mercredi 3 mai 2017

Je ne suis pas votre nègre de Raoul Peck

Une leçon de documentaire
« Je ne peux pas être pessimiste car je suis vivant »
James Baldwin



On parle beaucoup de documentaire au Maroc. On peut même dire que nous assistons à une inflation en la matière : des festivals lui sont dédiés ; des projets sont montés de toutes pièces pour bénéficier des aides publiques en la matière ; notamment depuis l’instauration d’un guichet dédié aux films sur la culture hassanie. Un premier constat s’impose : toute cette effervescence, hélas, se fait au détriment du documentaire. Beaucoup d’observateurs notent que nous sommes plutôt en présence de reportages déguisés. La télévision y est pour beaucoup : une chaîne du Golfe a ainsi formaté toute une acception du documentaire et la deuxième chaîne marocaine l’a suivie sur cette voie de banalisation d’un genre noble. Seul le cinéma peut être à la rescousse. Le cinéma qui continue à être la patrie de la légitimité artistique du documentaire.
Dans ce sens, c’est en visionnant des films documentaires destinés à la salle de cinéma que les jeunes (et les autres) documentaristes marocains peuvent libérer leur regard du formatage audiovisuel pour une approche ontologique du film documentaire qui puise ses sources premières dans les oorigines du cinéma.
L’opportunité de l’actualité cinématographique présente l’occasion de découvrir un excellent documentaire qui réhabilité justement le genre et lui restitue ses lettres de noblesse. Il s’agit de Je ne suis pas votre nègre du cinéaste Hatien Raoul Peck. Le film a été primé à Berlin, il a été sélectionné dans la liste finale de l’Oscar du meilleur documentaire ; sorti aux Usa , il a connu un immense succès public et  critique. Sa sortie en France est prévue en début mai ; espérons qu’un distributeur marocain aura l’intelligence de le proposer au public d’autant plus que le thème et le contenu du film rejoignent un référentiel culturel universel. Raoul Peck, minsitre de la culture de son pays, président de la célèbre école de cinéma parisienne La Femis est l’auteur de plusieurs films, documentaires et fiction, qui ont suscité un vif intérêt. Avec Je ne suis pas votre nègre, il nous offre une œuvre forte, un cri de colère, portée par un travail cinématographique qui  peut passer pour un master class en la matière. A l’origine de l’idée du fil un manuscrit du célèbre écrivain américain James Baldwin (1984-1987) ; un script qu’il voulait consacrer à ses trois amis Martin Luther King, Malcolm X et Medgar Evers : trois figures de la conscience noire américaine et qui ont tous un point commun, ils sont tous les trois morts assassinés alors qu’ils avaient moins de 40 ans. Le projet n’a pas abouti. Et Raoul Peck l’a réalisé en suivant les traces de James Baldwin. Le fil conducteur est le texte rédigé par l’écrivain américain qui a vécu un certain temps à Paris (une sorte d’exil) avant de décider revenir dans son pays. Le texte est très beau lu dans la version américaine par Samuel L. Jackson et en français par  Joeystarr, le célèbre rappeur français.
A aucun moment le film ne verse dans le docu-fiction ; les images d’archives montées avec des images socilogiques de la vie américaine et avec des extraits éloquemment montées de films hollywoodiens. Il n’y a pas de témoignages en dehors des interventions de James Baldwin lui-même dans différents lieux publics. Des documents officiels comme les rapports du FBI sur l’écrivain sont restitués visuellement. Et la bande son offre une richesse qui reflète la réalité plurielle de la société américaine. Deux moments forts du film : quand le film confronte dans un montage explicité les propos de Bobby Kennedy (minstre de la justice à l’époque) sur la possibilité de voir un jour un président noir à la tête des Usa et la réponse époustouflante de James Baldwin.
Ou  encore quand il résume toute la problématique raciale dans ces deux visages qui renvoient à deux niveaux d’expérience : le blanc Gary Cooper et le noir Ray Charles.  Deux figures qui renvoient à cette réalité que l’apathie et l’ignorance contribuent à faire perpétuer et que résume James Baldwin : toutes les nations sont empêtrées dans leur prétendu humanisme.



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