Les
voix de la jeunesse, les questions du documentaire
Zakia Tahiri est
aujourd’hui une cinéaste confirmée. Elle a réalisé des longs métrages pour le
cinéma et la télévision au Maroc et en France. Elle a démarré sa carrière en
tant que comédienne. Les cinéphiles gardent en mémoire notamment son rôle dans
Badis de Abderrahmane Tazi (1989) et dans Porte sur le ciel de Farida Benlyazid
(1988).
Cinéaste, elle a tout de
suite inscrit son travail dans une ligne de conduite claire ; celle d’un
cinéma grand public, porté par une thématique sociale forte, abordée dans un
genre plutôt comédie. Elle travaille en toute complicité avec son mari Ahmed
Bouchaala (scénariste et réalisateur).
A la télévision, elle alterne téléfilms,
séries et documentaires. Ce dimanche elle présente dans le cadre de la case
« documentaire » de 2M des Histoires et des Hommes son nouveau film
Chabab ! C’est un voyage de près de 70 minutes dans la planète jeunesse,
la jeunesse marocaine ici et maintenant. C’est un voyage dans la géographique
physique du pays, on va de Nador à Guelmim ; géographie sociale milieu
urbain, rural, aisé, modeste… ; géographie linguistique on parle arabe français
et amazigh. Des jeunes des deux sexes, âgés entre 18 et 25 ans nous livrent un
discours sur des questions qui traversent leur horizon social et
culturel : l’avenir, l’école, la politique, la religion, l’amour…
Le dispositif filmique
adopté par Zakia Tahiri est celui de la prise de parole ; les
protagonistes défilent devant la caméra comme des interviewés, réagissant au
fur et à mesure des thématiques abordés. Cependant cette prise de parole est insérée
dans une mise en situation (mise en scène ?) qui vise à contextualiser le
propos, à lui conférer une charge émotionnelle. La caméra de Zakia Tahiri capte
ainsi la voix, le corps et le regard. Elle n’hésite pas à les prendre de près; de très d même comme pour mieux les écouter. Servie par une belle image dirigée
par le jeune et très doué Ali Benjelloun (oui, c’est le fils de l’autre
Benjelloun, Hassan).
Deux scènes me semblent
fondatrices des choix qui donnent une touche particulière au film. La scène
d’ouverture. On découvre, un jeune en train de se réveiller, encore dans son
lit de fortune (un salon à la marocaine). Une radio émet une voix qui parle de
la jeunesse ; on imagine que c’est un expert. Un jeune (celui que l’on
voit) est muet. On parle pour lui. Il entame un mouvement, se lève enlève un
oreiller qui cachait une lucarne ; la chambre reçoit un rayon de soleil.
Tout le projet du film est là : on va passer de l’obscurité à la
lumière ; de la parole médiatisée (au sens étymologique du mot, qui
implique séparation, relais, intermédiation) à la parole im-médiate ; sans
médiation. Le discours sur les jeunes ne saurait remplacer le discours des
jeunes sur eux-mêmes. Le programme narratif du film est tracé. Il va à la
rencontre de la jeunesse pour capter sa parole.
L’autre scène, plutôt
séquence, est celle qui à la fin synthétiser les interventions des
protagonistes en les filmant en marche : de la parole on passe à l’action.
Chacun selon ses convictions prend son chemin/destin. Il/elle marche. La caméra recule, le filme en plan large et
l’accompagne avec discrétion cette fois.
Le voyage prend fin et le
générique monte en ramenant cette fois une autre série d’interrogations, cette
fois autour du genre filmique lui-même. Est-ce un documentaire ? Est-ce un
long reportage ? Est-ce de la fiction documentée ? Quelle part de
mise en scène dans la circulation de la parole ? Comment il crée de
l’émotion (le zoom sur les larmes du père) A quel degré le film a –t-il été
marqué par le protocole esthétique que lui impose la commande de la chaîne,
notamment dans sa construction temporelle ?
Ma première réponse, à
chaud, est que Chabab se situe quelque part au-delà du reportage et en-deçà du
documentaire. Celui-ci dans son contrat avec le réel est tributaire de la
durée. La durée qui permet à quelque chose de s’installer et de se transformer.
Ce faisant, elle contribue à la transformation du spectateur et de son regard.
Or Chabab dans son ambition d’embrasser large à manquer de durée (effet
télévision). Le dispositif mis en place rappelle ce formatage exercé par les
bailleurs de fonds, ces fameux guichets qui financent les films
« documentaires » pour la télévision. Beaucoup de liens de parenté existent
d’ailleurs entre Chabab et des films similaires : ces deux dernières
années, on a vu arriver toute une vague de films sur la jeunesse, financés par
un fonds Qatari, le Doha Institute et dont certains ont été repris par
l’émission de Réda Benjelloun sur 2M. Des films trop biens écrits, images
lisses, référentiel social sensationnel donnant l’illusion d’une liberté de
ton, mais en absence d’angle politique au bénéfice d’un certain nihilisme
éthique…
Reste une marge minime de
manœuvre où agit l’intelligence du cinéaste. A l’absence de l’effet
documentaire répond « l’effet auteur ». Un droit que Zakia Tahiri n’a
pas manqué d’exercer. Les images les plus authentiques du film ont été celles
qui ont échappé au flux, comme ces plans silencieux d’un paysage, d’un horizon,
d’un visage et des mains qui cherchent un mot ou une expression. Par le recours aussi à la figure du montage :
une image vient doubler ou corriger une autre image ; comme pour réagir à
un propos/cliché sur la faiblesse physique des femmes, l’image qui suit montre
une jeune s’exerçant avec brio aux arts martiaux. Ou tout simplement encore quand la caméra qui
capte les corps, parfois gauche, parfois élégant et qui en disent plus long que
le verbe.
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