L’année
qui vient
Pour
un cinéma pauvre et populaire
Parler, au terme d’une
année qui s’achève, de l’année qui vient est déjà une forme de bilan.
Accablant. Une manière de dire qu’il était temps de passer à autre chose. Et
pour dire les choses autrement que par le clin d’œil à Feu Khatibi, l’année
2015 ne sera pas marquée d’une pierre blanche dans la jeune et néanmoins
tumultueuse histoire du cinéma marocain. Une année à oublier et vite…
D’abord en termes de
production, l’année 2015 a anticipé la sécheresse qui s’annonce pour l’ensemble
du pays. Ce fut une année des vaches
maigres. Déjà le festival de Marrakech a trouvé toutes les peines du monde pour
honorer le cinéma du pays hôte. Heureusement, le Maroc ne se réduit plus à sa
simple dimension physique…les cinéastes de la diaspora ont été appelés à la
rescousse notamment pour la compétition officielle avec L'insoumise de Jawad
Rhalib…avec les conséquences que l’on sait.
Pour les organisateurs du festival national du film, la production met
du pain sur la planche. Alors qu’ils ont instauré dès l’année dernière le
principe de la sélection pour prendre part à la compétition officielle du FNF,
cette année le nombre de films disponibles va-t-il permettre de reconduire
cette procédure, juste dans son principe mais bâclée dans son
application ? Mais ce n’est pas le seul dilemme qui se pose aux
organisateurs, il y a également la question du lieu qui abritera la prochaine
édition. Certaines sources avancent que la question de quitter Tanger a été
tranchée et que les partisans du « déménagement » ont réussi à
convaincre le ministre de tutelle dans ce sens. Reste à déterminer la nouvelle
ville destinataire …Le lobby fassi semble marquer des points. Ce sera la
première information à confirmer avec le nouvel an.
Mais tout cela relève
d’un débat de conjoncture, la production reprendra son rythme de croisière
–déjà 2016 s’annonce prometteuse- alors que le vrai débat reste à mener sur le
devenir structurel du cinéma marocain. A
commencer par ce qui fait sa base logistique, les salles de cinéma. Le discours
officiel croit trouver la panacée en avançant « qu’aucune salle n’a été fermée
depuis 2012 ». Nous aurions plutôt aimé entendre parler de combien de
salles ouvertes. Si les salles ne ferment plus, c’est pour la simple raison
qu’il n’en existe plus, le dernier carré qui continue à faire de la résistance
concerne à peine neuf villes sur l’ensemble du pays. Bientôt, la salle
deviendra un simple souvenir pour la génération de plus de 50 ans ; les autres ayant grandi dans un
environnement où la salle est un lieu inconnu. L’espoir pour l’année qui vient
est de voir le démarrage une vraie politique publique de réhabilitation et de
construction des salles de cinéma. Les idées et les propositions
existent ; il reste la politique.
L’autre débat majeur
concerne cette fois le cinéma lui-même. L’affaire Much loved aurait pu donner
l’occasion à un débat serein sur le cinéma que nous voulons, d’une manière
sereine loin des dogmes et des interdits. De discuter de sa place au sein de la
société ; de débattre de ses choix artistiques et esthétiques. Il est
consternant de relever le tassement « esthétique » de ce cinéma ;
il y a comme une sorte d’économie politique narrative générée par le fonds
d’aide qui fait que ce cinéma donne l’impression de dormir sur ses lauriers
surfant sur les mêmes codes destinés au succès facile et souvent démagogique
(mélodrame social, dialogues d’un naturalisme primitif et image standards et
voire stéréotypées…). La velléité d’un renouveau par le documentaire est formatée
par la télévision et le discours officiel…
Nous plaidons pour un cinéma pauvre et
populaire où le documentaire jouerait une fonction d’avant-garde, éclairant à
la fois notre rapport au monde et notre vision du cinéma. L’année qui vient
sera-t-elle celle de cette rupture esthétique et d’un renouvellement des idées et des hommes ?
Le
film
La nuit entr’ouverte
de Tala Hadid : le cinéma d’un monde globalisé
Itar Lail est le premier
long métrage de Tala Hadid, jeune cinéaste qui a déjà brillé avec ses courts
métrages, notamment le très beau Tes cheveux noirs Ihssane. Le film est le
fruit d’une longue recherche et méditation sur des questions qui traversent
l’imaginaire contemporain. Un film sur la rupture (la jeune fille Aicha
l’orpheline) la quête et l’errance (Zakaria à la recherche d’un frère
disparu) ; un monde globalisé où les lieux temporels et spatiaux n’ont
plus de sens. C’est un double voyage que propose Tala Hadid ; un voyage
vers l’autre qui est en fait un voyage vers soi.
Le film a obtenu le
Grand prix du festival national du film ; il a en outre bénéficié d’une
discrète distribution commerciale dès le début septembre. Les chiffres du box
office publiés par le CCM l’accréditent d’une performance plus qu’honorable
dans le contexte marocain où le parc se
rétrécit à vue d’œil et où le système art et essai susceptible de favoriser le
destin public est pratiquement inexistant.
Face à un marché dominé
par les succès de la comédie populaire, la présence de La nuit entrouverte est
une forme de contre-champ cinéphile au cinéma de Ferkouss et Saïd Naciri. Au
cinéma aussi, le pluralisme est une vertu à entretenir.
Pour le cinéma
international, les écrans marocains ont eu notamment à vibrer pour Mad
Max : fury road de George Miller ; une séquence humaniste et écolo de
la célèbre saga. Les derniers jours de décembre ont vu débarquer l’événement
international, Star wrs, le réveil de la force. Mais aucun bilan crédible ne
peut être établi à ce niveau tant la
distribution maintient le marché local en dehors de la diversité de la
production proposée sous d’autres cieux.
Le
cinéaste
Mohamed Mouftakir :
d’un prix, l’autre.
C’est une année faste
que vient de vivre l’enfant béni du
célèbre quartier casablancais hay Mohammadi. Mohamed Mouftakir a sillonné le
monde avec son deuxième long métrage, L’orchestre des aveugles, remportant de
nombreux prix. Interrogé sur le nombre impressionnant de trophées qu’il ne
cesse d’accumuler, Mouftakir précise qu’il les offre à ses amis. Une culture de
partage à l’instar de la philosophie qui traverse son film. Le succès a ainsi
commencé très tôt avec l’année écoulée en remportant à Tanger, le prix du
« meilleur réalisateur », appellation bizarroïde car la tradition veut
que l’on parle plutôt de la meilleure réalisation. Ce n’est pas grave puisque
le trophée va atterrir chez le même destinataire qui par son humilité naturelle
refuse d’entrer en concurrence en ces termes avec ses collègues.
L’année se poursuite
sous le même bonheur : ce sera ensuite toute une série de récompenses à
Oran, Khouribga, Bruxelles…terminant l’année en apothéose à Carthage avec le
prestigieux Tanit d’or du meilleur film arabo-africain, dans une session des
JCC riche en films de qualités.
Le
comédien
Younes Megri :
l’humilité des grands
Un nom qui est en soi
tout un programme artistique : Younes appartient en effet à cette grande
famille d’artistes qui a donné au répertoire de la chanson marocaine son ADN
moderne. Chanteur, compositeur doué et performant, Younes va réussir à donner à
sa carrière artistique une autre dimension en arrivant au cinéma comme acteur
et comme compositeur de musique. Il diversifie les rôles, jeune rebelle, flic,
fonctionnaire…la palette de son interprétation s’enrichit au fur et à mesure de
son travail avec différentes cinéastes. Avec L’orchestre des aveugles, il
atteint un haut degré de maturité dans un rôle de composition inédit. Son professionnalisme
est porté par des qualités humaines exceptionnelles. Il est sans conteste
l’artiste de cette année.
La comédienne
Noufissa Benchahida, la
passion discrète
Elle est à l’affiche dans
le nouveau film de Saïd Khellaf dans un rôle qui dit bien la personnalité de
cette grande actrice : généreuse et disponible. Elle est constamment en
écoute, toute ouïe pour capter les péripéties
de la vie broyée de Saïd…
Elle entame sa carrière
par le théâtre, les Marocains la découvrent dans une série policière à la
télévision. Elle arrive avec discrétion sur grand écran, préférant attendre son
heure sans précipitation. En 2015, Driss Lamrini lui offre le rôle titre du film Aïda : « je me suis
mise à la place de mon personnage, Aida, pour défendre toutes les femmes
atteintes de cancer”, dit-elle.
Noufissa Benchehida,
indique que ce rôle lui a demandé “d’avoir beaucoup plus de concentration et de
sensations”, notant, toutefois, qu’elle adore le personnage d’Aida. Gageons que
ce beau regard illuminera encore les écrans du cinéma qui vient.
L’événement
Les semaines du film
européen : le best of cinéphile
L’événement est né il y
a 25 ans ; oui cela fait près d’un quart de siècle que l’Union européenneorganise
avec des partenaires marocains, les semaines du film européen. L’idée est
simple : il s’agit de programmer sur les écrans de quelques villes
marocaines, une sélection de films produits ou copropduits par les pays de
l’Union européenne. Comme toute idée, celle-ci est passée par des moments
forts, des traversées de désert…Mais le fait est que cette année, la semaine
mérite bien de figurer dans notre palmarès. D’abord pour saluer cette
persévérance ensuite pour dire et souligner la qualité et la cohérence de la
programmation. Il suffit de dire que désormais les films primés dans les grands
rendez-vous européens sont proposés aux cinéphiles du Maroc (nuance
triste : le carré des cinéphiles locaux fréquentant les salles de la
semaine est de plus en plus réduit). Cette année nous avons eu La palme d’or
avec Dheepan ; Mia Madre son principal concurrent…Mustang, The lesson et
tant d’autres chefs d’œuvre qui ont nourri des débats passionnés parmi le
public.
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