L’icône d’une ville sans mémoire
« La capitale économique, la métropole blanche, la
citadelle ouvrière »…d’emblée le discours dominant sur Casablanca
l’inscrit dans un devenir de modernité et trahit son déficit de mémoire. Une
cité sans histoire ou plutôt qui écrit son histoire « en direct », en
mouvement traduisant la dynamique de tout un pays. Ville de commerce, de
l’industrie, de la bourse mais également des émeutes et des mouvements sociaux et civiles. Ses origines
amazighes, on disait Ann Fa, relèvent de l’archéologie et se perdent dans les
vestiges d’un passé à réinventer…Et pourtant un quartier se distingue dans
cette uniformité imposée, le Habous.
Les urbanistes le situent parmi les trois grandes composantes
architecturales de la ville : La Medina, accolée au port et seule trace
historique précoloniale ; la ville moderne, celle du 20ème
siècle et du capitalisme périphérique et le Habous appelé paradoxalement
Nouvelle Medina. Car il n’est pas
intégré dès sa conception à la ville européenne et il ne reprend que
partiellement le schéma d’une médina à l’instar de celle de Marrakech, de Fès,
d’Essaouira. Un espace de l’entre-deux, en somme, forgeant son originalité par
son architecture néo-coloniale portée par un principe, celui de respecter la
mémoire de l’autre, en l’occurrence celle des « indigènes ». Une
médina aux portes des banlieues populaires et jouxtant le palais royal et le
quartier résidentiel du Méchouar. Mais très vite cette dimension traditionnelle
a été investie par la population casablancaise qui l’a érigée en un lieu de
commerce, de recueillement et de villégiature. C’est le centre apaisé d’une
ville bouillonnante où se côtoient le sacré et le profane ;
le commerce, la gastronomie et la culture.
Sa structure spatiale inspirée des villes impériales fait du Habous
que ce n’est pas un lieu pour circuler mais pour déambuler ou plutôt
« médiner » pour user du joli concept forgé par Feu Abdelwaheb
Meddeb. Pour flâner, tout simplement. Ce n’est pas un hasard si les
casablancais l’ont élu quasiment en un lieu de « pèlerinage » pendant
le mois de ramadan, joignant l’utile et l’agréable, notamment pour ceux
arrachés à leur médina d’origine…C’est encore là où le touriste pressé qui n’a pas le temps
de visiter le pays profond, vient pour sa dose d’exotisme à portée de
croisière.
Le Habous c’est aussi une structure portée par une géométrie
« féminine » combinant intérieur et extérieur, fermeture et
ouverture. Un espace pudique, voilée, les maisons sont tournées vers le
patio ; les fenêtres sont rares et les portes très petites et hermétiques.
C’est l’espace du secret et de la discrétion renforcée par des ruelles qui
tournent sur elles-mêmes et des arcades qui réduisent l’ampleur de l’espace.
Bref une ambiance expressionniste qui favorise le jeu de lumière et d’ombre…on
n’est pas surpris alors si les cinéastes marocains (Lagtaâ, Benjelloun…) ont en
fait un « acteur » majeur de leur film. Le Habous constitue une
dramaturgie qui peut se lire dans sa richesse visuelle et fragmentée comme une
métaphore du récit des personnages
condamnés à l’errance, à la quête.
On peut y accéder par plusieurs entrées. Selon le programme
que le visiteur a établi pour sa visite. Il y a un côté gastronomique ;
les friands des brochettes au feu de bois sont largement servis…il y a une
entrée commerciale donnant accès aux marchands des costumes traditionnels, très
prisés lors des fêtes religieuses et il y a une entrée intellectuelle du côté
des librairies et des maisons d’édition. On peut affirmer sans risque d’erreur
que le Habous compte la plus grande concentration de livre au mètre carrée. On
peut ainsi acquérir le dernier livre rare, siroter son thé à la menthe au café
qui fait le coin face à la grande place .verdoyante…qu’il faudrait certainement
interdire aux véhicules ; mais on est à Casablanca.
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