Symphonie berbère
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C’est une figure atypique du cinéma
dit « colonial ». André Zwobada (1910 - 1994), producteur (il
produira en 1966, le premier film d’Afrique noire, la Noire de …de Sembene Ousmane
!), a travaillé comme assistant réalisateur et comme acteur avec Jean Renoir.
Arrivé au Maroc début des années 1940, il adopta le pays. Le pays comme une
société riche de son patrimoine et comme une culture authentique. Il arrive au
moment où les autorités coloniales voulaient lancer un embryon de cinéma
« local » pour concurrencer le cinéma égyptien qui commençait à être
perçus dans sa symbolique politique plus qu’un loisir par les spectateurs des
salles de la Médina…Zwobada contribua activement au projet mais à partir de son
point de vue ; celui de mettre en valeur une culture. Il réalise ainsi La
septième porte (1947) dans deux versions (française et arabe). Le cinéaste
marocain, Feu Ahmed Bouanani lui rendit hommage en intitulant son livre sur l’histoire
du cinéma au Maroc « La septième porte ». L’approche « culturaliste »
non européo-centriste, préconisée par Zwobada ne va pas susciter l’intérêt des
financiers européens. Et c’est une société de production marocaine, « Studio
Maghreb », de Mohamed Laghzaoui qui va produire son film suivant, Noces de
sable (1948) dont le commentaire a été écrit et dit par Jean Cocteau.
Outre ses films ses longs métrages de
fiction, Zwobada va réaliser de nombreux documentaires dont Symphonie berbère
(1947) où il filme le Haut Atlas à partir de la route nationale 203.
Après un court générique présentant
le film comme une coproduction maroco-française, trois plans en ouverture
donnent le ton de ce qui sera l’atmosphère du film. Des plans qui permettent de
signifier le lieu et d’annoncer le programme : d’abord, le plan de la Koutoubia
majestueuse ; ensuite le Haut Atlas avec ses cimes enneigées comme horizon
et le troisième plan s’arrête devant la Mamounia, célèbre et prestigieux palace
de la ville ocre. On est dans la carte postale, image idyllique renforcée par
le commentaire en voix off. Des protagonistes font leur apparition ; un jeune
couple européen, suivi d’un responsable de l’hôtel. Les premiers marocains sont
en costume traditionnel de garçons d’hôtel. Ils portent les bagages pendant que
le maître d’hôtel offre un bouquet de fleurs à la jeune femme. Le système des
personnages, le jeu de la caméra assignent déjà les rôles aux uns et aux
autres. Une hiérarchie est instaurée. Le regard est orienté pour privilégier un
point de vue précis sur les homes et les lieux
Les fleurs pour le couple aident à
comprendre qu’il s’agit d’un voyage de noces. D’une image l’autre : on est dans
l’héritage romantique de la fin du XIX siècle.
La rencontre de deux mondes est renforcée par la présence de
l’automobile qui va traverser la Médina sur la route de la montagne, inscrite
au programme. La présence de la voiture à la place de la calèche célèbre pour
découvrir la ville de Marrakech instaure un rapport de forces culturel qui va
être décliné le long du parcours. Comme le souligne le commentaire très
volubile, au cœur de la médina où les autochtones sont des silhouettes mobiles,
le bourriquot cède le chemin à son concurrent mécanique ; commentaire redondant
avec ce que nous montre les images. La sortie de la ville sur la route de Tizi
N’test le plus haut col d’Afrique du Nord, offre l’occasion à un clin d’œil au
génie civil français qui a ouvert la voie vers ces contrées reculées dans le
temps et l’espace. Des plans larges nous montrent des montagnes somptueuses et
une route qui monte en lacets réduisant la voiture à un minuscule objet roulant
vers des contrées et des paysages inédits. Contrées inaccessibles au point que
le jeune couple se voit dans l’obligation de laisser la voiture pour terminer
l’exploration à dos de mules. On aperçoit ainsi un célèbre gite sur la route de
Tizi N’Test, « Au sanglier qui fume », situé du côté d’Asni. Il est resté
longtemps comme un site agréable pour des haltes/pauses, avant d’affronter la
montagne. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques traces…Les deux touristes
seront guidés à travers la montagne par des « berbères ». Le mot revient à
plusieurs reprises. Le film en effet est dédié au peuple amazigh, familier de
ces montagnes farouches. Le regard du couple est le prétexte pour organiser une
découverte d’une communauté à travers des rites et des mœurs. Trois séquences
vont être présentées : le souk hebdomadaire, la chasse et la célébration d’un
mariage. Le regard est tantôt sociologique avec un brin d’ethnographie ; c’est
le cas du souk où la caméra montre ce que le commentaire ne dit pas ; notamment
quand elle s’arrête sur les métiers exercés par des juifs, décrits à partir de
signes religieux mais parfaitement intégrés. Ou encore un regard purement touristique
avec la scène de chasse et puis carrément folklorique avec le montage de
plusieurs danses berbères relevant de plusieurs genres ; mais apparemment
réunies ici pour justifier le titre du film, « Symphonie berbère ». La bande de
son est loin d’être synchrone avec les musiques jouées. Mais ce n’est pas là le
but ; la caméra est prépondérante ; elle est plutôt documentaire et construit
une vision à travers l’accumulation de détails, ici des pieds nus, là un
regard…l’ensemble inséré dans des plans larges qui disent une harmonie
séculaire. On ne voit plus le couple,
prétexte narratif initial, il cède le champ à l’imagerie coloniale pure.
Aujourd’hui, le Haut Atlas, depuis le
8 septembre est devenu un objet iconique et médiatique de prédilection. Une
profusion d’images qui appellent une remise en ordre pensée et construite…comme
une œuvre cinématographique que nous appelons de nos vœux. Je rappelle un cas
de figure historique, celui du cinéaste syrien Mohamed Oussama qui, exilé à
Paris pour des raisons politiques, a réalisé un film bouleversant, Eau
argentée, sur la violence qui a ravagé son pays. Film monté, en collaboration -
virtuelle avec une jeune Kurde de Homs, à partir des vidéos postées sur les
réseaux sociaux par des dizaines et des dizaines de « cinéastes »
amateurs.
Le Haut Atlas attend son film.
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