Casablanca comme expérience graphique
Le
cinéaste Hicham Lasri est à l’institut
français de Casablanca, à partir du 10 mai, cette fois comme
dessinateur-graphiste-auteur de livre. Autour du thème Fawda, le cinéaste nous
livre en signes scripturaux et icono-graphiques sa vision de la ville, de
l’espace et des êtres qui se cherchent entre dessein et dessin. Entretien
exclusif.
Mohammed
Bakrim
Après le roman graphique Vaudou, tu
viens d’inaugurer une exposition et de présenter un livre autour de Fawda, une
nouvelle expérience graphique ; comment pourrais-tu nous présenter cette
nouvelle exposition et le livre qui l’accompagne ?
FAWDA est un projet qui m’a occupé les
3 derniers mois, il s’agit de donner naissance à un corpus composé d’une
exposition comprenant l’accrochage de planches originales, de créer une sorte
de papier mural pour les soutenir et aussi de marquer le coup en sortant mon 2e
roman graphique après Vaudou édité en 2016 par Le Fennec. Il est clair que j’ai
trouvé beaucoup de plaisir à créer Vaudou et j’avais envie après la fin de la
postproduction de HEAdbANGLullaby de continuer à creuser le sillon entamé avec
Vaudou et même certains de mes travaux pour le digital (No Vaseline Fatwa ou
Bissara Overdose). Fawda, le roman graphique a bénéficié aussi d’une méthode de
fabrication totalement handmade grâce à ma collaboration avec les Editions
Kulte, et cette méthode a apporté à mes planches, mes textes et mes collages un
supplément d’âme injecté par la machine et la technique risograhique…
Je trouve géniale de prendre ce qu’il
y a de meilleur dans cette époque digitale pour faire des créations
analogiques, on parle toujours de la crise de livre ou des lecteurs et je
trouve important de construire des murs avec des œuvres de créations, que cette
création soit personnelle, anticonformiste, en dehors des tendances, de
l’asservissement au « flavor of the day » et du coup de cette
singularité qui m’est très chère.
Mais Fawda, vient aussi d’un
malaise : Depuis quelques temps j’ai le sentiment que tout nous pousse à
prendre une position « politique » sauf que je ne suis qu’un artiste
et un artiste est plus fort que tous les politiques, un artiste est un créateur
ex-nihilo d’une vision du monde, je préfère prendre une position Ethique et
non politique.C’est le genre de chose qui déplait aux idéologues et à leurs
larbins, donc j’essai de m’extraire au maximum à la gravité et à l’air vicié
qui m’entoure : la plupart des réalisateurs ne font rien de personnel. Ils
sont toujours les esclaves de ce système (publicitaire, institutionnel…) qui
les pousse à répondre à la « commande » mais ne font jamais
« œuvre personnelle ».
Je trouve triste ces stars de cinéma
qui ne font que des publicités,
Je trouve triste ces réalisateurs qui
ne font que des web-séries professionnelles, ces réalisateurs qui ne font que
des pantalonnades en espérant que ça va attirer le public du Mégarama, ceux qui
font exclusivement des travaux de commande avec très peu d’investissement et
finissent par se perdre dans la moissonneuse batteuse du
Je trouve triste les chanteurs obligés
de chanter comme des charretiers (les paroles affligeantes type Derti Lia
Teyyara et autres insultes du Hammam – et c’est le créateur de Bissara Overdose
qui le dit)…
Personne ne fait rien pour la gratuité
du geste, de l’art, pour la poésie du storytelling et c’est quelque chose que
je trouve effrayant…
Je réalise que ceux de ma génération
ne sont que des esclaves, des galériens, et ma crainte, ma hantise : quand
la poussière retombera on n’aura accompli rien qui puisse supporter la
comparaison avec les génération Hassan 2… je ne suis ni nostalgique, ni réac,
mais comme le chante si Bien Léo Ferré : le désespoir est un forme
supérieure de la critique… voilà pourquoi Fawda !
1)
Quel est
ton rapport au dessin et à la graphie ? Une passion en liaison avec tes
lectures d’enfance ?
La bande-dessinée est un des piliers
de mon enfance. J’ai cinq frère et sœur, mais j’ai passé une enfance solitaire,
courbé sur les livres, les pages que je noircissais avec mes histoires, mes
nouvelles depuis mes 10 ans et la bande-dessinée était toujours quelque part
autour de moi, à travers les antiques publication Lug (Strange, Nova, Mustang)
ou les Fumetti (Swing, Rodéo,Bleck Le Roc) mais aussi les traductions des
certains BD en arabe (Grendizer, Tarzan, Conan le Barbare…) après, il y a eu le
télescopage avec Alan Moore et la BD anglaise… Il ne faut jamais oublier que je
suis un enfant des Années 80 (avant l’avènement de 2M, avec la RTM qui commence
à 18h30 et se termine à 23H, la rareté des images en mouvement a été remplacée
par les cases de bande-dessinée de mauvaise qualité sur du mauvais papier (on
parle de vintage maintenant) donc, ma soif de Storytelling et mon envie de
métafiction découle totalement de ce environnement que je peux qualifier comparer
à un « écran noir ». D’ailleurs dans tous mes films, on commence
presque toujours avec un écran noir comme pour marquer ce moment pré Big-Bang,
ce moment d’avant l’explosion qui préfigure l’univers quantique qui sera en expansion
– donc générant des images : les étoiles, les nébuleuses, les planètes… -
donc pour répondre de manière plus pragmatique : la lecture et la
bande-dessinée et Metallica ont sauvé ma vie.
2)
Comment tu
gères le rapport cinéma/dessin : les personnages sont identiques ;
des transpositions d’un univers à l’autre ? Tu dessines tes plans avant de
les filmer ?
Je suis un littérateur, tout commence
avec le choix chirurgical du mot et de la définition, après rien ne change
quand j’écris un scénario de film, un scénario de sitcom, de Bissara Overdose
ou une bande-dessiné : je reste fidèle à mes obsessions mais je change de
méthode de travail pour ne pas m’ennuyer. Je ne peux être créatif que si je travaille
sur plusieurs projets en même temps, donc quand je travaillais sur
HEAdbNAGLullaby en postproduction, j’avais le temps de dessiner tous les jours
deux planches de Vaudou, maintenant que je travaille sur la postproduction de
Jahilya – mon 6e long-métrage – j’ai trouvé le temps de faire 200 planches.
J’essaie d’éviter de centrer mes travaux graphiques sur des personnages, pour
être dans des espaces, des moments, des digressions, des gestes, ça permet à la
fois une liberté et aussi une sorte de spontanéité. Avant, j’étais obsédé,
comme tous jeune réalisateur, par l’idée de contrôle et donc de storybaord,
maintenant, je trouve beaucoup plus amusant d’être en glissement ou en dérapage
contrôlé quand il s’agit de faire un film. Je structure mon film de manière
rigoureuse, mais je laisse des interstices pour laisser entrer le miracle de la
vie, ce que le tournage apporte comme âme, comme négation, comme lumière, c’est
les même interstices que je laisse pour le regard
« spectatoriel » : comment laisser chaque spectateurs investir
le film et ne pas le traiter comme du bétails qu’on fait traverser le récit
comme si c’était un parcours fléché ou un enclos pour passer la
douane : pas de visa pour l’émotion
et l’imagination…
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