Une leçon de documentaire
« Je ne peux
pas être pessimiste car je suis vivant »
James Baldwin
On parle beaucoup de documentaire
au Maroc. On peut même dire que nous assistons à une inflation en la
matière : des festivals lui sont dédiés ; des projets sont montés de
toutes pièces pour bénéficier des aides publiques en la matière ;
notamment depuis l’instauration d’un guichet dédié aux films sur la culture
hassanie. Un premier constat s’impose : toute cette effervescence, hélas,
se fait au détriment du documentaire. Beaucoup d’observateurs notent que nous
sommes plutôt en présence de reportages déguisés. La télévision y est pour
beaucoup : une chaîne du Golfe a ainsi formaté toute une acception du
documentaire et la deuxième chaîne marocaine l’a suivie sur cette voie de
banalisation d’un genre noble. Seul le cinéma peut être à la rescousse. Le
cinéma qui continue à être la patrie de la légitimité artistique du
documentaire.
Dans ce sens, c’est en visionnant
des films documentaires destinés à la salle de cinéma que les jeunes (et les
autres) documentaristes marocains peuvent libérer leur regard du formatage
audiovisuel pour une approche ontologique du film documentaire qui puise ses
sources premières dans les oorigines du cinéma.
L’opportunité de l’actualité
cinématographique présente l’occasion de découvrir un excellent documentaire
qui réhabilité justement le genre et lui restitue ses lettres de noblesse. Il
s’agit de Je ne suis pas votre nègre du cinéaste Hatien Raoul Peck. Le film a
été primé à Berlin, il a été sélectionné dans la liste finale de l’Oscar du
meilleur documentaire ; sorti aux Usa , il a connu un immense succès
public et critique. Sa sortie en France
est prévue en début mai ; espérons qu’un distributeur marocain aura
l’intelligence de le proposer au public d’autant plus que le thème et le
contenu du film rejoignent un référentiel culturel universel. Raoul Peck,
minsitre de la culture de son pays, président de la célèbre école de cinéma
parisienne La Femis est l’auteur de plusieurs films, documentaires et fiction,
qui ont suscité un vif intérêt. Avec Je ne suis pas votre nègre, il nous offre
une œuvre forte, un cri de colère, portée par un travail cinématographique
qui peut passer pour un master class en
la matière. A l’origine de l’idée du fil un manuscrit du célèbre écrivain
américain James Baldwin (1984-1987) ; un script qu’il voulait consacrer à
ses trois amis Martin Luther King, Malcolm X et Medgar Evers : trois
figures de la conscience noire américaine et qui ont tous un point commun, ils
sont tous les trois morts assassinés alors qu’ils avaient moins de 40 ans. Le
projet n’a pas abouti. Et Raoul Peck l’a réalisé en suivant les traces de James
Baldwin. Le fil conducteur est le texte rédigé par l’écrivain américain qui a
vécu un certain temps à Paris (une sorte d’exil) avant de décider revenir dans
son pays. Le texte est très beau lu dans la version américaine par Samuel L.
Jackson et en français par Joeystarr, le
célèbre rappeur français.
A aucun moment le film ne verse
dans le docu-fiction ; les images d’archives montées avec des images
socilogiques de la vie américaine et avec des extraits éloquemment montées de
films hollywoodiens. Il n’y a pas de témoignages en dehors des interventions de
James Baldwin lui-même dans différents lieux publics. Des documents officiels
comme les rapports du FBI sur l’écrivain sont restitués visuellement. Et la
bande son offre une richesse qui reflète la réalité plurielle de la société
américaine. Deux moments forts du film : quand le film confronte dans un
montage explicité les propos de Bobby Kennedy (minstre de la justice à
l’époque) sur la possibilité de voir un jour un président noir à la tête des Usa
et la réponse époustouflante de James Baldwin.
Ou encore quand il résume
toute la problématique raciale dans ces deux visages qui renvoient à deux
niveaux d’expérience : le blanc Gary Cooper et le noir Ray Charles. Deux figures qui renvoient à cette réalité que
l’apathie et l’ignorance contribuent à faire perpétuer et que résume James
Baldwin : toutes les nations sont empêtrées dans leur prétendu humanisme.
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