vendredi 22 août 2014

Edgar Morin, Tariq Ramadan à Marrakech


Rencontre au sommet


Une rencontre inédite dont le fruit vient d’être édité en ouvrage. Le livre, Au péril des idées, les grandes questions de notre temps (Edition Presses du Châtelet, Paris, 2014, 282 pages) est en effet la résultante d’une rencontre au sommet entre deux grandes personnalités de la pensée contemporaine, Edgar Morin et Tariq Ramadan. C’est sous les auspices du philosophe et écrivain Claude-Henry Du Bord que le débat a été « arbitré ». L’image sportive est légitimée par le référentiel intellectuel et philosophique en principe complètement opposé entre les deux hommes et qui donne à leur rencontre une allure de vrai classico. Autre symbole fort le lieu qui a abrité ce duel n’est autre que la ville marocaine, Marrakech. Par son climat, par son « atmosphère générale », elle a assuré le succès de l’entreprise. Le maître de cérémonie, l’organisateur et l’animateur en quelque sorte de l’échange rapporte en avant-propos les conditions environnementales qui ont assuré le succès du débat ; il décrit ainsi le décor : « Pour notre entretien de Marrakech, les conditions étaient optimales. Aucune tension, un climat splendide, un lieu paisible et confortable avec une fontaine, pas de fâcheux, de bruits parasites…Tariq débarqué le matin de Londres, était à peine fatigué ; Edgar, en compagnie de Sabah Abouessalam, son épouse, affichait belle humeur (si habituelle chez lui), belle forme. Nulle appréhension, une empathie réciproque immédiate, une atmosphère détendue. Conditions idéales pour une première rencontre ».
Celle-ci avait eu lieu, en deux jours, au mois de juin 2013. Elle est donc inédite parce que c’est la première fois que les deux hommes confrontent leurs idées et elle est surtout insolite car elle met en scène deux figures intellectuelles issues de planètes différentes. Ne serait-se d’abord que sur un point précis, la religion. L’un, Edgar Morin est agnostique et l’autre croyant appartenant sur le plan biographique à une grande famille ayant marqué le mouvement panislamiques et faisant du credo religieux, l’un des leviers de sa pensée. Mais c’est une dichotomie réductrice. Edgar Morin surtout, se refuse à être enfermé à être enfermé dans un clan ; certes, dit-il, « je suis agnostique, mais je ne suis pas dans l’athéisme militant ». Auteur d’une soixantaine d’ouvrages traduits dans une trentaine de langues, Edgar Morin est notamment connu pour être le père de la pensée complexe. Il est aussi connu pour son universalisme et son ouverture d’esprit. Défendant la diversité culturelle aussi bien dans ses expressions géographiques qu’esthétiques et artistiques. Il a très tôt par exemple défendu la culture de masse, celle qui nourrit le quotidien des jeunes et des couches marginalisées…
Tariq Ramadan, lui est sur un autre registre ; plus jeune qu’Edgar Morin qui a 93 ans, il est souvent dans un interventionnisme souvent de nature polémiste. « Infréquentable » est l’étiquette qu’on lui colle en France ; ailleurs il jouit d’une grande réputation. Du Bord, l’animateur du débat le décrit ainsi au moment du débat « Tariq Ramadan étant à Marrakech plus connu et révéré qu’une star de Rock… ».
Le résultat de leur échange n’est pas la retranscription de diatribes ou de dialogue de sourds. Loin de tout esprit polémiste, l’entretien marqué par une élégance, une politesse et le respect mutuel. Du coup, ce qu’il a perdu en coup d’éclat dans le sens médiatique, il l’a gagné en profondeur et en consistance.
La réflexion peut être ramenée au titre générique Dieu, les hommes…et les femmes. La religion est abordée longuement notamment autour de sujets qui font l’actualité en France, mais très vite ils élargissent la problématique pour s’inquiéter par exemple de la montée du populisme en Europe et des fondamentalismes ou ce qu’ils appellent « les littéralismes » religieux un peu partout dans le monde et dans la sphère islamique en particulier.ils réfléchissent alors aux notions de reconnaissance et de dignité qu’elles concernent un individu, une minorité ou une nation…L’éducation apparaît ainsi dans leur approche commune comme le lieu décisif pour réformer les habitudes et favoriser une intégration en profondeur des communautés.
En termes didactiques, l’exercice auquel se livrent les deux penseurs est en somme une application réussie de leur théorie du respect et de la tolérance. « L’essentiel est autant dans la qualité du propos que dans le respect qui anime ceux qui le profèrent ».
Mohammed Bakrim 


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