Mme Edgar Morin, Edgar Morin, Bakrim (Tanger, 2012)
C’est l’expression même de
l’investissement pertinent dans le capital immatériel. En effet, les cérémonies
marquant la célébration de la fête du trône de cette année ont donné lieu,
entre autres, à deux faits majeurs : la teneur du discours royal, innovant
dans sa forme et dans son contenu, et mettant en exergue la nécessaire mise en
valeur de cette autre richesse du Maroc, son patrimoine immatériel…L’autre fait
est arrivé comme en prolongement de cette nouvelle approche voire une des
variantes possibles de sa mise en application, le Souverain a décoré un
ensemble de personnalités appartenant à différents domaines de la vie publique
dont l’intellectuel français, Edgar Morin, grand défenseur de la culture, des
produits de l’imagination et des biens immatériels.
Le geste s’inscrit certes dans
une tradition fortement ancrée dans le rituel royal, mais cette fois, avec
l’appel du Souverain à réhabiliter la dimension immatérielle dans les projets
de développement, ce geste prend une autre dimension non seulement eu égard à
l’importance d’Edgar Morin sur l’échiquier intellectuel international mais
également et par un heureux hasard, par la nature même de ses travaux et la
philosophie qui les portent plaidant en faveur d’une approche multidimensionnelle
des stratégies de développement ; un développement qu’il a choisi de
center autour du concept forgé dans les années 90 que résumé l’énoncé Pour une
politique de civilisation. « C’est en 1994 que me vint l’idée de politique
de civilisation, qui vise à réagir contre les effets pervers croissant
engendrés par la civilisation occidentale, devenue mondialisée et
mondialisante » ; c’était le prélude à une entreprise plus
ample : chercher la voie susceptible de sauver l’humanité des désastres
qui la menacent !
Edgar Morin a très tôt pris
conscience, en tant que sociologue d’abord, de la nécessité d’élargir l’angle
d’approche des réalités humaines très diversifiées et très complexes. Pour lui
être sociologue consiste à s’imprégner des principes d’ouverture et de
« tolérance » scientifique pour pouvoir saisir et penser les
corrélations, les interactions entre les phénomènes économiques, sociaux,
psychologiques, culturels, religieux, mythologiques…Dans son ouvrage
fondamental, La voie, il pointe du doigt deux obstacles épistémologiques qui
aveuglent la pensée européocentriste ;
c’est ce qu’il appelle les carences cognitives qui sont de deux
types : les cécités d’un mode de connaissance qui compartimentant les
savoirs, désintègre les problèmes fondamentaux et globaux, lesquels nécessitent
une connaissance transdisciplinaire ; l’autre carence étant
l’occidentalo-centrisme qui se donne l’illusion de posséder l’universel. En
fait, souligne, Edgar Morin, ce n’est pas seulement notre ignorance qui peut
amener nos erreurs d’appréciation mais également le type de connaissance que
nous possédons. D’où sa démarche fondée sur la connaissance complexe. « La
crise du politique est aggravée par l’incapacité à penser et affronter la nouveauté, l’ampleur et la
complexité des problèmes », écrit-il.
Cela s’inscrit chez lui dans une
cohérence intellectuelle puisque très tôt, il orientait ses travaux vers les
espaces périphériques de la pensée dominante. Il a toujours maintenu présent
dans sa démarche analytique, comme les deux faces d’une même pièce, le niveau
du réel et de l’imaginaire dans la construction de la personnalité ; très
tôt aussi en tant que sociologue, il s’est intéressé aux différentes variantes
de la production de l’imaginaire y compris la culture de masse, cette
« sub-culture » que les élites refusaient, pendant longtemps, d’intégrer au cursus universitaire. Il a
ainsi contribué à élargir l’horizon culturel de la pensée moderne vers des
« régions nouvelles » notamment le cinéma. Celui-ci lui offre
l’occasion d’approcher l’importance de la diversité des cultures qui animent
notre planète ; diversité qui ouvre la voie à un métissage prometteur.
Dans le panorama qu’il brosse, il cite le cinéma marocain : « l’ère
planétaire a constitué et développé une réalité transculturelle qui associe les
différentes cultures en une culture mondiale à la fois une et diverse. Ainsi le
cinéma, qui ne s’est pas seulement diffusé à travers le monde selon un modèle à
l’origine hollywoodien mais a permis l’efflorescence de multiples et
remarquablement divers cinémas nationaux, d’abord français, allemand et
italien, puis japonais, sud-coréen, chinois, iranien, égyptien, marocain,
sénégalais, ivoirien, etc., chacun étant à la fois assimilateur, original et
créateur » ( in La voie, page 53). Une citation-reconnaissance qui
instaure le cinéma, en toute légitimité,
comme image éloquente du capital « immatériel ». Il faut rappeler à
ce propos que le cinéma en particulier et la culture en général, notamment le
festival de la musique sacrée de Fès ont beaucoup fait pour l’ancrage marocain
d’Edgar Morin. C’est un fidèle du festival international du film de Marrakech
et il y a deux ans il a présidé le jury du festival national du film.
Le cinéma marocain est pour ainsi
dire pionnier dans le vaste chantier de l’enrichissement du capital
« image » de notre pays. Les théoriciens du management parlent du
« capital immatériel », nous préférons pour notre part, parler
du capital symbolique. Avec une composante essentielle depuis au moins une
décennie, le cinéma. On peut même dire que c’est la forme artistique majeure du
règne de Mohammed VI. Le cinéma est pour le nouveau règne ce qu’a été la
chanson pour le précédent régime ! En congruence avec l’esprit du temps. Dans
le marché mondial de la circulation des symboles, l’image cinématographique
tient lieu d’arme absolue. Le Japon, La Corée du sud, l’Iran ont montré la
voie. Le cinéma marocain n’est pas du reste. En Afrique, il est cité comme
modèle. Au moment où le Souverain, grand cinéphile par ailleurs, incite les différents
décideurs à élargir le concept de richesse à cet immense acquis qu’est la
production de l’intelligence et de la création, il est opportun de rappeler
l’urgence de soutenir la politique en vigueur en matière de production
cinématographique et de lui offrir les moyens et l’opportunité d’appliquer son
ambitieux programme notamment en matière de parc cinématographique et de
mutation technologique.
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