C’est une pratique courante
dans les pays où le cinéma obéit à un fonctionnement institutionnel aussi bien
au niveau de son industrie que des discours qui l’accompagnent : les fins
d’années sont l’occasion d’établir des palmarès, des bilans ; la presse
généraliste et spécialisée jouent un rôle majeur dans ce sens en confrontant
sans cesse le cinéma à un regard évaluatif à des exercices d’appréciation qui
font partie de la règle du jeu. Quel est le meilleur film de l’année ?
Quels sont les films marquants de la jeune histoire du cinéma
marocain ?...Des interrogations qui sont souvent prétexte à un travail de
mémoire, de déchiffrement dont les retombées pédagogiques sont immenses pour un
cinéma qui souffre déjà d’un déficit de légitimité culturel. Cela offre la possibilité aux critiques, aux
cinéphiles d’affiner leur approche, de réfléchir en perspective dans une vision
analytique.
Peut-on dans ce sens poser la
question du chef-d’œuvre au cinéma marocain ? Peut-on parler d’un film –
ou des films- chef (s)-d’œuvre au
sein de la filmographie marocaine ? La question est pertinente, elle a été
largement abordée sous d’autres cieux, et elle m’a été inspirée par l’appel à
contribution lancé par le laboratoire littérature, art et société de la faculté
des lettres de Rabat dans la perspective d’un ouvrage collectif co-dirigé par
les professeurs Youssef Wahboun et Hassan Moustir. Une note importante de présentation préparée par mon ami Wahboun
situe la problématique et propose le cap : « Qu’en est-il du chef-d’œuvre dans la
culture artistique et littéraire marocaine ? Il est à la fois tentant,
ambitieux et légitime de poser la question, plus en vue d’inviter à considérer
la création au Maroc à l’aune du « grand contexte » qu’en raison d’un souci de
valoriser la production intellectuelle nationale ou d’un désir de primauté au
sein d’une question à ce jour jamais formulée scientifiquement ».
Pour le cinéma, la
problématique est on ne peut plus pertinente eu égard justement à ce que Kudera
cité par Wahboun appelle « le grand contexte ». Il est vrai que le
cinéma développe autour de lui un discours inflationniste qui s’accapare
souvent l’espace public. Il n’y a rien à dire le cinéma est omniprésent même
sous des formules chaotiques. On lui reconnaît même la primauté d’avoir abordé
certains sujets tabous et avoir suscité des polémiques. Et en toute objectivité,
on peut relever que durant les deux
dernières décennies, le cinéma est devenu la première forme d’expression
artistique de l’imaginaire collectif de la société marocaine.
Ce cinéma a-t-il alors produit
son chef-d’œuvre ? Y a- t-il un
FILM marocain qui réunit autour de lui un large consensus ?
Pour enrichir le débat et
l’élargir je n’ai pas hésité à impliquer dix de mes amis critiques et
cinéphiles pour leur demander quels étaient les cinq meilleurs films, de leur
point de vue, du cinéma marocain et quel était LE FILM qu’ils considèrent comme
le chef-d’œuvre. Les résultats de l’enquête sont édifiants…mais je ne vais pas
les divulguer tout de suite. Il y a d’abord quelques préliminaires
méthodologiques à régler. Au niveau sémantique d’abord : la notion de
« chef-d’œuvre » ne brille pas
par sa précision ; elle est plutôt d’une grande élasticité qui ne facilité
pas la tâche d’une catégorisation dans un domaine aussi complexe que celui de
la production artistique et notamment cinématographique. Même le recours au
dictionnaire n’est pas d’u grand secours. À l’origine, chef-d’œuvre renvoie à
un ouvrage que devait réaliser un artisan pour recevoir la maîtrise de sa corporation.
J’aime bien cette définition et il y a des mots à souligner :
« artisan », « maîtrise », « corporation ». donc
la finalité de l’ouvrage est une reconnaissance des pairs.
Il y a aussi l’usage courant où
la notion renvoie à une œuvre d’art, littéraire ou non qui touche à la
perfection. Là on passe à un niveau de jugement subjectif. Victor parle à
propos de la cathédrale d’Amiens de « chef-d’œuvre prodigieux ».
A partir de là et par
extension, « chef-d’œuvre »
laisse comprendre à propos d’un œuvre
d’un travail, ce qui est parfait en son genre; ce qui témoigne
d’une parfaite réussite.
Dans sa note de présentation
Youssef Wahboun cite les équivalences du
vocable « chef-d’œuvre » dans les autres langues
européennes : masterpiece, capolavoro, obramaestra…quid de la langue arabe ?
J’ai beau chercher, il n’y a pas un équivalent dans la langue arabe littéraire.
Cette absence ou ce silence est déjà révélateur… Par contre dans le parler
marocain, il y a une expression composée qui peut signifier chef-d’œuvre
« rass-souk », littéralement : « le top du marché ». C’est
une expression qui illustre très bien qui sous-tend la notion de chef-d’œuvre à
savoir la perfection, la rareté, la valeur exclusive. Mais trouver le mot ne
résout pas l’équation : quels sont les critères pour désigner une œuvre
comme chef-d’œuvre comme le top du marché ? à suivre…
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