jeudi 12 janvier 2017

Basta de Hassan Dahani par Bakrim

Ça suffit !
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Plusieurs raisons ont nourri ma motivation pour aller voir le film de Hassan Dahani, Basta, actuellement à l’affiche sur les écrans du Royaume.




Certes, cela s’inscrit dans la logique des choses, une évidence pour un critique de cinéma de suivre les sorties et les nouveautés. C’est sa manière à lui d’être à jour… Néanmoins dans ce cas de figure précis, la motivation est portée par d’autres considérations, j’en cite trois. C’est le premier long métrage de Hassan Dahani dont je connaissais les courts métrages notamment un certain Le pain amer qui avait instauré une sorte d’attente par les promesses qui le traversaient, la ligne socio-morale choisie par le réalisateur, son souci de respect pour les comédiens…C’était court mais ouvert sur de grandes possibilités.
Deuxième raison, le réalisateur de Basta est aussi enseignant de cinéma ; il n’hésitait pas par exemple à venir dans un festival de cinéma accompagné de ses étudiants. Voir son premier long métrage c’est une manière de vivre le passage de la théorie à la pratique. Cela ne veut rien dire, il y a des centaines de professeurs de danse qui ne pratiquent pas cet art comme il y a des centaines d’enseignants de scénarios qui n’en ont jamais écrit un. Il n’empêche que cela ne manque pas d’intérêt de voir  un théoricien passer à la pratique. D’autant plus que  Dahani lui-même avait suivi un enseignement de cinéma au pays  du cinéma par excellence, les USA.
Le film fait partie en  outre des rares films  recalés lors de la sélection opérée pour le festival national du film de Tanger, édition 2016. J’ai été curieux alors d’aller découvrir un film refusé, ayant déjà ma tête, pour les avoir déjà vus, le souvenir de la qualité à peine moyenne sinon médiocre des films retenus pour la compétition officielle 2016. Edition qui avait consacré le film A mile in my shoes de Said Khallaf, (un autre anglo-saxon !) dont Basta de Hassan Dahani est un cousin très proche en termes d’écriture et de choix esthétiques.
Bref…C’est pendant le week end que je suis allé voir le film, dans une belle salle de Casablanca, une salle qui fait encore de la résistance. C’était la séance de 17 heures, moment idéal pour une soirée cinéma surtout par un samedi froid.  Première impression : les lieux sont déserts, la salle quasiment vide. A qui la faute ? Aucun de travail de promotion n’accompagne le film (en dehors des spots télévisés noyés dans un tunnel de pub). L’affiche du film est peut-être aussi à incriminer : elle n’est ni lisible, ni visible. Que sont devenus les temps où la sortie de chaque film marocain était vécue comme une fête ? Nous sommes en train de vivre la fin du cinéma comme rite social collectif ; peut-être même la fin du cinéma tout court. Et tout simplement.

Et pourtant…Basta est porté par plusieurs ambitions. D’abord, le pari de réussir un film choral ; polyphonique ; en effet,  le scénario fait croiser plusieurs destins :  Naoufel, jeune versé dans la délinquance ;  sa famille ; leur voisin, le policier ; les voisines de celui-ci notamment Selma l’activiste d’un mouvement social (le 20 février ?) ; le baron, quasiment mafieux d’un trafic clandestin ; la petite amie de Naoufel, Souad et sa famille au bidonville…Il y a du Paul Haggis (masterclasse à Marrakech 2016), celui de Collision et sa narration éclatée dans le film de Hassan Dahani : des accidents, des délinquants, des trafics…Il y a aussi de L’immeuble Yakoubian de Marwa Hamed : la quasi majorité des personnages de l’histoire habitent le même immeuble.
Bien sûr, pour un cinéphile local, la scène d’ouverture avec le guet apens tendu par la jeune fille qui drague un adulte ne peut ne pas rappeler Zéro de Lakhmari comme la scène de la course poursuite nocturne moto-auto des enfants de la bourgeoisie ne peut ne pas rappeler Marock de Laila Marrakchi.
Comment Hassan Dahani a géré ce patchwork ? Très vite, on sent un penchant- une  influence de la formation américaine ?- à filmer les grands espaces, les extérieurs, les voitures. Mais  tout ce programme souffre de l’absence d’une vision cohérente pour l’ensemble. !  Un exemple qui trahit les sous-entendus contradictoires de cette démarche. Tout cinéaste est confronté au dilemme permanent : que montrer ? Que ne pas montrer ? Dahani a fait le choix de montrer les images de violence et de zapper les scènes intimes. Dans la gestion des images du couple Naoufel-Souad on voit Naoufel frapper violemment son amie mais on ne les voit jamais se toucher ou faire l’amour ou être ensemble au lit. Dès qu’il s’approche d’elle, la caméra choisit de prendre de l’air. La grossesse et l’enfant qui vont suivre sont laissés à l’imagination du spectateur ! Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais une fois qu’elle est inscrite dans une logique d’ensemble.
Je n’aime pas refaire le film ; c’est un exercice que j’abhorre. Mais ici je suis tenté de dire que Dahani est passé à côté d’une excellente idée autour de la réconciliation du père et du fils. Ce road movie original de Rabat à Dakhla en voiture aurait été l’occasion d’une redécouverte de cette filiation ratée (un très beau plan à la station d’essence nous montre le père regarder Naoufel, son fils comme s’il le découvre pour la première fois) ; le moment d’une rédemption et in fine d’une réconciliation une fois arrivée chez cette sympathique famille sahraouie et le cérémonial délicieux du thé.  Quelle belle métaphore de faire de la ville emblématique de la réconciliation du Maroc avec son sud retrouvé, le lieu des retrouvailles entre le père et le fils…

A défaut de réussir un Paul Haggis, il n’y a pas mieux qu’un Frank Capra !
Mais le scénario a choisi une autre voie, celle d’épouser la tendance en vogue au sein du cinéma marocain ; celle de l’impasse (du bocage ?) entre les générations et du coup le film se termine sur des liquidations physiques, sur de la violence inouïe. Une sorte de sentence morale qui punit et élimine tous les mauvais, tous les méchants ; sans lueur d’espoir…Le scénario nous a refusé l’issue de l’idylle entre  le policier honnête et bénie de sa mère avec sa voisine, la militante du 20 février. Une fête de mariage pour clore ce drame  aurait été un formidable clin d’œil à l’actualité du pays post 2011.

Mais, il y a trop de si….

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