Au terme des années 60, le bilan du paysage cinématographique est contrasté ; une activité commerciale florissante avec un nombre d’entrées en augmentation régulière ; une production nationale portée par le court métrage dans sa version documentaire institutionnelle et une tentative avortée de produire de la fiction sur le modèle dominant. Un bilan chiffré tourne autour d’une soixantaine de courts et moyens métrages et trois longs métrages de fiction. Outre les deux films de 1968, Vaincre pour vivre de Tazi et Mesnaoui, Quand mûrissent es dates de Bennani et Ramdani, Latif Lahlou a signé en effet en 1969, son premier long métrage, Soleil de printemps avec en vedette, Amidou qui vient d’entamer une brillante carrière internationale de comédien avec Claude Lelouch. Le film se situe dans le sillage des choix entamés par le cinéaste dans ses documentaires et docu-fiction, celui de capter une réalité, cette fois celle de la nouvelle petite fonctionnaire urbaine (un petit fonctionnaire dans l’enfer émergent de Casablanca). Entre néoréalisme et mélodrame, le film dessine en filigrane une des voies majeures de la cinématographie marocaine en devenir.
A l’orée des années 70, le cinéma
marocain va s’engager sur une nouvelle piste. L’Etat, trouvant son moyen
d’expression favori dans le nouveau media envahissant, la télévision, va se
désengager de plus en plus de la production cinématographique. La télévision
devenue l’enfant chérie de l’Etat, le cinéma redevient ce « fils
maudit » annoncé par le titre prémonitoire de Ousfour. A posteriori
aujourd’hui, on peu dire que ce fut une chance historique pour notre cinéma,
celle de naître en alrge de l’Etat, voire « contre » l’Etat. Le
cinéma marocain va forger ses choix essentiels en toute indépendance et ne sera
jamais une variante d’un service officiel, à l’instar de certains pays qui vont
tabler sur un cinéma porté par l’Etat…option qui se révélera sans horizon sur
le moyen terme.
C’est ainsi que dès 1970, une voie
royale s’entrevit devant le cinéma marocain avec une production indépendante
qui fera date et marquera les années suivantes, Wechma de Hamid Bennani. Un
film porté dan son mode de production, comme dans ses choix esthétiques et
artistiques par l’idéologie de l’époque. Celle d’une économie collective, d’une
culture ancrée dans son environnement et aspirant à des formes d’émancipation
et d’épanouissement.
Wechma sera ainsi le titre générique
d’une époque et de toute une manière de faire le cinéma. Il sera même pris par
beaucoup de cinéphiles comme la référence première à la naissance du cinéma
marocain. Il correspond, en effet, à un paramètre déterminant des années 70, celui de
l’activité cinéphile centrée atour de la dynamique fédération nationale des
ciné-clubs qui assurera « le service après vente » et la promotion de
ce qu’il convient d'appeler en toute légitimité le cinéma d’auteur marocain,
tendance fondatrice de ce cinéma et dont les titres majeurs ont été produits
réalisés dans les années 70. Une décennie qui verra en tout et pour tout la
production de 16 longs métrages. Deux cinéastes vont se détacher par leur
régularité en réalisant près de la moitié de ce chiffre. Il s’agit d’Abdellah
Mesbahi avec 4 films et Souheil Benbarka avec 3 films. Neuf autres cinéastes réaliseront leur
premier long métrage lors de cette décennie avec le cas particulier de Ousfour
qui avec Le trésor infernal réalise son premier film dans des normes
professionnelles.
Très vite, une dominante se dégage,
celle d’un cinéma porté par des auteurs désireux de témoigner à la fois sur une
réalité, dans ses multiples dimensions, et sur leur outil d’expression. Face à
ce noyau, Mesbahi va lancer un courant animé de velléités franchement
commerciales et s’inspirant du modèle égyptien. Le titre emblématique de cette
démarche est Silence sens interdit (1973) avec un chanteur, Abdelahdi
Belkhayat, dans le rôle principal. Un montage de chansons célèbres, servi par
un récit au premier degré et d’une grande naïveté dans le jeu et les
situations. Le film de Ousfour, Le trésor infernal (1970) s’inscrit dans cette
optique, celle d’un cinéma commercial et populaire. Ce sera un courant
minoritaire au sein de la production de cette décennie. Au sein de la tendance
qualifiée de cinéma d’auteur, on peut relever cependant des nuances.
On peut ainsi dégager au sein du cinéma
d’auteur marocain des années 70, les variantes suivantes.
Un cinéma politique tenté par
l’universel, illustré par les films de Souheil Benbarka : Mille et une
mains (1972), La guerre du pétrole n’aura pas lieu (1974) ; le film aura
d’ailleurs des ennuis avec les autorités et ne connaîtra pas une sortie
normale.
Un cinéma de la déconstruction,
travaillant de prime à bord le langage cinématographique lui-même, inscrit dans
une opposition affichée au schéma narratif dominant…Un cinéma dont la figure de
proue est Mostafa Derkaoui avec De quelques événements sans signification
(1974).
Un cinéma inscrit dans la quête
culturelle et puisant dans l’héritage mythologique et symbolique avec des sous
variantes illustrées par les films de Bennani, Smihi, et Bouanani. Wechma de
Bennani (1970) enrichit cet ancrage culturel local par une inspiration
largement psychanalytique ; Chegui de Moumen Smihi (1974) revendique une
filiation au récit littéraire classique nourri de références et de motifs
symboliques ; Mirage de Bouanani (1979) reprend la démarche du conte
populaire avec un héros livré à une errance dans les labyrinthes d’une mémoire
sans repère.
Un cinéma du réel porté par un regard
anthropologique : O les jours de Ahmed Maanouni (1978).
Des films sont produits également dans
cette perspective, je cite le cas notamment de Cendres du clos (1977) mais dont
le destin particulier mérite un traitement à part.
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