Rencontre au sommet
Une rencontre inédite dont le
fruit vient d’être édité en ouvrage. Le livre, Au péril des idées, les
grandes questions de notre temps (Edition Presses du Châtelet, Paris, 2014,
282 pages) est en effet la résultante d’une rencontre au sommet entre deux
grandes personnalités de la pensée contemporaine, Edgar Morin et Tariq Ramadan.
C’est sous les auspices du philosophe et écrivain Claude-Henry Du Bord que le
débat a été « arbitré ». L’image sportive est légitimée par le
référentiel intellectuel et philosophique en principe complètement opposé entre
les deux hommes et qui donne à leur rencontre une allure de vrai classico.
Autre symbole fort le lieu qui a abrité ce duel n’est autre que la ville
marocaine, Marrakech. Par son climat, par son « atmosphère
générale », elle a assuré le succès de l’entreprise. Le maître de
cérémonie, l’organisateur et l’animateur en quelque sorte de l’échange rapporte
en avant-propos les conditions environnementales qui ont assuré le succès du
débat ; il décrit ainsi le décor : « Pour notre entretien
de Marrakech, les conditions étaient optimales. Aucune tension, un climat
splendide, un lieu paisible et confortable avec une fontaine, pas de fâcheux,
de bruits parasites…Tariq débarqué le matin de Londres, était à peine fatigué ;
Edgar, en compagnie de Sabah Abouessalam, son épouse, affichait belle humeur
(si habituelle chez lui), belle forme. Nulle appréhension, une empathie
réciproque immédiate, une atmosphère détendue. Conditions idéales pour une
première rencontre ».
Celle-ci avait eu lieu, en deux
jours, au mois de juin 2013. Elle est donc inédite parce que c’est la première
fois que les deux hommes confrontent leurs idées et elle est surtout insolite
car elle met en scène deux figures intellectuelles issues de planètes
différentes. Ne serait-se d’abord que sur un point précis, la religion. L’un,
Edgar Morin est agnostique et l’autre croyant appartenant sur le plan
biographique à une grande famille ayant marqué le mouvement panislamiques et
faisant du credo religieux, l’un des leviers de sa pensée. Mais c’est une
dichotomie réductrice. Edgar Morin surtout, se refuse à être enfermé à être
enfermé dans un clan ; certes, dit-il, « je suis agnostique, mais je
ne suis pas dans l’athéisme militant ». Auteur d’une soixantaine
d’ouvrages traduits dans une trentaine de langues, Edgar Morin est notamment
connu pour être le père de la pensée complexe. Il est aussi connu pour son
universalisme et son ouverture d’esprit. Défendant la diversité culturelle
aussi bien dans ses expressions géographiques qu’esthétiques et artistiques. Il
a très tôt par exemple défendu la culture de masse, celle qui nourrit le
quotidien des jeunes et des couches marginalisées…
Tariq Ramadan, lui est sur un
autre registre ; plus jeune qu’Edgar Morin qui a 93 ans, il est souvent
dans un interventionnisme souvent de nature polémiste.
« Infréquentable » est l’étiquette qu’on lui colle en France ;
ailleurs il jouit d’une grande réputation. Du Bord, l’animateur du débat le
décrit ainsi au moment du débat « Tariq Ramadan étant à Marrakech plus
connu et révéré qu’une star de Rock… ».
Le résultat de leur échange n’est
pas la retranscription de diatribes ou de dialogue de sourds. Loin de tout
esprit polémiste, l’entretien marqué par une élégance, une politesse et le
respect mutuel. Du coup, ce qu’il a perdu en coup d’éclat dans le sens
médiatique, il l’a gagné en profondeur et en consistance.
La réflexion peut être ramenée au
titre générique Dieu, les hommes…et les femmes. La religion est abordée
longuement notamment autour de sujets qui font l’actualité en France, mais très
vite ils élargissent la problématique pour s’inquiéter par exemple de la montée
du populisme en Europe et des fondamentalismes ou ce qu’ils appellent
« les littéralismes » religieux un peu partout dans le monde et dans
la sphère islamique en particulier.ils réfléchissent alors aux notions de
reconnaissance et de dignité qu’elles concernent un individu, une minorité ou
une nation…L’éducation apparaît ainsi dans leur approche commune comme le lieu
décisif pour réformer les habitudes et favoriser une intégration en profondeur
des communautés.
En termes didactiques, l’exercice
auquel se livrent les deux penseurs est en somme une application réussie de
leur théorie du respect et de la tolérance. « L’essentiel est autant dans
la qualité du propos que dans le respect qui anime ceux qui le
profèrent ».
Mohammed
Bakrim
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