Notre amie l'école (1956) Larbi Benchekroun
Le fils maudit
de Mohamed Ousfour voit le jour officiellement en 1958. C’est le film qui peut
être approché comme l’aboutissement technique d’une longue période pratiquement
artisanale où la passion de Ousfour pour le cinéma n’était assouvie qu’en
tournant et en montrant ses bouts de pellicules qu’il filmait, montait et
projetait tout seul. Cet autodidacte, issu des plaines de Abda, arrivé à
Casablanca dans le sillage des grandes immigrations des années trente et
quarante…va découvrir le cinéma grâce à ses contacts avec les milieux
européens. Dans son livre, consacré à ce cinéaste original, Ahmed Fertat
rapporte des faits saillants d’une biographie marquée par la passion du cinéma.
C’est le Casablanca des quartiers européens
de l’époque coloniale qui ouvrit à Ousfour cette caverne magique qu’il tenta de
dompter et de redéployer auprès des siens. On apprend ainsi qu’il a été vendeur
de journaux, apprentis dans plusieurs métiers. A 15 ans il déniche une petite
caméra qui lui permit de « filmer » des aventures dans une forêt de
la banlieue casablancaise (la série des sketches Le fils de la jungle). En
1946, il entame un tournant dans sa carrière en participant à des productions
internationales tournées au Maroc (Henry Hataway, Orson Welles…) où il fit
preuve d’ingéniosité en, matière de trucages et d’effets spéciaux… avec les
moyens de bord. Il continue à tourner des sketches qu’il montre dans des salles
de fortunes. En 1956, il put enfin acquérir une caméra 16 mm qui lui a permis
de tourner, de monter son film phare Le fils maudit (qu’il doubla des années
plus tard).
En fait c’est un
moyen métrage d’une quarantaine de minutes ; le récit cette fois est
d’inspiration réaliste ; c’est un mélodrame sur les la mauvaise éducation
qui se transforme en malédiction qui s’abat sur une famille dont le père
alcoolique voit le fils devenir « une enfant maudit ». De belles
trouvailles émaillent ce récit sur le plan visuel. Devenu criminel, le fils est
présenté devant les tribunaux où il est condamné à mort ; l’exécution est
filmée d’une manière artisanale mais donnant lieu à une mise en image
originale, jouant notamment sur la figure de l’ombre.
Le film
obtiendra son visa de sortie en 1958 mais Ousfour va désormais s’investir dans
le côté technique mettant son savoir faire acquis d’une manière autonome au
service de différentes productions ; travaillant notamment comme preneur
d’images avec de nombreux cinéastes marocains. Ahmed Bouanani lui rendra un
vibrant hommage dans ce sens. Il faudra attendre 1970, pour le voir revenir à
la réalisation, avec son premier vrai long métrage, Le trésor infernal (un film
de 72 minutes cette fois).
Entre temps, le paysage cinématographique
marocain connaîtra d’autres nouveautés
structurantes avec l’année 1958 (et les suivantes) ; celle-ci voit
l’entrée en lice de la première génération des cinéastes marocains ayant une
formation académique et professionnelle spécialisé dans le cinéma.
Il y a ainsi
Larbi Benchekroun (1930 – 1984) auteur dès 1956 du premier film marocain dans
des normes professionnelles (Notre amie l’école, 1956). Il a suivi une
formation à Rome et différents stages de perfectionnement à Paris. Rentré au
Maroc, il est l’auteur d’une douzaine de films documentaires et/ou
docufiction : un exercice très en vogue à l’époque consiste à dramatiser
un sujet à connotation sociale dans le but d’assurer au message une réception
idéale. Je cite en outre des noms comme
Larbi Bennai, lauréat de l’Idhec en 1954. Il sera présent avec l’équipe du CCM
qui va filmer les festivités officielles et populaires du retour de feu
Mohammed V. il s’investit beaucoup dans la formation et la gestion
administrative au sein du CCM ; il fera partie des cinéastes qui vont
marquer cette décennies avec de nombreux documentaires , des fictions notamment
Nuits andalouses de 1963 qui recevra un accueil chaleureux de la part des plus
hautes autorités du pays de l’époque et représentera le Maroc dans des
festivals et des manifestations dédiées à la culture marocaine.
Mohamed Afifi,
un autre lauréat de l’Idhec promotion de l’année 1957. Il rejoint le CCM où il
s’occupe en particulier du département des actualités filmées qui va être,
en l’absence de la télévision à
l’époque, la véritable mémoire visuelle du pays, accumulant des images qui sont
aujourd’hui un véritable patrimoine. Afifi va réaliser des documentaires,
s’occuper pendant une période du théâtre
de Casablanca avant de s’investir dans la distribution et des activités
privées…Latif Lahlou, Mohamed Lotfi rejoindront ce premier groupe vers la fin
des années 50 (lauréats de l’IDHEC en 1959). Les années qui suivent verront au
fur et à mesure l’arrivée de nouveaux cinéastes, lauréats de l’école
parisienne.
Ils rejoignent
presque automatiquement le CCM ; ils n’ont pas le choix en l’absence d’un
contexte professionnel privé. Le Maroc était un pays de grande consommation de
cinéma. Activité urbaine par excellence, elle fournissait aux nouvelles couches
sociales un divertissement et une ouverture sur le monde. Le Maroc comptait
près de 200 salles de cinéma et les chiffres de fréquentation connaissaient une
courbe ascendante
L’Etat par
contre avait besoin de cadres professionnels pour véhiculer une image, d’abord
celle officielle des activités du personnel public…et une image didactique
contribuant au discours identitaire nationaliste de cette période de
transition. Nous sommes au début des années 60, l’Etat se donne aussi pour rôle
de former des citoyens, de les initier aux taches du monde moderne et de leur
faire découvrir leur pays dans le temps, en revisitant le riche patrimoine issu
d’une civilisation séculaire et plurielle dans la perspective de conforter la
thèse développée par les nationalistes à savoir que le colonialisme ne fut
qu’une parenthèse qu’il s’agit de fermer pour reprendre la flambeau (sic) mais
aussi présenter le pays comme espace géographique avec la diversité des
paysages et des sites
Les jeunes
cinéastes, cadres d’un organisme public, le CCM, vont s’atteler à cette tâche,
mettant leur caméra, les techniques du montage apprises au service de cette entreprise
qui s’exprime à travers des commandes.
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