le centenaire d'Orson Welles
La planète cinéphile célèbre
le centenaire (06/05/1915- 10/10/1985) de celui qui passe pour le génie du
cinéma au 20ème siècle : Orson Welles. Un anniversaire qui
interpelle aussi le monde du cinéma au Maroc. Et ce à plusieurs titres. C’est lui, en effet, qui n’a pas hésité en
1952 à présenter son film, Othello, à Cannes sous les couleurs marocaines.
Othello obtint la Palme d’or permettant au Maroc de figurer dans les annales du
prestigieux festival français. Un geste qui dit parfaitement l’homme. Face aux
difficultés qu’il avait rencontrées à tourner le film, notamment sur le plan
financier, il décida de dédier le résultat final au pays qui avait abrité le
tournage. Un tournage tumultueux qui a duré près de deux ans, et le montage lui
prit un an. C’est la ville d’Essaouira
qui a donné ses décors pittoresques et ses paysages brumeux au récit du héros
maure, à son récit shakespearien censé se dérouler à Chypre. Une plaque
commémorative de ce passage historique se trouve dans une place de la ville. La
cinéaste marocaine Selma Bergach, n’a pas hésité dans son premier long métrage,
La cinquième corde à faire dans une scène du film un clin d’œil-hommage à cette
séquence historique.
Le pionnier du cinéma marocain Mohamed Osfour
a fait partie de l’équipe technique du film à la fin des années 40. Et le
cinéaste marocain Latif Lahlou nous a rapporté qu’écolier il avait assisté,
accompagné de ses camarades de classe et de leur maître cinéphile à El Jadida,
au tournage d’une scène du film (à la Cité portugaise) ; précisant même
que cette ambiance de tournage lui avait donné l’envie de faire du cinéma plus
tard. C’est pour dire que cet anniversaire est aussi un événement marocain.
Dommage qu’aucune chaîne de télévision ni un ciné-club n’aient pensé à
programmer une séance spéciale d’Othello en souvenir de cette belle histoire
qui fait de notre pays le premier palmé d’Afrique ! D’autant plus que le
film est un pur chef-d’œuvre qui offre une belle synthèse du travail d’Orson
Welles alliant profondeur dramatique et l’exploration de toutes les
possibilités de l’image et de la mise en scène filmique.
Cinéaste
de la modernité
Orson Welles est venu au
cinéma très jeune. Il a commencé par faire du théâtre. Et du théâtre
radiophonique. Il est rentré dans l’histoire de ce média pour avoir fait
trembler selon la légende, rien que par les faits sonores, les foules sorties
dans les rues croyant à une invasion terrestre, après avoir entendu Orson
Welles et son émission à la radio. C’était en 1938. Au début des années 40, il
rejoint Hollywood où il tourne son chef-d’œuvre absolu, Citizen Kane. Tourné à
partir d’un scénario original (pour lequel il obtiendra un Oscar) inspiré de la
vie d’un magnat de la presse, le film va constituer un tournant. Pour de
nombreux historiens du cinéma, deux films vont constituer l’acte inaugural de la
modernité cinématographique : Citizen Kane (1941) d’Orson Welles et Le
voleur de bicyclette (1948) de Vittorio de Sica.
Citizen Kane est l’un des
films les plus analysés de l’histoire du cinéma. Il offre en effet une
épaisseur esthétique et artistique digne d’un gisement d’un minerai rare. Par
rapport au cinéma dominant de l’époque marqué notamment par l’usage quasi
académique du champ –contre champ (dans un dialogue par exemple, la prise de
vue alternée), Welles va introduire une nouvelle forme de découpage sur la base
de la profondeur du champ et du plan séquence. La caméra étant souvent fixe, se
contentant de « voir » le monde. Ce ne sont pas de simples
modifications techniques. Nous sommes en présence d’un nouveau protocole de
réception filmique. André Bazin note à ce propos : « Elle affecte (la
profondeur de champ), avec les structures du langage cinématographique, les
rapports intellectuels du spectateur avec l’image, et par là même elle modifie
le sens du spectacle » (in Qu’est-ce que le cinéma, page, 75).
Le film est une « œuvre
ouverte » ; elle offre plusieurs possibilités de lecture, n’épuisant
jamais le sens. Le mystère étant au cœur du système qui la porte. A l’image de
la mythique scène d’ouverture portée par l’énigmatique « Rosebud »
prononcé par le personnage sur son lit de mort. Déjà pour arriver à cette scène
la caméra avait opéré un inoubliable plan séquence qui traverse une enceinte en
transgressant un interdit (no trepassing) affiché sur la porte de ce lieu
mystérieux). La philosophie du film était là.
Autre séquence mémorable,
celle de la séparation quand le banquier vient chercher le jeune Forest. Outre sa dimension symbolique, quasi
freudienne à laquelle renvoie la figure de la mère, cette séquence reste dans
les esprits par sa construction visuelle où domine un schéma
triangulaire : le père silencieux, la mère qui mène le jeu des
négociations et le banquier. L’enfant présent tantôt dans le hors champ tantôt
dans la profondeur de champ va se retrouver par un formidable mouvement
d’appareil au centre du triangle. Au début de la séquence on découvre l’enfant
jouant dehors dans la neige. Seul : solitude du héros futur ? La
caméra recule et entre par la fenêtre pour nous faire découvrir le trio qui va
décider du devenir de l’enfant présenté déjà : on continue à le voir, dans
un très beau plan en profondeur de champ. Très vite cependant, le rapport de
forces va être explicité pour mettre en avant le rôle de la mère. Tout est dit
visuellement. Un personnage va naître dans la rupture. Une esthétique nouvelle
aussi, celle du cinéma moderne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire