Le festival universitaire
international du cinéma et de la littérature (FUICLA) organisé par la faculté
des lettres de l’université Ibn Zohr d’Agadir a remis au devant de la scène la
question récurrente de l’adaptation. Récurrente du point de vue de l’histoire
du cinéma mais aussi eu égard à sa pertinence dans le débat sur le cinéma
marocain. En effet, beaucoup de malentendus, sinon de clichés, ont « pollué »
un éventuel échange entre les acteurs de deux champs d’expression. On a même
avancé que les cinéastes boudent le roman marocain, notamment dans sa version
arabe. Au-delà de cette polémique, revisitons quelques repères historiques. Je
propose en premier lieu le mot que j’avais publié dans le catalogue de la
première édition du FUICLA, mot que j’avais intitulé, en me référant
implicitement à Pasolini, « des graphèmes aux cinèmes » ; tout
en étant conscient qu’il n’ y a pas d’art pur (dixit Bazin ?), car il y a
beaucoup de graphèmes dans les cinèmes et des cinèmes dans les graphèmes ;
c’est pour cela peut-être que j’ai ajouté comme en sous-titrage « la
transhumance des signes », motivé peut-être par mes retrouvailles avec mon
sud natal, pays de transhumance et d’émigration, ou par ma conviction que le nomadisme est désormais
le paradigme incontournable des tempes modernes ; un retour aux sources de
l’humanité qui est née nomade, n’est-ce pas ?
Les signes sont des éternels
nomades ! Ils voyagent entre les formes et les linges ; entre les
couleurs et les sons ; entre les supports et les medium…quand ils ne sont
pas eux-mêmes le signifié de leur signifiant. Agadir et sa faculté des lettres
proposent de les croiser comme un carrefour des signes ; aller à la recherche
du scriptural dans l’iconique et l’iconique dans le scriptural.
La question de la transposition,
concept que je préfère celui de l’adaptation a rencontré très tôt le cinéma.
Puiser dans le patrimoine dramatique universel (théâtre et roman) a constitué
d’emblée la voie royale pour passer du
cinématographe au cinéma, du spectacle forain destiné à la plèbe au septième
art. Plus tard quand sa légitimité artistique et culturelle fut assurée, le
cinéma pouvait non plus « adapter »
mais « dialoguer » sur des bases autonomes avec les
chefs-d’œuvre de la littérature et de théâtre. Sans garantie de résultat. La
renommée d’n roman n’est pas une assurance pour un succès. Tout dépend de
l’apport du cinéaste lui-même. Albert Camus a refusé de son vivant l’adaptation
de son roman L’étranger. Quand Visconti réalisa sa version du roman de camus,
ce ne fut pas son meilleur film.
Aujourd’hui, les étudiants nous
invitent à revisiter ce débat passionnant grâce à l’initiative de l’université
Ibn Zohr. Ils ont eu l’intelligence de le faire sous la tutelle de figures historiques du cinéma
et de l’enseignement du cinéma (Lagtaâ, Bénani, Chapouillé). C’est un geste
hautement symbolique qui renvoie à la noble tradition académique, celle du
partage et de la transmission dans le respect et la reconnaissance à l’égard
des maîtres et des aînés. Cela est de bon augure pour ce jeune festival
prometteur.
Ceci dit (et écrit) et toujours
dans le cadre de ce volet théorique, il m’a semblé utile de rappeler la
position exceptionnelle de Hitchcock que j’ai lancée comme une boutade sur ma
page facebook et qui a suscité l’intérêt et le débat de beaucoup de mes
amis ; le maître du suspense a dit en effet qu’en matière d’adaptation, il
vaut mieux choisir un mauvais roman ! Dans son célèbre entretien avec
François Truffaut, il explicité davantage sa position en la résumant dans cette
affirmation : « je n’adapterais jamais un roman de Dostoïevski ». Contrairement à ce que l’on pourrait
hâtivement penser, ce n’est pas pour des raisons techniques, sur la capacité
intrinsèque du cinéma, par exemple, à se mesure à des chefs-d’œuvre :
c’est plutôt pour des raisons éthiques. Dans l’œuvre de Hitchcock il y a beaucoup
de films adaptés de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre. Mais comme le
rappelle Truffaut, ce sont souvent des textes qui relèvent de la littérature
récréative, populaire. « Ce que je ne comprends pas, c’est que l’on
s’empare réellement d’une œuvre d’un bon roman que l’auteur a mis trois ou
quatre ans à écrire et qui est toute sa vie…on tripote cela et on se retrouve
candidat aux oscars ». C’est donc par respect au chef d’œuvre qui a trouvé
sa forme finale, parfaite dans son mode d’expression originel. Quelle est alors
sa démarche ? « Je lis une histoire seulement une fois, quand l’idée
de base me convient, je l’adopte, j’oublie complètement le live et je fabrique
du cinéma ». Résumons : Adopter et non pas adapter et puis surtout
fabriquer du cinéma. Salu Maître !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire