La guerre à l’innocence
« La violence engendre la
violence » disait le grand dramaturge grec, Eschyle, l’un des maîtres de
la tragédie. Face à la tragédie qui est devenue un menu quotidien, il sied de
revenir aux fondamentaux. Et la plus grande violence qui s’exerce à l’égard des
victimes de la violence est sa banalisation. Transformer le nombre de victime
en statiques comme les cours de la bourse ; la bourse de l’horreur. Ou
encore revoir les images macabres de la destruction massive en un simple flux,
actualisé au gré des communiqués. Trop d’informations tue l’information. Nous
en avons, chaque soir, que dis-je ? chaque minute, une nouvelle preuve.
Alors que des centaines de milliers d’innocents subissent un déluge de feu et
d’acier, les experts de salon et les stratèges du dernier quart d’heure
spéculent sur l’opportunité d’une offensive terrestre. Le spectacle de la
violence comme une nouvelle addiction. Les mots finissent par devenir des
abstractions. A l’instar de Gaza et des Gazaouis. A -t-on une idée sur ce
qu’est ce territoire, son histoire, sa population…réduits à des indicateurs
anonymes sur la carte des calculs géopolitiques. Oui, Gaza existe bel et bien
comme entité humaine avec une spécificité forgée dans la rencontre violente de
la géographie et de l’histoire. Il faut savoir que cette entité qui vient de
créer l’événement majeur de cette décennie a une superficie d’à peine 365 km2.
Elle porte bien le nom de la bande avec une longueur de 41 kms et une largeur
qui oscille entre 6 et 12 kms. Sur ce morceau de terre entre le désert et la
mer vivent plus de deux millions d’habitants dont plus de deux tiers sont des
réfugiés. C’est la région du monde qui connait une très forte densité avec plus
de 6000 habitants au km2 (contre 450 en « Israël » !). Gaza
connaît aussi une très forte progression démographique ; le taux de
fécondité chez les Gazaouies est de 3,34 contre 2,9 en Israël (c’est une autre
bataille silencieuse qui se déroule à ce niveau !). C’est une population
très jeune comme on le constate indirectement dans les images de la guerre que
nous recevons : 40% des gazaouis ont moins de 14 ans ! Plus intéressant encore, l’âge médian de la
population est de 18 ans. A peine 3 % de la population sont âgés de plus de 65
ans.
C’est cette jeunesse ; ce sont ces
enfants qui sont les cibles des attaques israéliennes : les fanatiques
sionistes étant conscients que c’est là une force de frappe qui va déterminer
et dessiner la configuration de l’avenir.
Ne pas réduire cette enfance
assassinée en une simple donne statistique, il y a un film qui témoigne et du
coup réhabilite l’honneur des images, Born in Gaza de Hernán Zin.
Zin a une carrière atypique. A
l’image de sa biographie elle-même originale : c’est un correspondant de
guerre, écrivain, producteur et cinéaste d'origine italo-argentine basé à
Madrid, en Espagne. Depuis 1994, il a parcouru le monde en réalisant des films
documentaires, en écrivant des livres et en contribuant à des médias.
Born in Gaza (2014) est une œuvre de
témoignage, pleine d’empathie à l’égard du sujet qu’elle aborde, celui des
enfants de Gaza victimes de la guerre d’Israël dans sa variante de juillet
2014. Le style poétique et imagée transcende la dimension journalistique pour
faire œuvre de cinéma. Démarche consacrée par un élogieux accueil critique et
professionnel. Le film a obtenu notamment le Prix Goya du meilleur documentaire.
Le cinéaste arrive à Gaza suite à la
guerre de juillet 2014 qui a laissé 507 enfants morts et 3598 blessés. Il filme
la ville pendant le siège : les pêcheurs n’ont pas le droit d’aller
au-delà d’une zone limitée à 9 kilomètres. Une ville en ruines qui fait de
celles des images d’aujourd’hui du déjà-vu. L’angle choisi est celui de suivre
un groupe de jeunes enfants et comment ils subissent les vicissitudes de la
guerre. Ils sont une dizaine : Mohamed, Oudei, Mahmoud, Soundouss…Rajaf
fils d’ambulancier assassiné par un obus au moment où il est allé sauver des
familles : « oui mon père est un héros plus que cela c’est le héros
des héros ». Dialoguant avec le cinéaste avec une sérénité et faisant
preuve de maturité précoce.
Deux moments forts dans le
film : quand le récit est interrompu pour insérer les noms des enfants
victimes des bombardements comme le générique d’une tragédie.
Et puis la séquence des enfants qui
ont survécu à une attaque sur la plage : avec les mots d’enfants ils
racontent comment ils ont perdu des frères des cousins, des amis…comment ils
portent dans différentes parties de leur corps des fragments de bombes :
« les médecins ont peur, ils n’ont pas voulu m’opérer, j’espère un jour
aller à l’étranger pour l’enlever ce morceau de fer de ma poitrine » nous
raconte l’un d’eux. Un autre montre les doigts de sa main qu’il ne peut plus
faire bouger. Ou encore cette jeune fille qui s’interroger pourquoi on l’a
bombardé alors qu’elle n’a ni armes ni bombes.
Tous.tes sont filmé(e)s avec dignité
et parlent sans haine et sans colère. Comme Bissan qui refuse qu’on lui parle
du drame qu’elle a subi (ses parents sont morts) et jouent avec sa copine. Tous
rêvent d’un métier, d’un rôle : pêcheur, professeur d’anglais…Dans leur
regard une détermination et un amour de la vie.
Dans le film, ils ont entre dix et
quinze ans. C’était en août 2014. Que sont-ils devenus dix ans après ? Des
héros anonymes du 7 octobre 2023 ?
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