des cinéastes qui ont nourri sa
réflexion. Il a beaucoup travaillé sur la comédie américaine de l’âge d’or de
Hollywood autour du concept qu’il avait forgé « la comédie de
remariage ; mais il a également croisé le cinéma d’auteur (Rohmer,
Godard…) et surtout l’étudiant qu’il avait dans le département de philosophie,
Terrence Malick. Cavell était admiratif de ses deux premiers films, de la façon
dont il rend compte de la manière dont le cinéma peut faire un éloge du monde.
Cinéma et philosophie donc, tous deux
ont pour objet notre rapport au monde, au réel.
« Le cinéma et la philosophie sont tous deux en position de nous
apprendre à percevoir la manière dont nous vivons notre condition ». Stanley
Cavell cherche dans les films des réponses aux questions que pose une
philosophie faite avec le cinéma et non sur lui : « comment de la lumière
projetée sur un écran peut nous rendre présents des objets, des êtres, des
événements absents ? ». C’est le
questionnement qui va animer le hors champ du festival.
Les films que nous allons voir ne
vont pas nous éloigner du monde. Ils vont nous aider à mieux le voir ; à
mieux l’entendre. En mettant en scène les rapports multiformes avec autrui, le
cinéma nous initie à une morale du rapport au monde à travers ce que Cavell
appelle « l’ordinaire ». Une façon particulière pour le cinéma de
nous rendre meilleurs.
C’est un peu aussi le programme de
Marrakech en ces temps difficiles. On ne peut pas réduire le festival à sa
seule dimension « événementielle » que d’aucuns comprennent comme une
manifestation professionnelle. Non, le festival, à travers ses choix
artistiques, les films qu’il propose, offre l’occasion de réfléchir sur le
monde. De le recevoir dans sa diversité. Et dans le sens
« cavellien », je pourrai dire que c’est aussi un moment
philosophique. Car, le cinéma en tant
qu’expression artistique est plus pertinent, plus opportun pour comprendre la
douleur citoyenne. Il est à même de restituer le ressenti et à travers les
différents genres (science -fiction, horreur, film catastrophe…) interroger la
violence en la surdramatisant ou en dévoilant son absurdité.
Face aux bruits du monde, face au
déferlement de violence, face à l’irruption de l’irrationnel dans les
différents réseaux et supports, le cinéma peut instaurer non pas des trêves
mais un espace symbolique où le spectateur/l’homme dialogue avec lui-même. Un
espace de médiation qui accueille les mémoires collectives, fragmentées,
déchirée, blessées. Un scénario qui fait des douleurs actuelles et passées un
tremplin pour prévenir celle de demain. Et la douleur aujourd’hui a un nom,
Palestine.
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