Quelles tendances après Tanger
Après les polémiques et les
commentaires qui ont accompagné, en
toute logique, l’organisation et/ou le palmarès de la 18ème édition
du festival national du film, il est utile d’aborder un autre niveau du
débat : quelles sont les grandes tendances qui traversent le cinéma
marocain aujourd’hui à la lumière des 15 longs métrages présentés lors de cette
édition ?
Une question de nature
stratégique qui prend toute son acuité eu égard aux mutations en cours et qui
ont donné leurs premiers signes lors des éditions précédentes. Il y a en effet
en premier lieu la mutation générationnelle qui a mis au devant de la scène un nombre de plus en plus important de nouveaux
cinéastes ; des jeunes réalisateurs qui ont entamé la grande aventure du
long métrage. Une tendance « biologique » confirmée avec la dernière
édition du FNF où pratiquement 13 réalisateurs sur 15 appartiennent à la
génération des années 2000 et plus de la moitié appartiennent à l’actuelle
décennie. Ce sont alors les enfants de la télé et du numérique qui prennent
d’assaut l’expression cinématographique marocaine aujourd’hui. Trois paramètres
me semblent orienter leur démarche. Ce sont des réalisateurs qui sont nés
pratiquement avec la fin des salles de cinéma.
On peut affirmer sans grand risque d’erreur que nous sommes en présence
d’une génération post-salle de cinéma qui a découvert le cinéma à travers
d’autres supports ; imprégnée d’une cinéphilie « sauvage » avec une consommation effrénée des images,
sans mise en perspective historique et pédagogique.
C’est la génération de la
youtubisation des images en termes de réception et de production. L’horizon
public du film pour ces nouveaux cinéastes est la toile avec le souci non pas
la notion de « spectateurs » qui a disparu avec la salle mais le
nombre de « vues » et de « clickers ». A Tanger, certains films portent déjà
l’empreinte de cette « esthétique » dont le paradigme fondateur est
le visuel : le cinéma de l’image contre le cinéma du plan. Les images
soignés ; des drames destinés à ratisser large ; un jeu de
comédiens proche des sitcoms. D’une
manière générale, la tendance « téléfilm » que nous avons relevée
lors des deux dernières éditions se confirment et se renforcent avec l’arrivée
des producteurs indépendants qui ont fait leur preuve dans la production pour
la télévision (la productrice de l’émission Moudawala).
A un autre niveau, on peut parler
d’une nouvelle géographie du cinéma marocain. Il y a un remodelage de la carte du
cinéma avec le déplacement de son centre de gravité qui ne réside plus à
Casablanca. Si la métropole blanche a été pendant longtemps le centre à la fois économique et dramatique pour les
récits cinématographiques des années 1990, on assiste aujourd’hui à l’émergence
de nouveaux lieux de production de discours cinématographique avec une présence
de plus en plus importante de Rabat. Cela ne va pas sans des conséquences
stratégiques au niveau de l’écriture, de
la diégétisation de l’espace et le recours à de nouvelles figures
cinématographiques au niveau des décors, des accessoires et des symboles… comme
au niveau des personnages et de leur référentiel linguistique et culturel.
C’est une géographie qui
s’élargit également à de nouvelles contrées comme la ville de Fès, le Rif, la
plaine de Tadla et le Haut Atlas.
Au niveau de genres, le scénario
marocain reste confiné dans les structures qui marchent : la comédie
sociale et le mélodrame. Le réalisme étant la voie qui reste dominante.
Il y a des films qui continuent bien sûr à
défendre une ligne « auteuriste » avec toutes les conséquences
esthétiques et dramatiques qui en découlent. Si Ahmed Maanouni et Hamid Bénani
auteurs historiques ont changé de fusil d’épaule (la comédie pour le premier,
le mélodrame pour le second) avec de fortunes diverses, Hicham Lasri et Hakim
Belabbès ont fait preuve de cohérence et de continuité. Le cinéaste
casablancais restant fidèle à sa démarche exploratrice à la fois du langage
cinématographique et de l’imaginaire d’une époque, le fils de Boujad met son
art au service des petites gens dans un hymne à la terre et à ses travailleurs.
Les deux cinéastes s’imposant d’emblée comme des valeurs sûres d’une
cinématographie sous de multiples influences.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire