lundi 9 octobre 2023

Le Haut Atlas filmé par André Zwobada

 


Symphonie berbère

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C’est une figure atypique du cinéma dit « colonial ». André Zwobada (1910 - 1994), producteur (il produira en 1966, le premier film d’Afrique noire, la Noire de …de Sembene Ousmane !), a travaillé comme assistant réalisateur et comme acteur avec Jean Renoir. Arrivé au Maroc début des années 1940, il adopta le pays. Le pays comme une société riche de son patrimoine et comme une culture authentique. Il arrive au moment où les autorités coloniales voulaient lancer un embryon de cinéma « local » pour concurrencer le cinéma égyptien qui commençait à être perçus dans sa symbolique politique plus qu’un loisir par les spectateurs des salles de la Médina…Zwobada contribua activement au projet mais à partir de son point de vue ; celui de mettre en valeur une culture. Il réalise ainsi La septième porte (1947) dans deux versions (française et arabe). Le cinéaste marocain, Feu Ahmed Bouanani lui rendit hommage en intitulant son livre sur l’histoire du cinéma au Maroc « La septième porte ». L’approche « culturaliste » non européo-centriste, préconisée par Zwobada ne va pas susciter l’intérêt des financiers européens. Et c’est une société de production marocaine, « Studio Maghreb », de Mohamed Laghzaoui qui va produire son film suivant, Noces de sable (1948) dont le commentaire a été écrit et dit par Jean Cocteau.

Outre ses films ses longs métrages de fiction, Zwobada va réaliser de nombreux documentaires dont Symphonie berbère (1947) où il filme le Haut Atlas à partir de la route nationale 203.



Après un court générique présentant le film comme une coproduction maroco-française, trois plans en ouverture donnent le ton de ce qui sera l’atmosphère du film. Des plans qui permettent de signifier le lieu et d’annoncer le programme : d’abord, le plan de la Koutoubia majestueuse ; ensuite le Haut Atlas avec ses cimes enneigées comme horizon et le troisième plan s’arrête devant la Mamounia, célèbre et prestigieux palace de la ville ocre. On est dans la carte postale, image idyllique renforcée par le commentaire en voix off. Des protagonistes font leur apparition ; un jeune couple européen, suivi d’un responsable de l’hôtel. Les premiers marocains sont en costume traditionnel de garçons d’hôtel. Ils portent les bagages pendant que le maître d’hôtel offre un bouquet de fleurs à la jeune femme. Le système des personnages, le jeu de la caméra assignent déjà les rôles aux uns et aux autres. Une hiérarchie est instaurée. Le regard est orienté pour privilégier un point de vue précis sur les homes et les lieux

Les fleurs pour le couple aident à comprendre qu’il s’agit d’un voyage de noces. D’une image l’autre : on est dans l’héritage romantique de la fin du XIX siècle.  La rencontre de deux mondes est renforcée par la présence de l’automobile qui va traverser la Médina sur la route de la montagne, inscrite au programme. La présence de la voiture à la place de la calèche célèbre pour découvrir la ville de Marrakech instaure un rapport de forces culturel qui va être décliné le long du parcours. Comme le souligne le commentaire très volubile, au cœur de la médina où les autochtones sont des silhouettes mobiles, le bourriquot cède le chemin à son concurrent mécanique ; commentaire redondant avec ce que nous montre les images. La sortie de la ville sur la route de Tizi N’test le plus haut col d’Afrique du Nord, offre l’occasion à un clin d’œil au génie civil français qui a ouvert la voie vers ces contrées reculées dans le temps et l’espace. Des plans larges nous montrent des montagnes somptueuses et une route qui monte en lacets réduisant la voiture à un minuscule objet roulant vers des contrées et des paysages inédits. Contrées inaccessibles au point que le jeune couple se voit dans l’obligation de laisser la voiture pour terminer l’exploration à dos de mules. On aperçoit ainsi un célèbre gite sur la route de Tizi N’Test, « Au sanglier qui fume », situé du côté d’Asni. Il est resté longtemps comme un site agréable pour des haltes/pauses, avant d’affronter la montagne. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques traces…Les deux touristes seront guidés à travers la montagne par des « berbères ». Le mot revient à plusieurs reprises. Le film en effet est dédié au peuple amazigh, familier de ces montagnes farouches. Le regard du couple est le prétexte pour organiser une découverte d’une communauté à travers des rites et des mœurs. Trois séquences vont être présentées : le souk hebdomadaire, la chasse et la célébration d’un mariage. Le regard est tantôt sociologique avec un brin d’ethnographie ; c’est le cas du souk où la caméra montre ce que le commentaire ne dit pas ; notamment quand elle s’arrête sur les métiers exercés par des juifs, décrits à partir de signes religieux mais parfaitement intégrés. Ou encore un regard purement touristique avec la scène de chasse et puis carrément folklorique avec le montage de plusieurs danses berbères relevant de plusieurs genres ; mais apparemment réunies ici pour justifier le titre du film, « Symphonie berbère ». La bande de son est loin d’être synchrone avec les musiques jouées. Mais ce n’est pas là le but ; la caméra est prépondérante ; elle est plutôt documentaire et construit une vision à travers l’accumulation de détails, ici des pieds nus, là un regard…l’ensemble inséré dans des plans larges qui disent une harmonie séculaire.  On ne voit plus le couple, prétexte narratif initial, il cède le champ à l’imagerie coloniale pure.

Aujourd’hui, le Haut Atlas, depuis le 8 septembre est devenu un objet iconique et médiatique de prédilection. Une profusion d’images qui appellent une remise en ordre pensée et construite…comme une œuvre cinématographique que nous appelons de nos vœux. Je rappelle un cas de figure historique, celui du cinéaste syrien Mohamed Oussama qui, exilé à Paris pour des raisons politiques, a réalisé un film bouleversant, Eau argentée, sur la violence qui a ravagé son pays. Film monté, en collaboration - virtuelle avec une jeune Kurde de Homs, à partir des vidéos postées sur les réseaux sociaux par des dizaines et des dizaines de « cinéastes » amateurs.

Le Haut Atlas attend son film. 

 

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