L’engagement
documentaire
Elle est partie dans la
discrétion, dans le silence du confinement. La réalisatrice marocaine Dalila
Ennadre est décédée, en effet, le 14 mai 2020 à Paris. On la savait malade,
elle menait depuis quelques temps déjà un héroïque combat contre un vilain
cancer ; « contre un cancer révélé en janvier 2018, que les médecins
attribuent à une probable exposition à l’amiante dans sa jeunesse », explique
la famille de la défunte. Née à Casablanca en 1966, Dalila est issue d’une
famille d’artiste, son frère Touhami Ennadre est un photographe mondialement
connu, célèbre notamment pour ses portraits des mains, en noir et blanc. Elle a
ensuite rejoint la France. Elle se passionne pour le cinéma et pour ce faire,
voyage beaucoup dans le cadre de la production de films institutionnels. Elle apprend le
métier en le pratiquant quasiment à tous les postes, de la production au
montage. Elle est même passée devant la caméra pour le rôle d’une mère dans le
beau film de Brahim Fritah, Chronique d’une cour de récré (2012).
En 1987, elle réalise son
premier film, un documentaire, Par la grâce d’Allah qui ouvre la voie à une
riche filmographie comptant près d’une dizaine de films. Avec des titres
emblématiques où se décline sa démarche de cinéaste engagée pour la cause des
femmes notamment : Elbatalette, femmes de la médina (2001) ; Fatma,
une héroïne sans gloire (2004) ; Je voudrais vous raconter (2005) ;
J’ai tant aimé (2008) ; Des murs et des hommes (2014).
Jusqu’à
son dernier souffle, elle est restée fidèle à ce qui a fait sa raison d’être,
ce qui a donné sens à sa vie : le cinéma et le documentaire en
particulier. En 2018, elle était venue, à la commission de l’avabce sur
recettes, en compagnie de la productrice marocaine, Lamia Chraibi défendre son nouveau et
désormais ultime projet, Jean Genet, notre père des fleurs. Les deux
professionnelles étaient magnifiques et brillantes ; ma voisine me
chuchota à l’oreille : « elles sont belles et on ne se lasse pas de
les écouter ». Dalila était déjà atteinte mais était d’une grande sérénité
et d’une grande lucidité. Le débat était de haute facture. Le projet partait
d’une idée originale, celle d’aborder le destin du célèbre auteur à partir de
sa tombe au cimetière de Larache. Après un échange fructueux, je lui avais
promis de faire un détour du côté de Larache et d’aller saluer la mémoire du
défunt. Effectivement, lors d’un voyage au nord du Maroc quelques semaines
après, j’ai fait un décrochage du côté du cimetière espagnol, sur un site
splendide surplombant l’océan atlantique. Combien ma surprise fut grande quand
j’ai fait la connaissance de la jeune femme qui s’occupe des lieux et
qui m’a conduit vers la tombe de Jean Genet, avec tout près la tombe de son ami
l’écrivain espagnol de Marrakech Juan Goytisolo. Après la lecture de la Fatiha,
j’ai dit à la jeune femme sympathique (elle m’a pris des photos en souvenir de
la visite) qu’il y a une amie cinéaste qui prépare un film sur Jean
Genet ; « ah oui bien sûr c’est Dalila » ajoutant les larmes
aux yeux, « je l’ai appelée au téléphone ; elle a subi la semaine
dernière une opération chirurgicale ». C’est le meilleur hommage à Dalila
Ennadre ; le rapport aux gens qu’elle côtoie génère des l’émotion qui
reste indélébile. Ce projet écrit avec
passion était en phase finale de post-production. La productrice du film m’a
assuré qu’elle fera tout son possible pour le voir finalisé et abouti. C’est
une femme qui honore ses engagements. Jean Genet reviendra sous le regard de
Dalila Ennadre avec le soutien de Lamia Chraibi.
Pour Dalila Ennadre, il ne
s’agit pas de filmer pour répondre à une commande. C’est un auteur qui s’engage dans la
réécriture du monde pour donner forme à une idée. Le documentaire qu’elle
travaille avec empathie, portant un point de vue, témoignant sur son époque,
loin de tout exotisme, aux antipodes d’une esthétique à la carte postale. Dans
ses films, la primauté est donnée aux hommes et aux femmes face à leur
destinée. Puisant dans des sujets sociétaux, elle refuse le voyeurisme,
privilégiant la posture d’écoute. Son film, J’ai tant aimé, en est une parfaite
démonstration. Le sujet relève après coup d’une déconstruction de l’imagerie
coloniale. En abordant l’histoire de Fadma, engagée par les autorités
coloniales comme travailleuse de sexe au service des militaires français dans leur guerre impérialiste en Indochine,
Dalila Ennadre lève le voile sur une des pratiques les plus scandaleuses d’un
empire colonial sur le déclin. Dalila Ennadre, pour rapporter cette histoire,
est allée chez Fadma au cœur du Moyen Atlas marocain. Elle l’a écoutée, elle
l’a filmée dans son environnement naturel, au milieu des champs et des
arbres ; un milieu d’où elle a été arrachée pour être embarquer dans une
guerre au bout du monde. Elle a filmé son corps (Un corps aux tatouages
ancestraux mais portant les stigmates d’une autre violence) ; ses gestes, ses
silences, ses éclats de rire…Filmés avec empathie, avec une caméra pudique qui prend ses distances
sans inflation de mouvements ni de gros plans excessifs. Deux scènes me
semblent emblématiques de cette démarche. La scène du thé en ouverture :
la caméra est là comme un personnage qui regarde les préparatifs du thé. La
mise en scène sobre et discrète met en place l’ambiance, instaure ce qui sera
le rythme du film ou si j’ose dire, sa ligne éditoriale : prendre son
temps pour écouter l’histoire de cette femme dans sa rencontre fracassante avec
la grande histoire. L’autre scène est située dans les parages des cascades d’Ouzoud.
On retrouve Fadma au milieu des marches qui permettent d’escalader la colline
qui mène aux chutes d’eau ; les promeneurs de dimanche montent les marches
alors que Fadma est assise en mendiante, attendant l’aumône. Un contraste
saisissant d’une grande éloquence : d’un côté le mouvement d’une histoire
en cours, celle de ces gens qui s’en vont et de l’autre le statisme d’une
histoire finie, celle de Fadma qui reste enfermée dans ses souvenirs et de son
récit extraordinaire ; notamment quand elle raconte son voyage en
hélicoptère, blessée dans les tranchée, elle a été évacuée vers l’hôpital. Cela
ne l’a pas empêchée de demander au militaire français de lui permettre de
s’approcher du hublot pour voir le monde d’en haut. Tout le personnage est là : ce désir
d’embrasser le monde.
Le film n’est pas une clôture.
Fadma assoiffée d’amour ne regrette rien. Certes, elle aurait aimé avoir pu
garder des documents pour réclamer réparation aux autorités françaises pour
bénéficier du statut d’ancienne combattante. Mais ses vicissitudes avec les
hommes en ont décidé autrement (l’une de ses connaissance éphémères lui a brûlé
ses papiers). Cependant l’espoir est là avec la présence de l’un de ces deux
enfants adoptifs Azzedine dont le regard azur est prometteur.
1 commentaire:
les films https://film4k.stream/epouvante-horreur/ et le théâtre, la romance est utile, mais il faut aussi vivre comme un être humain.
Enregistrer un commentaire