La 18ème édition du
festival national du film, qui se termine samedi, a tenu toutes ses
promesses ; dans tous les sens. Elle a été ainsi un excellent indicateur
de l’état des lieux du cinéma, et comme nous l’écrivions, elle a fourni de
nouveaux éléments pour alimenter la grille de décryptage des mutations en
cours. Mais également des indices du malaise qui la traverse et entrave
l’émergence d’un nouveau départ. Autant d’éléments à décortiquer, le moment voulu, pour souligner les promesses
de l’avenir et pointer du doigt les
forces du passé qui l’enchaînent encore.
Une ouverture sous le signe
de l’émotion
D’une manière inédite dans
l’histoire du festival à Tanger c’est la grande salle du centre culturel, au
nom nostalgique, Ahmed Boukmakh, qui a abrité la cérémonie d’ouverture dédiée
exclusivement aux hommages. Aux disparus du cinéma marocain et à certaines figures
encore vivantes du septième art marocain. Faut-il mélanger les deux registres
: en effet on peut s’interroger si on peut gérer judicieusement les deux
séquences en assurant le passage harmonieux d’un moment de recueillement dû à
la mémoire des absents à un moment censé être celui de la reconnaissance et de
la célébration pour des talents qui travaillent pour le cinéma? J’avoue que c’est très délicat et je profite
de l’occasion pour saluer l’excellent travail fourni pour réussir cet exercice
difficile par la maîtresse de cérémonie l’excellente Fatéma Nawali et l’homme de l’ombre, le metteur en
scène qui a travaillé en toute discrétion Adil Fadili. Le point paroxystique de la soirée a été
atteint par l’hommage rendu à J. Dkhissi. La salle lui a réservé un stand up
ovation qui dit toute l’estime que lui porte la profession. On a insisté sur
son rôle de pédagogue, d’homme de théâtre et de grand comédien découvert tardivement
–hélas- par le cinéma. A ces qualités indéniables, je voudrai ajouter un témoignage personnel. J’ai eu la chance de découvrir ce
grand Monsieur au début des années 1970 avec un groupe d’excellents amis :
le dramaturge Yahya Boudlal et la star de la chanson et des écrans Younes
Megri. Venu juste de rentrer de Moscou
où il a fait ses études, j’ai découvert en Dkhissi, un autre talent, celui d’un
grand poète. Invité un jour chez des amis à lui, il les trouve en train de
célébrer l’anniversaire de leur fille. Le cadeau que Jamal lui a offert était
un poème qu’il avait écrit spécialement et spontanément pour elle. C’est cette image
de poète rebelle que je retiens de cette période. Compagnon de route du parti
communiste marocain, J. Dkhissi avait un sens de l’engagement total ;
toute sa vie est dédiée à ce qu’il aime…c’est pour cela que je considère qu’’il
a les armes qui, Inchallah, lui permettront de triompher dans l’actuel combat
qu’il mène contre le mal.
Court deviendra grand
C’est une première impression,
mais je suis du genre à me fier à mes impressions, sur l’ensemble des courts
métrages en compétition officielle vus jusqu’à mercredi après midi, cette
édition se présente comme une rivière qui charrie des pépites. Je cite Bêlons
de Mehdi Azzam qui malgré les limites du scénario est inscrit dans une logique
de cinéma (cadre, mouvements…) empreinte de cinéphilie ; le goût de
Saint-Pierre de Mouatassim Billah qui a réussi à créer un univers atypique loin
des sentiers battus du réalisme facile ; la comédie très rythmée Tikitat
sounima de Ayoub Alyoussofi avec des enfants hyper doués ; Comme un 14 février de Wadii Cherrad sur les
retrouvailles d’un couple ; Non de Dimna Bounailat qui malgré un récit
rocambolesque surfant sur les traumatismes d’enfance, a fourni une construction
de plans relevant pratiquement du baroque riches en couleurs et en signes
donnant au film une dimension picturale indéniable ; et puis le top du top
Un jour de pluie de Imad Badi qui remet les pendules de la compétition à
l’heure zéro, celle de la naissance du cinéma, réhabilitant Lumière conte
Meliès ; faisant œuvre de salubrité publique, en libérant notre regard du trop plein visuel
qui pollue notre champ de vision. Un
cinéma épuré ; avec distance, créant ainsi
un rapport d’échange apaisé avec
le spectateur. Un rossellinien revisité par Ozu
La terre de Hakim Belabbès
Après la bombe de Hicham Lasri,
Headbang Llullaby, qui a été un
véritable coup sur la tête ayant traversé l’horizon du Roxy comme une étoile
filante générant sublimation et émerveillement …on attendait l’événement qui
pourrait l’accompagner dans cette échappée belle. Aujourd’hui, il y a Pluie de
sueur de Hakim Belabess. Désormais, c’est une date. Comme on
parle de La terre de Youssef Chahine, on va parler de La terre de Hakim Belabbes.
Les corps, la terre, les animaux, les éléments naturels, les silences, les
absences, les lenteurs, les hésitations du jeune enfant trisomique… la fantasia
sublimée de la clôture font du film une œuvre épique. Traversé d’une beauté du
terroir avec ses signes et ses rites ancrés dans une culture, et porté par deux
grands comédiens Fatemzahra Bennaceur et Amine Ennaji. Un chapitre de la mythologie marocaine que
rejoint Addour de Ahmed Baidou qui
replace le cinéma marocain face au miroir de l’histoire, celle occultée par
l’historiographie officielle et que le cinéma a le devoir de restituer non pas
sous l’emprise de la seule mémoire, mais comme contribution au récit national. Une dimension
absente de notre filmographie ; entreprise à laquelle le film de Baidou apporte une « proposition
cinématographique » pour reprendre le concept forgé par Moumen Smihi du 44 ou le récit de
la nuit. En restituant le récit de Zayd Ouhad, c’est toute une région, une
langue et une culture qui sont rendues à l’histoire. Une réappropriation
iconique et narrative d’une phase de notre histoire. Un contre-regard comme on
dit un contre-chap par rapport à l’imagerie coloniale. On peut discuter certains choix esthétiques
ou de mise en scène mais on ne peut que
souligner ce geste cinématographique à l’égard de la périphérie. Y compris en
termes de casting avec ses premiers rôles portés par d’excellents comédiens
Atef et Berdouaz.
Un nouveau cinéma
My name is Adil de Adil Azzab et
Le clair obscur de Khaoula Benomar (coécrit avec son époux Raouf Sbahi présent
aussi en compétition officielle avec le séduisant Hayat) s’inscrivent en toute
légitimité dans cette logique de nouveau cinéma. Une catégorisation qui est
aussi une problématisation car leur réussite ouvre aussi la voie à des interrogations
de nature à la fois esthétique et éthique ; voire que les questions
d’esthétiques qu’ils posent sont
surtout de nature éthique. Leur maîtrise
technique n’est pas un signe à lire dans le sens d’une vision mais plutôt à décrypter
comme un leurre. My name is Adil est l’illustration de ce cinéma que je
défends, celui d’un cinéma pauvre, low cost. Epuré, avec un dispositif réduit au strict minimum.
Mais cette démarche original d’un réalisateur autodidacte qui filme son retour
au pays de son enfance a été desservi par une esthétisation des images qui nuit
au propos en le noyant dans un trop plein visuel. Un cinéma formaté, globalisé inscrit
dans le conditionnement esthétique dominant. La séduction qu’il a générée en
est la meilleure illustration.
Le clair obscur, le film de
Khaoula Benomar est le récit d’un non voyant, étudiant en journalisme et qui
est animé du désir de devenir présentateur de Jt mais qui est confronté à
plusieurs obstacles dont son origine sociale modeste et un père démissionnaire.
Un récit de formation qui va être mené avec le soutien plus que généreux d’une
jeune fille amoureuse de lui, issue elle d’un milieu aisé. Le film va alors ouvrir la voie à une lecture
symbolique celle de la bourgeoisie citadine bon chic bon genre qui va guider le
peuple (le coacher) sur la voie d’un nouveau regard. C’est trop beau, trop
clean pour être vrai. C’est un film estampillé société civile où la bourgeoisie
récupère les valeurs humanistes sur la voie d’un monde où les classes sociales
disparaissent sous l’effet de bons sentiments qui transcendent les barrières.
Le film donne l’occasion à Latéfa Aherrare de livrer l’une de ses meilleures
interprétations au cinéma. Pour revenir au couple Sbahi, les deux ayant filmé
Aherrare, (Raouf dans Hayat), c’est Khaoula qui en a tiré le meilleur rendu. Une
question de feeling…ou de coaching (pourquoi tant de fautes dans les
sous-titres en français et le mot cinéma dans l’enseigne de l’institut où
étudie Nour a été retranscrit en tifinagh comme « chinéma »).
Salah Bensalah :
l’homme du match
En attendant de revenir sur les
films que nous n’avons pas encore vu (ceux du jeudi et du samedi) et ceux dont on n’a pas parlé (les
films de Bénani et de Ahed Bensouda notamment), un mot pour saluer des figures
qui ont marqué cette édition, en premier lieu le comédien Salah Bensalah qui
traverse cette édition avec détachement, nonchalance et hauteur marquant de son
empreinte là où il apparaît; avec une très belle chute pour clore Un coup sur la tête du cinéaste qui l'a mis sur orbite, Hicham Lasri
Quant au « documentaire de
Loubna Lyounssi, les miracles d’un serment (sur le calvaire vécu par les
prisonniers marocains dans les geôles
des scissionnistes), nous étions nombreux dans la salle à venir le voir et
saluer les protagonistes dont certains
étaient présents, malgré la concurrence d’un historique Barça-Psg. Le film
mérite une autre place que d’entrer en concurrence avec les autres films. Le
sujet est autrement plus délicat, plus sensible pour le livrer à l’appréciation
d’un jury censé travailler sans pression. Il mérite d’emblée un prix
honorifique, une projection en clôture
ou en ouverture mais pas en compétition officielle ; en outre, ces
« héros sans gloire » vont-ils concourir pour le prix
d’interprétation masculine ? Dans
ce cas, moi je le leur accorde sans hésitation et ni Aziz Hattab ni Amine Naji (excellents
par ailleurs) n’y verront une injustice. Car la vraie on connait qui l’a
subie…et continue à la subir.
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